La critique & les questions, c’est le populisme : LREM ou La Raison En Monopole ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Gérald Darmanin lors du Forum de l'Islam en France, organisé par le ministère de l'Intérieur, au Palais de Iena à Paris, le 5 février 2022.
Gérald Darmanin lors du Forum de l'Islam en France, organisé par le ministère de l'Intérieur, au Palais de Iena à Paris, le 5 février 2022.
©GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Monopole de la raison

Mardi 8 février, Gérald Darmanin s'est montré fortement agacé par les questions d'Apolline de Malherbe, lors de l'interview politique de RMC et BFMTV. Cette réaction du ministre de l'Intérieur est-elle symptomatique d'une République en Marche qui cherche à tout prix à s'arroger le monopole de la raison ?

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Atlantico : Face aux chiffres avancés par Apolline de Malherbe, Gérald Darmanin s'est fortement agacé, incitant cette dernière à se calmer. Comment analyser cette séquence ? Faut-il voir dans cette réaction une difficulté du ministre à accepter les faits quand ils sont contraires à sa vision des choses ?

Arnaud Benedetti : C’est surtout lui qui a perdu son calme! La journaliste était dans son rôle. Il a voulu lui faire perdre la face . Résultat : l’image ministérielle sort fortement abîmée de cet épisode. C’est une stratégie de sauve-qui-peut, aussi obsolète que toutes les rhétoriques du déni . À l’épreuve des chiffres de son propre ministère , le ministre est confronté à une mise en abime qu’il entend esquiver en provoquant son intervieweuse . C’est une communication de "petit caïd", ni plus ni moins, sauf qu’il oublie qu’en s’adressant ainsi à une journaliste sur le registre du "ça va bien se passer" il active une tonalité éminemment malsaine qui lui sera inévitablement et légitimement reprochée . Gérald Darmanin a la ruse trop visible et cela finit par nuire ; il est en soi ce que les commentateurs aiment que de trop - un politicien roué, madré, habile et ce que l’opinion goûte de moins en moins, c’est-à-dire quelqu’un dont les convictions apparaissent indexées sur un plan de carrière. Le problème pour le ministre est bien dans le hiatus entre sa communication sur son bilan et la réalité objective de la situation qui contredit cette dernière . L’exécutif est à front renversé de la rhétorique de la raison qu’il s’efforce d’ériger en carapace de sa posture : l’insécurité est une réalité , loin de la subjectivité du ressenti décrite par exemple du Garde des Sceaux ; le gouvernement lui a le "sentiment" de faire le job , mais les données objectives disent manifestement autre chose. Le registre subjectif dans cette séquence est bien celui de Darmanin et non celui d’Apolline de Malherbe qui a tout simplement souligné et rappelé l’impensé initial du macronisme sur la question régalienne. 

Plus largement, La République en marche n’a-t-elle pas trop tendance à s'arroger le monopole de la raison et à renvoyer ses adversaires à la déraison, au complotisme, au populisme ou au militantisme ? À quelles occasions cela s'est-il déjà manifesté ? Comment expliquer ce phénomène ? 

C’est une défense pavlovienne, politicienne , utilisatrice d’une boîte de pandore artificielle où les maux dénoncées - populisme, complotisme - n’ont d’autre objet que de corneriser par l’excommunication toute forme d’esprit critique en l’associant à une forme de représentation morale , parfois factice du mal. Ce processus, comme tout processus inquisitorial, réactive les figures de l’ennemi vues par le mainstream politico-médiatique . Cette ossification schmittienne est caractéristique d’un stock d’arguments qui s’amenuise et se démonétise. Or le populisme est d’abord une inquiétude relative à la perte de substance du politique et de sa capacité à agir ainsi que l’expression d’un sentiment de dépossession indissociable de ce que l’on appelle la crise de la représentation. On transforme des conséquences en causes , on s’appuie sur des mots-valises , empreints d’une dimension péjorative. Il existe ainsi des entrepreneurs de la dénonciation qui préparent les cadres idéologiques à l’efficience de celle-ci et dont les professionnels de la politique vont user et abuser. Discréditer est certes une vieille pratique propre aux luttes politiques ; elle tend à occuper une place à tout le moins grandissante dans le champ et l’espace politique du côté de forces de gouvernement dont on aurait pu imaginer que leurs racines libérales les immuniserait pour une part de cette tentation. Tout le problème c’est que ces adversaires déclarés des populistes sont tout autant illibéraux que ces derniers ; tout le problème est que ces partisans auto-proclamés de la rationalité et du combat contre les conspirationnismes ont investis eux aussi les pentes dangereuses de la post-réalité et de la communication en lieu et place de l’argumentation . 

Qu'est cette manière de discréditer ses interlocuteurs nous dit de la conception du pouvoir et de la politique de LREM ? Est-ce la traduction dans la majorité présidentielle du Saint-simonisme souvent relevé chez Emmanuel Macron ?

Les marcheurs sont le point d’acmé de la pensée dominante de ces trente dernières années : un saint-simonisme techno-comptable, qui fait de ces deux formes politiques de la modernité occidentale que sont l’Etat-Nation d’une part et la démocratie libérale de l’autre des variables d’ajustement à la globalisation. La difficulté c’est que cette doctrine dont l’irréversibilité était associée à une rationalité indiscutable est mise à l’épreuve par les faits et les développements historiques les plus récents. La mondialisation n’est pas plus heureuse qu’elle n’est une garantie de sécurité, de protection et de liberté . La société ouverte " planétaire " peut s’avérer être conflictuelle, menaçante , et y compris hyper- surveillante sans comparaison avec des sociétés moins ouvertes que du passé . Une argumentation en difficulté, invalidée par les évènements et les dynamiques historiques lorsqu’elle n’a plus que la disqualification de ses opposants pour essayer de se maintenir n’est plus qu’une étoile morte qui continue certes à émettre encore un peu de lumière, mais qui de facto est un astre disparu. Le macronisme sur la distance pourrait être une queue de comète . Macron tente une glasnost ou une pérestroïka pour sauver un système dont la crise sanitaire aura mis au grand jour l’inaptitude à protéger autrement les populations que par la contrainte à tendance illibérale et les mesures d’exception . Comme tout régime en fin de règne, et l’élection présidentielle ne change rien à cet affaiblissement, y compris en cas de réélections du sortant , celui-ci déligitime toute objection , bien des oppositions en caricaturant ces dernières , voire en les "pathologisant". C’est tout autant inquiétant que révélateur et symptomatique d’une sortie du sillon démocratique. 

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