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La fausse impertinence des nouveaux humoristes français
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Blague à part

Les "humoristes impertinents" pullulent dans le paysage médiatique français... et se prennent parfois pour de nouveaux intellectuels.

François L'Yvonnet

François L'Yvonnet

François L'Yvonnet est professeur de philosophie et éditeur.

Il dirige la collection « Via Latina » aux Éditions Albin Michel et la série "Philosophie" des « Carnets » de L'Herne.

Il a récemment publié Homo comicus : ou l'intégrisme de la rigolade (Fayard, 2012)

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Nous assistons depuis une bonne dizaine d’années à un phénomène paradoxal : plus les « humoristes » se multiplient  (et leur prolifération est assez prodigieuse), moins ils se distinguent du commun des rieurs, du boute-en-train des noces et banquets et plus ils revendiquent, avec une prétention extrême, un statut à part qui leur conférerait une sorte d’impunité. Ce que disait Philippe Muray des théâtreux leur va comme un gant : « Ils réclament des droits supérieurs au commun des mortels parce que rien ne les en différencie plus. »

Un phénomène à la fois agaçant et inquiétant.

L’impertinence est le maître mot de cette espèce mutante. Ils se qualifient eux-mêmes d’« humoristes impertinents ». Être impertinent, cela veut dire éreinter, mais sans risque, lancer des accusations, ridiculiser, frapper de dérision mais sans ménager la moindre possibilité de défense. L’impertinence est l’arme fatale de ces procureurs hargneux. Ils réclament des têtes. Dans le même temps, l’animalcule gondolant fait son trou dans le conformisme et l’assurance tous risques, se fait une place au soleil médiatique.

L’un de leurs mentors, Jean-Michel Ribes, dans une tribune parue dans Le Monde, pour donner de la consistance idéologique à leurs saillies, oppose avec le plus grand sérieux le « rire de résistance » (« touchant à la racine des idées ») au « rire collabo » (celui des ricaneurs qui entretient la somnolence du bon peuple). On ne sort pas du rire. Nous sommes seulement sommés de choisir entre le bon rire, le leur, qui est la norme et le mauvais rire, celui des autres. L’auteur poursuit en qualifiant l’esprit de sérieux d’étouffoir d’idées, de « cholestérol des utopies qui nous font avancer »…

On nous bassine avec l’impertinence, nouvelle tarte à la crème. On nous assomme avec le « rire de résistance ». Comme si l’esclaffement belliqueux et méchant était un acte de résistance. Comme si nous ne manquions pas d’abord de pertinence et de sérieux. Le sérieux et l’esprit de sérieux font deux, n’en déplaisent aux maîtres-penseurs de l’heure. La rigolade obligée relève très précisément de ce que Nietzsche appelait l’« esprit de sérieux » marqué par la lourdeur, la pesanteur et la cérémonie… « Être sérieux », c’est au contraire prendre en considération ce qui mérite de l’être. Ce qui n’exclut pas le rire irrévérencieux, mais le met à sa juste place.

Il y a un véritable intégrisme de la rigolade. Leur rire est la norme, disions-nous, un certain rire du moins, qui mêle le dénigrement systématique, la vulgarité et l’attaque personnelle (qui n’a rien à envier aux calomnies d’avant-guerre). La rigolade est devenue une sorte de « paradigme », un style imposé dans le traitement des questions générales, un prisme privilégié pour aborder la société et les hommes.

Le néo-humoriste occupe la place hier dévolue à l’intellectuel. Il dit le vrai et le bien. Il sermonne, il juge et condamne, dans l’hilarité générale. À force d’intimidation et de provocation, il a fini par incarner, aux yeux du public, l’esprit frondeur et la sacro-sainte liberté d’expression. Les mettre en accusation s’apparente à un crime de lèse-majesté. Quiconque ose s’élever contre ce qui s’apparente à une escroquerie intellectuelle et morale sera traité de rabat-joie, de bonnet de nuit et offert à la vindicte médiatique.

L’ayatollah bidonnant a le triomphe modeste, comme le dit l’un d’entre eux : « Il n'y a pas de limites à l'humour, à partir du moment où il y a du sens » (sic) !

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