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La communauté internationale, spectre insaisissable mais hyperactif
©Reuters

Bonnes feuilles

Devant l'incapacité des diplomaties contemporaines à penser les questions de sécurité collective autrement qu'à court terme, et sous l'angle étroit d'intérêts nationaux ou régionaux, ce manuel se propose d'ébaucher les pistes concrètes d'une nouvelle approche de la paix. Extrait de "Mémoire de paix pour temps de guerre", de Dominique de Villepin, aux éditions Grasset 2/2

Dominique de Villepin

Dominique de Villepin

Dominique de Villepin est diplomate de formation, ancien Ministre des Affaires Etrangères (2002-2004), Ministre de l’Intérieur (2004-2005) et Premier Ministre (2005-2007). Dans ce voyage à travers un monde en feu, à contre-courant de l’esprit du temps et sans concession, il fait partager son expérience, ses convictions et sa vision, traduisant l’engagement et la passion de toute une vie.

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Où est la communauté internationale ?

Un spectre hante la mondialisation… La communauté internationale. Toujours invoquée, personne ne l’a vue, per‑ sonne ne l’a entendue. De bons esprits en rejettent l’existence même, expliquant que seuls comptent les rapports de force entre puissances. Pourtant, quelque chose transcende bel et bien les parties du tout, qui s’exprime dans des consensus momentanés autour de certaines valeurs et à l’occasion de crises ponctuelles.

Quelle est cette « communauté internationale » ? Peut-­on se situer en dehors d’elle ? Nul ne peut exciper d’une charte d’appartenance à cette communauté. La reconnaissance mutuelle et tacite prévaut. Deux formes de cette recon‑ naissance émergent cependant. La première procède d’une appartenance à l’humanité commune, d’une solidarité naturelle de l’espèce. La deuxième, plus concrète, se fonde sur le principe westphalien de l’égalité des nations entre elles. Il s’agit donc d’une sorte de grammaire des relations internationales qui, sans empêcher les fautes de syntaxe ou les licences poétiques, n’en fixe pas moins des règles d’intelligibilité réci‑ proque qui facilitent le dialogue et la communication.

Aucune puissance, aucune instance ne saurait avoir la légitimité de décider durablement de l’éviction d’un tiers hors de la communauté internationale. Nier l’existence d’un État, d’un peuple, d’un territoire, n’a aucun sens. On peut, certes, écarter un État des circuits de délibération et d’échanges au travers de sanctions. On peut, en guise de punition, faire comme s’il n’existait pas, le couper de toutes relations diplomatiques. Mais, en réalité, cela ne s’applique jamais totalement. La Corée du Nord, qui est pourtant le plus isolé des États, entretient toujours des relations avec la Chine et, d’une manière ou d’une autre, avec la Corée du Sud. Elle demeure même membre des Nations unies depuis 1991 et ce, en dépit de la multitude de sanctions dont elle est frappée. Des relations formelles rompues n’empêchent pas d’autres canaux de prendre le relais.

Un ectoplasme hyperactif

Qui parle pour la communauté internationale ? Quel est son numéro de téléphone, pour paraphraser Henry Kissinger au sujet de l’Europe ? L’ironie ne change rien à l’affaire. Cette communauté est parfois incarnée par les Nations unies, mais celles-­ci sont, pour l’essentiel, son embryon historique et sa pointe émergée. Au jour le jour, elle est davantage le consensus formel ou informel, explicite ou tacite, de l’ensemble des États du monde sur une situation particu‑ lière. Le plus souvent, ce consensus repose sur un nombre limité d’acteurs significatifs, soit par leur puissance, soit par leur implication dans une crise donnée. Elle peut prendre la forme de groupes de contact, de formations ad hoc, de réunions ponctuelles. Ainsi permet-­elle des formats variables, en équilibre toujours instable entre l’efficacité et la légitimité, G7 ou G8, G20 ou encore G77. Tant qu’il n’est pas démenti par l’opposition d’autres acteurs significatifs, le consensus demeure en vigueur. Principe d’action, plutôt que principe de droit, cette méthode d’avancée collective propose un moteur de concertation et de décision multilatérale. À vrai dire, on pourrait inverser la charge de la preuve en affirmant que la diplomatie interétatique n’existerait pas sans cette idée régulatrice de communauté internationale. Tous les États agissent en fonction d’elle, ne serait-­ce que pour éviter d’être mis à son ban, ce qui entraînerait des conséquences symboliques autant que matérielles.

L’enjeu de l’État palestinien pose la question différem‑ ment. Peut-­on rester indéfiniment dans les limbes de la com‑ munauté internationale ? Il serait pourtant dans l’intérêt de tous d’intégrer pleinement la Palestine. Cela marquerait une reconnaissance réciproque et donc l’acceptation de règles communes. Aujourd’hui, la volonté d’appartenance exprimée par les dirigeants et le peuple palestiniens, avec le soutien d’une très large majorité des membres des Nations unies, constitue un pas en avant. Elle offre une intégration morale et ouvre la voie à une reconnaissance juridique qui parachèverait une nécessaire évolution. Le plus difficile reste cependant à faire : s’entendre sur la nature même et les formes de cet État palestinien, capable de vivre en paix côte à côte avec Israël.

Plusieurs événements récents ont mis au jour ce statut singulier et hybride d’État qui n’en est pas tout à fait un. En 2011, l’Autorité palestinienne est devenue le 195e membre de l’UNESCO. En novembre 2012, elle s’est vu accorder par l’assemblée générale de l’ONU un nouveau statut, celui d’observateur, à une majorité substantielle de cent trente-­huit voix sur cent quatre-­vingt-huit. De même, cent trente-­cinq pays reconnaissent aujourd’hui l’État palestinien et plu‑ sieurs résolutions parlementaires, à l’image de celle adop‑ tée à l’Assemblée et au Sénat français en 2014, appellent les gouvernements à poursuivre l’initiative. Néanmoins, la Palestine conserve un statut indécis, dont rien ne dit qu’il aboutira prochainement à une reconnaissance de l’ONU tant les oppositions de certains acteurs sont encore fortes.

Les contours de la communauté internationale résultent lar‑ gement de rapports de force entre les États et de visions idéologiques ou morales des relations internationales. Par intérêt ou conviction, certains sont tentés de privilégier une conception limitative et figée de cette communauté quand celle-­ci devrait par essence se faire accueillante, selon la conviction que les interactions entre les États et les sociétés nourrissent, à travers une dynamique d’échanges, un pro‑ cessus de civilisation pour le plus grand bénéfice de tous.

Extrait de "Mémoire de paix pour temps de guerre", de Dominique de Villepin, aux éditions Grasset, novembre 2016. Pour acheter  ce livre, cliquez ici

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