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La difficile naissance du mot socialiste
©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Bonnes feuilles

Jean-Pierre Deschodt publie "La face cachée du socialisme français" aux éditions du Cerf. À l'heure où le PS est en crise, ce livre exhume les sources contradictoires et embarrassantes de la pensée socialiste. Et si l'impasse était originelle ? Extrait 1/2.

Jean-Pierre Deschodt

Jean-Pierre Deschodt

Professeur des Universités, Jean-Pierre Deschodt est également directeur du département d'histoire de l'ICES, l'Institut catholique de Vendée.

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Le vocabulaire est l’une des clefs de l’histoire des idées, car on pense avec des mots et tant que le mot n’apparaît pas, la notion n’existe pas, reflétant également la performativité du langage politique. Ceux qui, en politique, font preuve d’innovation sémantique, enregistrent les premiers balbutiements d’une nouvelle force dont le succès justifie l’intérêt qu’on leur porte. Être le premier à ressentir une chose ou repérer un phénomène inédit en le désignant d’un mot nouveau, ne va d’ailleurs pas sans griser son auteur. À l’occasion d’une série de cours publics dispensés en 1882, l’économiste Paul Leroy-Beaulieu s’interroge sur l’existence d’un nouveau système se distinguant du socialisme en général et du communisme en particulier:

Pourquoi ai-je employé le mot collectivisme qui n’a pas laissé que d’étonner sur l’affiche du Collège de France? Pourquoi ce néologisme, qui ne se trouve dans aucun dictionnaire? Pourquoi n’ai-je pas pris des termes plus anciens, plus connus, ayant droit de cité et, en quelque sorte, de bourgeoisie comme ceux de socialisme et communisme?

Toutes ces questions attestent le travail difficile consistant à identifier et à rendre visible une réalité à la fois nouvelle et pour cela difficilement repérable, qu’aucun terme en usage ne saurait subsumer de façon satisfaisante. Il arrive que plusieurs auteurs s’attribuent la paternité d’un même néologisme et suscitent alors une controverse. C’est le cas de l’économiste Louis Reybaud et de l’homme de lettres Pierre Leroux revendiquant tous deux la création morphologique des mots «socialistes» et «socialisme». Dès 1753, le terme latin socialistae est signalé dans les écrits de l’abbé du monastère d’Ensdorf, Anselmo Dèsing. Douze années plus tard, un autre bénédictin, Ferdinando Facchinei, introduit la traduction italienne du terme dans les «Note e observazioni sul libro intitolato Dei Delitti e Delle Pene», revue critique du célèbre ouvrage de Cesare Beccaria, «Des délits et des peines». Les Socialisti désignent les partisans de Rousseau qui défendaient la thèse selon laquelle à l’origine des sociétés humaines se trouvait un contrat social par lequel les hommes jusqu’alors libres et égaux se seraient liés. C’est certainement à la suite de cette publication que, la décennie suivante, l’abbé Sieyès,le législateur du Tiers État, utilise, dans un de ses manuscrits inédits, l’expression de «Traité du socialisme» auquel il donna la définition suivante: «du but que se propose l’homme en société et des moyens qu’il a d’y parvenir». Un moine-philosophe de l’ordre des célestins, Appiano Buonafede, reprend en 1789 l’étiquette de «Socialisti» pour l’appliquer aux théoriciens du droit naturel, tels que Grotius, Pufendorf et Cumberland qui expliquent leur système à partir de la notion de sociabilité prise comme fondement de la loi naturelle. Enfin, c’est encore un moine, Giacomo Giuliani, qui publie au cours de l’année 1803 l’Antisocialismo confutato dans lequel il écorne Rousseau et tous ceux qui considèrent l’individu comme libre et autonome et possédant des droits antérieurs, supérieurs à ceux du groupe social et distincts d’eux. Lui-même est convaincu que la  condition naturelle de l’homme est la vie en société. Pour Giuliani, le socialisme est un terme qui fait contrepoids à l’individualisme en réfutant Rousseau. Il «voulait désigner les théories et les écrivains qui défendent l’ordre régnant de la propriété privée par opposition à l’antisocialisme, révolutionnaire parce qu’individualiste, dissolvant par conséquent les rapports sociaux naturels». Cette acception désoriente le lecteur habitué aux définitions postérieures du socialisme. En effet, il est assez inhabituel de voir associer le terme socialiste à la protection de la propriété privée et à l’action contre-révolutionnaire. Pourtant, un tel propos n’aurait sans doute ni gêné ni choqué les contemporains. En 1797, une lettre du révolutionnaire Jean-Baptiste Drouet, l’homme de l’arrestation du roi à Varennes et le compagnon de Gracchus Babeuf, précurseur du communisme, indique aux membres du directoire exécutif, son ambition.

Nous les républicains de la Marne avons le désir de me voir occuper le poste de commandant en chef de la gendarmerie. Celui qui occupe cette place est désigné comme un socialiste...

D’après l’analyse de l’historien Gustave Laurent, «socialiste» ne signifie alors rien d’autre que monarchiste. Par ailleurs, un retour en grâce permet à Drouet d’obtenir l’année suivante, un poste de commissaire. Fidèle à ses convictions, il souhaite dénicher les «réactionnaires» – dirait-on aujourd’hui – dans la municipalité de Reims, c’est-à-dire «surveiller les intrigues des socialistes fanatiques et émigrés qui abondent dans cette commune». Ce deuxième extrait atteste que le «socialiste» doit être considéré comme un authentique contre-révolutionnaire !

Extrait du livre de Jean-Pierre Deschodt, "La face cachée du socialisme français", publié aux éditions du Cerf.   

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