La face cachée du Che, le prophète de la terreur <!-- --> | Atlantico.fr
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Une photo d'archives montre des Cubains faisant du vélo devant un panneau d'affichage géant avec le portrait du révolutionnaire Ernesto "Che" Guevara à La Havane, à Cuba.
Une photo d'archives montre des Cubains faisant du vélo devant un panneau d'affichage géant avec le portrait du révolutionnaire Ernesto "Che" Guevara à La Havane, à Cuba.
©FILES / AFP

Bonnes feuilles

Jacobo Machover publie « La face cachée du Che » aux éditions Ekho, Dunod. Compagnon de route de Fidel et de Raúl Castro, le Che représente le symbole d’un chef militaire défendant les pauvres en tant qu’ambassadeur de Cuba. Sa fin tragique à l’âge de 39 ans a contribué à forger sa légende. Jacobo Machover a recueilli les témoignages d’anciens compagnons et de victimes du Che. Loin du héros romantique, il se révèle un stalinien fanatique, fasciné par la mort et adepte de la terreur. Extrait 1/2.

Jacobo Machover

Jacobo Machover

Jacobo Machover est un écrivain cubain exilé en France. Il a publié en 2019 aux éditions Buchet Castel Mon oncle David. D'Auschwitz à Cuba, une famille dans les tourments de l'Histoire. Il est également l'auteur de : La face cachée du Che (Armand Colin), Castro est mort ! Cuba libre !? (Éditions François Bourin) et Cuba de Batista à Castro - Une contre histoire (éditions Buchet - Chastel).

 

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La plus énigmatique des rencontres du Che a donné naissance à un écrit prophétique, longtemps occulté, cependant, par ses plus tardives professions de foi révolutionnaires.

Guevara, une fois rentré à Buenos Aires après son premier voyage à travers l’Amérique latine, rédigea ses « Notes de voyage », à l’origine de la publication posthume de Carnets de voyage, dont s’inspire en partie le film éponyme de Walter Salles. À la fin de ces notes apparaît un écrit, auquel le film ne prend même pas la peine de faire allusion, intitulé « Annotation en marge ». Tout le destin du Che s’y trouve annoncé.

Il y mentionne la rencontre nocturne, dans un village de montagne d’un des pays qu’il a traversés mais qu’il ne nomme pas, avec un mystérieux personnage dont il ne décrit que les yeux et les quatre dents de devant. De sa personnalité il note : « Tout jeune, il avait fui un pays d’Europe pour échapper au couteau dogmatique. » S’agit-il d’un fugitif d’un pays autrefois sous le joug de la barbarie nazie ou d’un réfugié d’une nation dominée à l’époque par le stalinisme ? Guevara ne le précise pas, à dessein. L’étrange expression « couteau dogmatique » semble faire davantage référence au communisme en vigueur dans les pays de l’Est. Mais l’homme, qui « devançait l’histoire », reste encore et toujours un révolutionnaire, malgré son exil. Guevara en fait un visionnaire, capable de déterminer sa propre destinée ou, du moins, de lire l’avenir qui sera le sien.

Ce texte, tout comme l’ensemble de ses Carnets de voyage, ainsi que son journal relatif à sa deuxième expédition latino-américaine, est demeuré dans les archives du Centro de estudios Che Guevara, sous le contrôle du Comité central du Parti communiste de Cuba, jusqu’en 1993, après la chute du mur de Berlin en 1989 et l’implosion de l’Union Soviétique en 1991, alors que la révolution cubaine était elle-même déliquescente, du fait des pénuries de la « période spéciale en temps de paix », consécutive à l’effondrement du bloc de l’Est. Les remarques de Guevara sont peu orthodoxes si l’on se réfère à la théorie marxiste, autant par leur indigence théorique que par son individualisme proclamé et, surtout, par le caractère halluciné de la violence qu’il préconise. Il ne s’agit pas, en effet, d’une violence de classe, même s’il mentionne en conclusion le « prolétariat triomphant », mais de l’affirmation orgueilleusement sadique et barbare d’un jeune homme irrésistiblement attiré par une irréfrénable pulsion de mort. Qu’on en juge :

« (…) je savais maintenant… je savais qu’au moment où le grand esprit directeur diviserait l’humanité en à peine deux fractions antagonistes, je serais du côté du peuple. Et je sais, car je le vois gravé dans la nuit, que moi, l’éclectique disséqueur de doctrines et le psychanalyste de dogmes, hurlant comme un possédé, je prendrai d’assaut les barricades ou les tranchées, je teindrai mon arme dans le sang et, fou furieux, j’égorgerai tous les vaincus qui tomberont entre mes mains. Et comme si une immense fatigue réprimait ma récente exaltation, je me vois tomber, immolé à l’authentique révolution qui standardise les volontés, en prononçant le mea culpa édifiant. Je sens déjà mes narines dilatées, savourant l’âcre odeur de la poudre et du sang, de la mort ennemie. Je raidis déjà mon corps, prêt à la bataille et je prépare mon corps comme une enceinte sacrée pour qu’y résonne, avec de nouvelles vibrations et de nouveaux espoirs, le hurlement bestial du prolétariat triomphant. »

L’on peut comprendre l’émoi que peut provoquer aujourd’hui un texte comme celui-ci. Il y en a d’autres, beaucoup d’autres, dans les écrits et les discours de Guevara, jusqu’à sa mort en 1967.

Il est possible, naturellement – et nombre d’exégètes ne se privent pas de le faire – d’interpréter ces paroles comme la marque d’une confiance sans limites dans la victoire du « peuple » ou du « prolétariat », deux notions qui sont loin d’être des synonymes dans la théorie marxiste-léniniste. Mais le jeune Ernesto Guevara ne s’identifie guère aux dogmes ni même aux masses, censées être le moteur de la révolution. Il se voit comme un « possédé », un « fou furieux », dans un éclair sidérant d’auto-analyse. Il faut sans doute un grain de folie pour être révolutionnaire, et ses différents mentors, l’étrange prophète de la montagne puis Fidel Castro, n’en manquent pas. De là à assumer cette caractéristique comme étant constitutive de sa personnalité, seul quelqu’un qui n’était pas encore – et qui ne l’a jamais vraiment été – encadré dans le carcan de la discipline communiste pouvait le crier ainsi, haut et fort.

Et puis il y a le goût du sang. Prendre « d’assaut les barricades et les tranchées » peut faire partie de la mythologie des mouvements sociaux et des révolutions européennes des XIXe et XXe siècles.

Mais il y a aussi cette terrifiante affirmation : « J’égorgerai tous les vaincus qui tomberont entre mes mains. » Guevara n’a pas pratiqué cette modalité du meurtre. Il a remplacé le poignard, l’épée ou le sabre de ses rêves par son propre pistolet, dans la guérilla, ou par les fusils des pelotons d’exécution de la forteresse de La Cabaña, une fois au pouvoir à Cuba. D’autres, les terroristes islamistes mais aussi les « narcos » de la drogue, le feront à sa place bien plus tard, sous les yeux horrifiés de l’humanité.

Le sentiment de toute-puissance est là, en germe, chez le futur commandant victorieux. L’« âcre odeur » du sang, que fait jaillir la poudre et non plus la lame, est constamment présente dans ces lignes. La mort aussi, la « mort ennemie ». Il appelle de ses vœux le meurtre, sachant parfaitement caractériser la jouissance physique, qui se manifeste par la sensation des « narines dilatées » que provoque le meurtre des « ennemis vaincus », et par ces hurlements, de jouissance eux aussi, qui reviennent comme l’un des nombreux leitmotivs de ce texte.

Guevara, dans un éclair de lucidité, envisage son propre sacrifice sur l’autel de l’« authentique révolution », c’est-à-dire une révolution communiste parvenue au pouvoir, qui le pousserait à s’immoler. Tel est son désir, tel sera son destin.

Le propos de son interlocuteur montagnard est tout aussi édifiant. Il s’agit là peut-être de sa scène primitive, celle qui le marquera à jamais, avant sa rencontre décisive avec Fidel Castro au Mexique, en 1955. Guevara suivra le destin que lui prévoit le mystérieux personnage. Ses paroles ont une valeur prémonitoire que le jeune aventurier va suivre pratiquement à la lettre :

« Toutes ces victimes, tous ces inadaptés, vous et moi par exemple, mourront en maudissant le pouvoir qu’ils ont contribué à établir au prix de sacrifices parfois immenses. Car la révolution, sous sa forme impersonnelle, leur ôtera la vie et se servira de leur souvenir comme exemple et comme instrument de domestication de la jeunesse montante. »

La prédiction est si précise que l’on pourrait croire ces paroles reconstituées après-coup, après la mort du Che et son élévation à la catégorie de mythe par la propagande castriste. Inadapté, Ernesto Guevara l’a sans doute été, toute sa vie. Victime, il ne l’a été que par rapport aux maîtres de Cuba, Fidel Castro et, aussi, son frère Raúl, toujours dans l’ombre de son aîné.

L’analyse politique, cependant, n’est pas l’élément fondamental du discours de l’ancien fugitif du « couteau dogmatique » : le Che ne sera jamais un dissident du mouvement communiste qui, au contraire, en fera l’un de ses symboles. Le plus frappant, c’est le sort qu’il lui assigne, que Guevara rapporte comme s’il s’agissait d’une prophétie auto-réalisée :

« (…) je saurai que vous allez mourir le poing tendu et la mâchoire serrée, parfaites illustrations de la haine et du combat, car vous n’êtes pas un symbole ou quelque chose d’inanimé que l’on prend pour exemple (…) »

Dans cette « Annotation en marge », est décrit le chemin tout tracé de Che Guevara, mais pas vraiment pour ce qui est des circonstances de sa mort, qui ne s’est pas produite au combat, contrairement au souhait qu’il avait toujours formulé, seulement après sa reddition et sa capture par les rangers boliviens, à la suite de quoi il fut assassiné.

Extrait du livre de Jacobo Machover, « La face cachée du Che », publié aux éditions Ekho, Dunod

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