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La fin des Ceausescu, c’était il y a 25 ans : ce qu’on sait maintenant de ce qu'il s’est vraiment passé en Roumanie
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Eclairage historique

Le 22 décembre, la Roumanie fêtait le 25ème anniversaire de la mort de Nicolae Ceausescu, symbolisant la fin du régime communiste et le début de la démocratie parlementaire roumaine. En 2004, Traian Basescu fit de l'éclairage historique concernant la période communiste une promesse électorale. Bien que cet élan ait été accompagné de travaux concrets de la part des historiens locaux, certaines zones d'ombre subsistent toujours.

Catherine Durandin

Catherine Durandin

Catherine Durandin est historienne et écrivain. Elle a consacré de nombreux ouvrages à la France et aux relations européennes notamment Douce France.

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Atlantico : Cette volonté politique a-t-elle effectivement permis à ce jour d'apporter des réponses sur la nature exacte de la Révolution roumaine ?

Catherine Durandin : Le 22/ 25 décembre  2014,  25 ème anniversaire  de  la mort des Ceausescu, annoncée  le 25 décembre 1989 à la population roumaine va bien au delà de l'exécution du couple dictatorial...

Il s'agit, pour le 22 décembre,  du jour J de la réalisation d'un coup d'état perpétré en une ambiance de soulèvement révolutionnaire à Timisoara, dès les 17/19 décembre puis à Bucarest, principalement. Les campagnes roumaines sont restées calmes.

Si  en décembre 2014, ce 25 ème anniversaire revêt une  connotation nouvelle   et comme renforcée, c'est que vient d'être élu à la présidence de la République, Klaus Johannis, libéral, protestant, issu de la minorité saxonne,  soutenu par les Libéraux Démocrates contre le candidat socialiste Victor Ponta, héritier des nomenclatures pré et post communistes. Cette élection témoigne d'une volonté majoritaire de changement de culture politique, de liquidation par le suffrage, de l'époque des opacités, des ombres et des solidarités souterraines des réseaux non démocrates.

Le président sortant à l'issue de deux mandats, Traian Basescu, bon tacticien, a opté radicalement pour un ancrage de son pays à l'Ouest.  La Roumanie est membre de l'OTAN, le pays accueille des bases américaines et une école du Renseignement à Oradea. Fortement soutenu par Washington dès son premier mandat, Basescu a posé un premier jalon d'élimination des passés encombrants. Décembre 2006: en une séance solennelle au Parlement, en présence du polonais Walesa et du bulgare Jelev, appuyé par une commission d'historiens présidée par un historien roumain ex exilé aux  Etats -Unis, Vladimir Tismaneanu, les crimes du communisme sont condamnés. Ce geste symbolique  aura valu à Traian Basescu le ralliement de nombre d'intellectuels que ne séduisaient cependant ni sa carrière de l'avant 1989 au service de l'état dirigé par N. Ceausescu, ni son style populiste. La condamnation des crimes du communisme prend en compte les années staliniennes et "oublie" les plus de vingt ans de communisme nationaliste de Ceausescu... 

Le processus de dévoilement, de relecture et d'analyse des journées de décembre 1989 qui ont mis un terme au régime Ceausescu s'est mis en place bien avant l'élection de Traian Basescu. Il relève du travail des journalistes, des témoins qui se sont interrogés, des historiens et des acteurs eux mêmes de ces journées...La parole s'est petit à petit libérée. En 2009, paraissaient respectivement en France et en Roumanie  "La mort des Ceausescu, la vérité sur un coup d'état communiste" sous ma direction et "Les Crimes de la révolution", trois volumes sous la conduite de Grigore Cartianu. Deux dynamiques des journées de décembre se font jour: la ferveur vraie des manifestants anti Ceausescu et conjointement, la manipulation des équipes communistes réformatrices décidées à prendre le pouvoir en faisant tomber la vieille garde..

D'apparence populaire, celle-ci a souvent été interprétée comme étant un complot du pouvoir de l'époque afin de se préserver, ou impliquant des tiers étrangers. Cette théorie se voit-elle aujourd'hui démentie ? Qu'est-ce qui aujourd'hui encore conforte l'une ou l'autre des hypothèses ?

1989, révolution spontanée?

Oui, les manifestants, parmi eux les jeunes, parfois très jeunes, les femmes aussi, nombreuses, se sont spontanément engagés, - pour plus d'un  millier d'entre eux, ils ont perdu la vie - , dès qu'ils ont eu vent, à Timisoara, Bucarest, Iassi etc... via les radios libres et la circulation des nouvelles par téléphone,  d'informations qui évoquaient des mouvements de foules et des tirs de l'armée contre ces foules. Une énorme colère née des souffrances endurées depuis plusieurs années- pénurie, manque de chauffage, mégalomanie  humiliante du pouvoir- s'est exprimée. La chute du mur de Berlin était présente dans tous les esprits ouvrant un espace libérateur..

A partir du 22 décembre, les révoltés  sont appelés à suivre en direct sur leur écran de TV une sorte de happening révolutionnaire romantique hallucinant – Or, mis à part quelques dissidents qui se font piégés en ces premiers moments, les orateurs qui se succèdent à la télévision sont les maitres du coup d'état, communistes pro Gorbatchev et hauts gradés de l'armée roumaine, membre du Pacte de Varsovie depuis sa formation en 1955.Ils ont monté un spectacle participatif!

Nous avons assisté à un coup d'état accompagné par une révolte remarquablement récupérée. 

La complaisance de l'URSS - Moscou n'ayant pas eu à intervenir de manière directe et ostensible  sur le terrain - est indéniable.

Les étapes de l'ingérence soviétique sont à suivre depuis 1987.  En novembre de cette année là, à Brasov, ville industrielle, a lieu un moment de grève important: et, étrangement, l'on note que certains des cadres de l'entreprise portent des banderoles appelant Mihai ( Mikhail Gorbatchev) à les sauver. Les signaux  venus de Moscou se sont multipliés: réprobation modérée de Gorbatchev, mais réprobation osée de la part du jeune dirigeant soviétique  à l'adresse  du vieux "mandarin" roumain au pouvoir depuis 1965 quant à la qualité insuffisante de la production roumaine alors que les deux pays développent une économie de troc mutuel... Remontrances de Ceausescu à Gorbatchev lors de la réunion du Pacte de Varsovie à Moscou, le 1/3 décembre 1989...

Du côté de Washington, la position est claire: soutenir une perestroika à la roumaine, appuyer les communistes réformateurs hongrois et  médiatiser via Radio Free Europe le contraste entre les dérives dramatiques roumaines et l'évolution de Budapest... Les Hongrois gèrent une sortie négociée du communisme.

Ces trois hypothèses sont-elles nécessairement contradictoires ?

Je ne vois pas de contradiction entre la sincérité de manifestants excédés contre un régime dictatorial  décadent, et le fait qu'ils ont été dupés et trahis par les acteurs d'un coup d'état qui avaient besoin de ces jeunes entre la joie de la rébellion et la tragédie de la mort. Quant aux acteurs militaires du coup, ils appartenaient à une armée du Pacte de Varsovie, avaient été formés en URSS comme toutes les élites du Pacte. Moscou n'avait pas besoin de placer en première ligne aux côtés de Ion Iliescu et de Petre Roman, un haut gradé soviétique...

Quels sont les zones d'ombre qui demeurent encore à ce jour ?

Il reste encore des zones d'ombre: elles concernent les articulations précises de l'enchainement des évènements des  22/25 décembre, en dépit des récits/ témoignages  qui circulent depuis des années, récits parcellaires portant sur l'organisation du tribunal dit révolutionnaire qui met en scène la mascarade du procès du couple, l'enterrement des Ceausescu et la part prise par l'un des membres du tribunal, Gelu Voican.

Il serait essentiel que Ion Iliescu, figure principale de ces journées, président de la Roumanie de 1990 à 1996 puis de 2000 à 2004 s'exprime... Iliescu a construit toute sa légitimité sur le récit d'une Révolution : je doute que jamais il ne revienne sur cette posture. .

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