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La facture de la guerre des ondes face à l’offensive de Huawei sur la 5G
La facture de la guerre des ondes face à l’offensive de Huawei sur la 5G
©NICOLAS ASFOURI / AFP

Bonnes feuilles

Sébastien Dumoulin publie « La guerre mondiale des ondes : le roman d’espionnage de la 5G » aux éditions Tallandier. En vingt ans, Huawei est devenu le numéro 1 mondial des télécoms. Mais faut-il confier son réseau 5G - qui pilotera les usines, véhicules et villes de demain - à une entreprise chinoise ? Accusé d'être un cheval de Troie du Parti communiste, Huawei est la cible depuis 2018 d'une attaque sans précédent des Etats-Unis. Extrait 1/2.

Sébastien Dumoulin

Sébastien Dumoulin

Sébastien Dumoulin, journaliste aux Échos, est spécialiste de l’actualité des télécoms et des plates-formes numériques. 

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Les opérateurs télécoms ont tendance à regarder la question de leurs équipements – et c’est bien naturel – sous un prisme technique et économique. Les histoires de politique commerciale internationale, de possibles prises d’otages ou de pirates sponsorisés par des États ne sont pas des éléments à faire valoir devant un conseil d’administration. De leur point de vue, Huawei est un excellent fournisseur, à la fois par la qualité de ses produits et de ses services, qui n’a jamais été pris en défaut sur des questions de sécurité. Les États-Unis peuvent bien accuser Huawei de tous les crimes du monde, ils n’ont pas apporté le début d’une preuve que Pékin se servait de son champion national des télécoms pour espionner ou saboter les infrastructures de pays tiers. Dès lors, pourquoi s’en passer ? D’autant que les consignes des autorités sont loin d’être claires. « On dit des choses publiquement, on ne dit jamais de nom et dès qu’on a le dos tourné, on nous passe des messages, donc cette espèce de duplicité, c’est pénible28 », s’emporte Stéphane Richard, le patron d’Orange, début 2020.

Ce que les opérateurs redoutent, en particulier en Europe, c’est le coût d’une exclusion de Huawei des marchés 5G. Ils savent qu’il est très compliqué de faire fonctionner les équipements de deux fournisseurs différents sur un même site – par exemple une antenne 5G d’Ericsson sur un pylône qui accueille déjà des antennes 3G et 4G de Huawei. Faire une croix sur la 5G de Huawei, pour les opérateurs qui font appel à lui pour les générations de réseaux précédentes, cela revient à tout mettre à la poubelle. En France par exemple, Bouygues Telecom et SFR –  dont la moitié du réseau mobile est constitué d’antennes chinoises  – expliquent à qui veut l’entendre que ce serait un gouffre financier, sans aller jusqu’à avancer un chiffre. Tout juste pointent-ils que les États-Unis ont prévu de débourser 2 milliards de dollars rien que pour dédommager leurs petits opérateurs ruraux qui, contrairement aux quatre grands, AT&T, Verizon, Sprint et T-Mobile, étaient souvent équipés de matériel chinois. En Europe, les estimations de la facture d’une exclusion de Huawei varient de 3  milliards d’euros à plus de 55 milliards selon les études… Dans Les Échos, un expert du secteur fait le calcul suivant : en comptant 100 000 euros pour un pack d’antennes – et en prenant en compte que leurs parcs d’environ 20  000  pylônes sont largement mutualisés –, Bouygues et SFR devraient signer un chèque de 500 à 700 millions d’euros chacun afin d’expurger leurs réseaux de tout matériel chinois29. Et encore, cela n’intègre pas les coûts indirects liés aux inévitables départs de clients à cause des perturbations sur le réseau…

L’équation, déjà complexe, est encore bousculée quand les États-Unis décident, à l’été 2020, de fermer le robinet mondial des puces électroniques à Huawei. Le fait que Washington déclenche cette « option nucléaire* » fait, pour la première fois, peser un risque existentiel sur le groupe de Shenzhen. Huawei fera tout pour rassurer ses clients, allant, selon des sources de l’industrie, jusqu’à financer et stocker des mois d’équipements d’avance. Mais ce qui n’était qu’un risque politique – celui d’être exposé à une interdiction administrative – est devenu un risque industriel – celui de voir son fournisseur mettre la clé sous la porte. Pire, pour les experts britanniques de The Cell, c’est aussi un risque de sécurité.

Revirement britannique

À l’été 2020, alors que les États-Unis ont privé de facto Huawei de tout approvisionnement en puces, le NCSC revoit en urgence sa copie. Contrairement à ce qu’il écrivait six mois plus tôt, il ne s’estime plus en mesure d’assurer la sécurité des réseaux 5G qui incluraient des produits Huawei. Son analyse est qu’en étant privé de puces américaines, le groupe de Shenzhen sera contraint de se rabattre sur des technologies moins connues, moins sûres et moins facilement contrôlables par les services de Sa Majesté. Ce raisonnement débouche sur une décision radicale. Boris Johnson renonce à ménager la chèvre et le chou, comme il l’escomptait encore en janvier. Plus question de limiter Huawei à la périphérie du réseau ou à 35 % du marché. En plein cœur de l’été 2020, le Premier ministre britannique franchit le Rubicon et annonce l’exclusion de Huawei de son marché. Tous les opérateurs du royaume devront cesser d’acheter le moindre matériel au groupe chinois dès la fin de l’année et devront démonter les infrastructures existantes d’ici 2027. La volte-face de Boris Johnson est un coup de tonnerre. Huawei pouvait jusqu’alors se vanter d’avoir la confiance du Royaume-Uni, le pays qui connaissait vraisemblablement le mieux ses produits grâce aux experts de The Cell. En 2005, la loyauté de BT lui avait ouvert les portes de l’Europe. En 2020, celle de Londres lui laissait ouverte l’entrée de nombreux pays. Bien des capitales pouvaient tenir le raisonnement suivant : si le premier allié de Washington continue d’utiliser Huawei, pourquoi pas moi ? L’argument vient de se retourner brutalement.

L’automne 2020 est une hécatombe pour Huawei. La Belgique lui tourne le dos, l’Allemagne prépare un durcissement des autorisations « à la française », la Suède l’abandonne… Au Département d’État américain, on se frotte les mains. « En février dernier, Huawei annonçait qu’ils avaient 90 contrats 5G. Et ce que nous avons vu, c’est que ces contrats se sont évaporés. Au maximum, nous en comptons six en dehors de Chine », assure Keith Krach le 30 septembre. Cet ancien patron d’une entreprise de logiciels a repris la mission de Robert Strayer, parti dans le privé après deux années à sillonner le globe pour faire dérailler Huawei. Et il a la partie plus facile que son prédécesseur, puisqu’il n’a plus qu’à constater que « le vent a complètement tourné ». Huawei, de son côté, ne donne pas de nouveaux chiffres.

En plus de se faire souffler l’Europe, le groupe commence à être en difficulté dans certains pays émergents. Si l’Afrique reste fidèle, l’Inde lui a discrètement claqué la porte au nez fin août, selon le Financial Times, priant ses opérateurs de ne plus utiliser d’équipements chinois. Le coup est rude. Avec 850 millions de clients, l’Inde est le deuxième marché mobile du monde après la Chine. Huawei y était solidement installé, non seulement avec ses activités de recherche à Bangalore, mais aussi avec de très gros contrats signés par deux des trois principaux opérateurs du pays – Bharti Airtel et Vodafone. La défection de l’Inde est aussi celle d’un pays asiatique, un voisin immédiat de la Chine, avec qui elle partage 3 500 km de frontière. Les observateurs n’ont pas manqué de remarquer que l’exclusion de Huawei survenait à un moment de tension exacerbée entre Pékin et New Delhi. En juin, des combats violents ont opposé des unités militaires indiennes et chinoises à la frontière tibétaine et fait des dizaines de morts côté indien. Plus que les considérations techniques ou économiques qui tarabustent les opérateurs européens, n’est-ce pas la feuille de route politique du gouvernement chinois –  traduite localement par le positionnement de ses troupes dans les montagnes himalayennes – qui a décidé New Delhi à sanctionner Huawei ? À bien y penser d’ailleurs, peut-être que la chute des dominos européens est également liée à un changement de regard porté sur la Chine de Xi Jinping. Car en à peine un an, les occasions n’ont pas manqué.

Extrait du livre de Sébastien Dumoulin, « La guerre mondiale des ondes : le roman d’espionnage de la 5G », publié aux éditions Tallandier.

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