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La Commission met la Pologne à l'index mais l'UE pourrait-elle se permettre un Poxit ?
©Reuters

Poker menteur

Les conservateurs au pouvoir en Pologne ont défié la Commission européenne en votant une loi plutôt controversée sur la Cour suprême.

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Atlantico : Dénoncée par l’opposition comme un « coup d’Etat » réduisant l’indépendance de la justice. Ce n'est pas la première fois que l'UE est en froid avec le gouvernement polonais. Aujourd'hui, Varsovie risque-t-elle d'être mise au ban de l'UE ?

Florent Parmentier : En Pologne comme dans tout pays en transition, la question de l'indépendance de la justice reste un problème fondamental pour tout Etat s'acheminant vers un système démocratique. L’indépendance de la justice du pouvoir politique est l’une des conditions de l’avènement d’un Etat de droit dans les anciennes démocraties populaires. 

Comme j’avais pu le montrer dans mon ouvrage Les chemins de l’Etat de droit (Presses de Sciences Po, 2014), cette émergence de l’Etat de droit concerne tant des institutions que des hommes, une mécanique qu’un esprit ; or, si changer de Constitution peut prendre seulement quelques mois, changer d’état d’esprit peut réclamer plus de temps. En changeant les règles de fonctionnement de la Cour suprême, le pouvoir polonais ne joue plus selon les règles, mais avec les règles. Il contribue à créer un terrain de jeu inégal entre la majorité, qui estime avoir tous les droits de par l’onction du suffrage universel, et l’opposition qui dénonce depuis le retour du PiS au pouvoir les reculs de l’Etat de droit. Là où au cours des années 1990 les élites d’Europe Centrale voyaient une opinion publique considérer l’Europe comme un moyen de les contrôler, une partie des élites centre-européennes jouent aujourd’hui l’humeur de la population (et notamment des déclassés de la transition) contre les institutions de Bruxelles. Ce trait ne se limite pas aux pays centre-européens, mais ils font valoir cette ligne au niveau européen. 

L’arrivée du PiS au pouvoir en automne 2015 a suscité une certaine méfiance de la part des institutions européennes. Le Commissaire Frans Timmermans s’est exprimé clairement ces derniers mois à ce sujet, au point de devenir pour Gazeta Wyborcza l’homme de l’année 2017, qui voit en lui le « porte-parole de la démocratie » en Pologne. 

Varsovie risque-t-elle pour autant de se retrouver mise au ban de l’UE ? Rien n’est moins sûr, tant la Pologne reste un Etat important. Le pays pourrait toutefois se trouvé marginalisé par rapport à un duo franco-allemand en passe de retrouver une certaine efficacité. 

Cyrille Bret : Sur le plan idéologique, le parti conservateur PiS au pouvoir en Pologne, a choisi de placer le pays à la pointe de plusieurs débats et combats internes à l’Union européenne. En matière de protection des minorités (politiques, sexuelles, etc.), le PiS défend un modèle démocratique divergent de l’Etat de droit : le contrôle par les institutions judiciaires, les contre-pouvoirs attribués à l’opposition parlementaire, les garanties apportées aux médias sont affaiblies, au nom d’un culte tout rousseauiste de la majorité. En d’autres termes, les minorités ont tort du fait même qu’elles ne sont pas la majorité. Cela se traduit sur le plan institutionnel et géopolitique au sein de l’UE : la Pologne du PiS a repris le flambeau du souverainisme, de l’anti-fédéralisme et de l’euroscepticisme laissé par le Royaume-Uni après  le Brexit alors même que la Pologne sort de deux décennies d’europhilie aiguë matérialisée par le fait que le pays est le premier récipiendaire des fonds structurels européens.

En d’autres termes, sur le plan idéologique et géopolitique, le PiS à choisir d’animer un front interne à l’UE, en rupture avec les précédents gouvernements polonais.

Quelles seraient les conséquences pour l'Union Européenne si la Pologne venait à quitter l'UE ? L'UE peut-elle vraiment se le permettre un "Poxit" ?

Florent Parmentier : Il est vrai que les dirigeants polonais actuels ont fait part de leurs divergences politiques avec les autorités de Bruxelles, préférant proposer le modèle d'une Europe des nations. Ce constat n'est guère surprenant si l'on considère que la Pologne pense avoir recouvert son indépendance en 1989, en sortant du bloc de l’Est. 

Toutefois, si la critique de Bruxelles est facile, les dirigeants polonais au pouvoir ne pensent en aucun cas à sortir de l’Europe, ce qui constituerait un problème de sécurité et affaiblirait son discours euro-atlantique. Sans l’Union européenne, la Pologne ne pourrait ni espérer influencer le jeu de l’Allemagne, ni espérer infléchir la position européenne à l’égard de la Russie, obsession polonaise par excellence. Le scénario d’un « Poxit » paraît de fait hautement improbable. La Pologne cherche davantage à peser sur l’Union européenne qu’à l’infléchir. 

Cyrille Bret : Une Europe sans la Pologne serait sur le point d’éclater. Le miracle économique polonais est un des plus grands succès des politiques d’intégration de l’UE. Aucun autre pays ayant adhéré en 2004 ne peut rivaliser avec la Pologne. Le pays est devenu tout à la fois un moteur économique pour l’Europe orientale, un poste avancé de la résistance à l’activisme russe, un vivier de renouvellement des élites bruxelloises avec la nomination de Donald Tusk, un facteur de puissance à l’est, un gage de l’atlantisme de l’UE… Le PiS sait que l’UE ne peut se passer de la Pologne et en joue. Qu’il n’oublie pas non plus que la Pologne ne peut pas davantage se passer de l’UE.

Outre l'article 7, la possibilité de lancer des « procédures d'infractions » contre Varsovie a été évoquée. Quelles seraient les conséquences de ces deux sanctions pour le pays ? 

Florent Parmentier : L’article 7 des traités de l’Union européenne concerne la possibilité de priver un Etat de ses droits de vote au Conseil : elle n’a pour le moment encore jamais servi, mais constituerait une mise au ban de l’Union européenne. Cette mise à l’écart entrainerait probablement un renforcement de la polarisation du débat en Pologne entre majorité et opposition, entre les Polonais connectés ayant profité de la transition et ceux qui se trouvent marginalisés. On peut en conclure que cela renforcera l’instabilité du pays. Quant à la possibilité de lancer les « procédures d’infraction » au droit de l’UE, elle est souhaitée par certains à la Commission, qui ne veulent pas être à nouveau accusés d’être trop conciliant comme elle en avait été accusé à propos des manœuvres de Viktor Orban. 

Une chose est sûre : le poids de la Pologne se trouvera amoindrie dans les prochains mois, quand bien même elle trouverait des alliés en Europe Centrale. L’incertitude provoquée par les tensions actuelles est encore renforcée par le départ du Royaume-Uni de l’Union européenne. 

Cyrille Bret : Pour la politique intérieure des deux pays, l’établissement de sanctions contribuerait sans doute, dans un premier temps, à renforcer les partis au pouvoir, le PiS et le Fidezs. En effet, les sanctions auraient pour effet de regrouper les opinions publiques autour de leurs dirigeants. Mais dans un second temps, les gouvernements en question seraient assurément contestés par les partis d’opposition sur le thème : le PiS et le Fidezs placent en situation de faiblesse la Pologne et la Hongrie dans l’économie de l’UE, dans la géopolitique du continent et dans les institutions de Bruxelles. Là encore, les dirigeants politiques de Pologne et de Hongrie voient leurs bénéfices à court terme mais oublie les conséquences de long terme.

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