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La délicate posture de l'Europe et des Etats-Unis face à la main de fer de Xi Jinping et de la Chine
©NICOLAS ASFOURI / AFP

Bonnes feuilles

Sophie Boisseau du Rocher et Emmanuel Dubois de Prisque ont publié "La Chine e(s)t le monde, essai sur la sino-mondialisation" aux éditions Odile Jacob. Ce livre dévoile la stratégie du président Xi Jinping et du Parti communiste chinois pour placer la Chine au centre des flux mondiaux. Pékin modifie à son avantage un système international largement dessiné par l’Occident. Extrait 2/2.

Sophie Boisseau du Rocher

Sophie Boisseau du Rocher

Sophie Boisseau du Rocher est docteur en sciences politiques, chercheure associée au Centre asie IFRI. Elle travaille sur les questions politiques et géostratégiques en Asie du Sud-Est.

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Emmanuel Dubois de Prisque

Emmanuel Dubois de Prisque

Emmanuel Dubois de Prisque est chercheur associé à l'Institut Thomas More et co-rédacteur en chef de la revue Monde chinois nouvelle Asie.

 
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Dans une mondialisation qualifiée par le ministre français des Affaires étrangères de « sauvage », quel rapport entretenir avec une Chine dont les évolutions impressionnent autant qu’elles désarçonnent ? Ces dernières années, la Chine s’est déployée avec une assurance et une détermination qui tranchent avec sa retenue passée. Elle contraint l’Europe à constater le recul de ses positions et à sortir des débats manichéens qui évacuent la question centrale et déterminante : comment reformuler des règles communes pour gérer les interdépendances qui lient le monde ? Car si, finalement, la Chine n’est pas le monde, elle a du mal à trouver sa place dans le monde et la place que le monde peut occuper en elle.

La quadrature du cercle

Déstabilisés par la diplomatie musclée et impulsive d’un président Trump qui se transforme en liquidateur d’un ordre libéral mais pointe à juste titre des déséquilibres qui, bientôt, ne seront plus tenables, désorientés par les analyses contradictoires sur une puissance chinoise qui ne respecte pas ses engagements, manipule ou nie les faits et déconstruit les règles quand elles ne lui sont pas avantageuses, les Européens sont dubitatifs. À la fois inquiets des désordres produits par la rivalité sino-américaine qui les renvoie à un rang périphérique des affaires mondiales, attirés par le dynamisme de la Chine et ses invitations à relancer des dialogues bilatéraux, frustrés aussi par la difficulté à s’y implanter durablement et divisés sur les approches à suivre, ils tergiversent. À juste titre : si l’évolution de la puissance chinoise est perçue comme inévitable et potentiellement bénéfique, ses expressions sont considérées, sur des dossiers de plus en plus nombreux et sensibles, comme alarmantes. Dans un autre forum, Jean-Yves Le Drian juge la situation « grave, perturbante, incertaine et risquée » et admet craindre « le début d’un nouvel ordre mondial avec une tentation hégémonique ». 

La Chine comme l’Union européenne s’accordent sur l’idée que le système mondial, tel qu’il fonctionne depuis 1945, n’est plus opérant : formulé par des économies développées qui se relevaient après le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale, il n’intégrait pas les économies (alors) potentiellement émergentes, ni ne traitait de questions transnationales qui, à présent, concernent l’ensemble des acteurs. Plus personne aujourd’hui ne doute de la nécessité de mettre en place de nouvelles architectures, de formuler des gouvernances plus efficaces pour répondre aux défis de demain et de gérer ces interdépendances constitutives de nos performances économiques et, partant, de nos équilibres sociopolitiques. 

Pour plusieurs raisons, la tâche n’est pas facile. D’abord parce que contrairement à ce qui était envisagé au début des années 1980, la mondialisation n’a pas uni le monde ; elle a à l’inverse créé de multiples fragmentations, craquements et contradictions que les règles de la grammaire post-Seconde Guerre mondiale ne permettent plus, on vient de le souligner, de régler. Ensuite, parce que l’unipolarité américaine ne correspond plus à la réalité d’un monde qui la défie et avec lequel elle a de plus en plus de difficultés à composer. Enfin, parce que l’oligarchie mondiale qui s’est constituée par défaut ressemble plus à un bricolage transitoire qu’à une construction structurante. Le monde de demain – 2050 – c’est celui où la Chine assurera 20 % du PIB mondial, l’Inde 15 %, les États-Unis 12 % et l’Europe un petit 9 % et où sept des plus grandes économies pourraient être des économies aujourd’hui émergentes. Les intégrer dans les circuits décisionnels avant que ne soient créés des circuits alternatifs relève du bon sens ; le poids économique de la Chine dans le monde aujourd’hui transforme ses pratiques en une mécanique prescriptive. 

L’ambition de mettre en place de nouvelles architectures s’oppose cependant à des approches fort différentes du multilatéralisme. Le bien commun de l’humanité n’a pas la même définition pour Xi Jinping, pour Emmanuel Macron ou Matteo Salvini. Dans ce contexte, décider ensemble avec quels principes, pour quelles finalités et à quel niveau poser ces cadres s’apparente à rechercher la quadrature du cercle.

Face à la sino-mondialisation : une démondialisation made in USA ?

À ce stade, les réponses divergent. Celles de l’administration Trump surprennent alors qu’elles sont dans la logique d’un programme annoncé, America first oblige. 

Le PCC a d’abord pensé que l’élection de Donald Trump était une bonne nouvelle : sa réputation de businessman, de faiseur de deal, son indifférence aux droits de l’homme, sa critique de l’ingérence et même son inexpérience politique plaisaient à Pékin, qui imaginait qu’il serait facile de s’entendre avec lui, voire de le manipuler. Réciproquement, Pékin ne redoutait rien tant que l’arrivée au pouvoir de Hillary Clinton, réputée pour son intransigeance sur la question des droits de l’homme et pour son franc-parler. 

Le désenchantement ne s’est pas fait attendre. Donald Trump, élu notamment grâce au soutien des classes populaires américaines souffrant de la globalisation économique et de la dure concurrence avec la Chine, cherche à renverser la table du jeu du libre-échange tel qu’il existe. Sous l’influence de plus en plus exclusive de son conseiller pour les questions commerciales et industrielles Peter Navarro, le président américain use des sanctions commerciales pas tant pour amener la Chine à la table des négociations et obtenir d’elle un compromis que pour éviter que ne se mette en place de façon durable une économie internationale qu’elle dominerait. 

Donald Trump marque une rupture par rapport aux administrations précédentes. Navarro, dans un livre de 2011 intitulé de façon éloquente Death by China, a bousculé les tabous qui empêchaient les économistes américains de remettre en cause les dogmes du libre-échange qui s’étaient imposés dans l’après-guerre. Peter Navarro va encore plus loin en évoquant « l’amoralité » de la Chine communiste, qu’il qualifie « d’enfer totalitaire ». En égrainant les différentes façons dont la Chine est susceptible de provoquer « la mort » des États-Unis (par la nourriture empoisonnée qu’elle y exporte, par la manipulation de la monnaie, par l’accaparement des matières premières, par la complicité et la coopération des grands groupes américains avec le Parti, par la construction d’une marine de guerre, etc.), cet ouvrage rend manifestes les peurs dont souffre la première puissance mondiale. Le colossal excédent commercial chinois – quelque 350 milliards de dollars par an – aurait coûté entre 2 et 3 millions d’emplois aux États-Unis en vingt ans. La place prise par la Chine dans l’économie américaine et la déstabilisation induite deviennent la source d’une angoisse qui atteint les États-Unis jusqu’en leur existence même. 

Plus encore que sa montée en puissance, c’est l’interdépendance de la Chine et des États-Unis qui est dorénavant perçue comme dangereuse. On comprend dès lors que la politique de Donald Trump vise moins à rééquilibrer le mariage contracté dans les années 1970 entre les deux puissances, et dont la Chine a largement profité, que d’obtenir le divorce, dans des conditions aussi favorables que possible.

Extrait du livre de Sophie Boisseau du Rocher et Emmanuel Dubois de Prisque, "La Chine e(s)t le monde, essai sur la sino-mondialisation", publié aux éditions Odile Jacob. 

A lire aussi sur Atlantico, l'entretien d'un des auteurs : Emmanuel Dubois de Prisque  : "Notre dépendance au marché chinois risque d’en générer une autre beaucoup plus grave, géopolitique voire civilisationnelle"

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