La coalition internationale virtuelle : et si les Occidentaux ne faisaient plus rien contre l’Etat islamique, ça changerait quoi ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le déclenchement d'interventions aériennes n'ont stoppé l'avancée des troupes djihadistes qu'un temps.
Le déclenchement d'interventions aériennes n'ont stoppé l'avancée des troupes djihadistes qu'un temps.
©Reuters

Bombardement efficacité zéro ?

Depuis août 2014, la coalition des 60 pays contre l'Etat Islamique est entrée en action. Avec une force armée pareille, on pourrait s'attendre à une victoire éclatante et rapide contre l'EI, et pourtant, aux dernières nouvelles, c'est eux qui continuent leur avancée en Irak et en Syrie.

Pierre-Jean Luizard

Pierre-Jean Luizard

Pierre-Jean Luizard, historien, est chercheur au CNRS et membre du Groupe de sociologie des religions et de la laïcité (GSRL) à Paris. Spécialiste du Moyen-Orient, il a séjourné en Irak, au Liban, en Syrie, dans le Golfe et en Egypte. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont La Formation de l’Irak contemporain (CNRS Éditions, 2002) ; La Question irakienne (Fayard, 2002 ; nouvelle édition augmentée 2004) ; La Vie de l’ayatollah Mahdî al-Khâlisî par son fils (La Martinière, 2005) ; Le piège Daech (Ed. La découverte, 2015).

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Atlantico : Si le déclenchement des interventions aériennes en août 2014 ont sembler stopper l'avancée des troupes djihadistes, à quoi servent-elles concrètement aujourd'hui ? Que se passerait-il si les forces armées occidentales se désengageaient ?

Pierre-Jean Luizard : Un désengagement des pays de la coalition anti-Daech n’est pas pensable. Que signifierait-il ? Que l’Etat islamique, qui a déclaré la guerre aux démocraties occidentales, est victorieux… ? La question n’est pas de savoir s’il faut se désengager, mais comment s’engager. Les milliers de raids aériens en Irak et en Syrie ont permis la reprise de Tikrit et de régions mixtes arabo-turkmèno-kurdes et sunnites-chiites en Irak. Mais on ne gagne pas une guerre en se limitant à des frappes aériennes et en déléguant les combats au sol à des acteurs, peshmergas kurdes et armée irakienne secondée par les milices chiites, qui sont une part du problème et ne peuvent en aucun cas être la solution. De même qu’en Syrie, se reposer sur les forces du régime de Bachar al-Assad serait tomber précisément dans le piège que nous tend l’Etat islamique. On ne fera pas l’économie d’un engagement militaire au sol par les forces de la coalition anti-Daech.

Mais un tel engagement n’aura des chances de réussite que s’il est accompagné d’un volet politique. Il faut proposer aux populations arabes sunnites qui ont fait allégeance à l’Etat islamique mieux que ce que celui-ci leur offre aujourd’hui. D’abord en matière de sécurité, en leur garantissant qu’elles ne se retrouveront pas face à des milices chiites ou des armées avides de vengeance. Pour cela, il faudra assurer  qu’il n’y aura pas de retour à la situation ante et que les gouvernements de Bagdad et de Damas ne seront plus les autorités légalement reconnues dans leur région. Une sorte d’autonomie, qu’il s’agisse d’un cadre fédéral poussé à son extrême en Irak ou d’une gestion transitoire du morcellement des territoires en Syrie. La sécurité des populations des territoires reconquis sur l’Etat islamique ne pourra être garantie que par les forces de la coalition sur le terrain, en collaboration avec une future Garde « nationale » sunnite. Enfin, il faudra garantir  l’organisation de référendums sous supervision internationale pour que les populations puissent exprimer leur volonté : dans quel Etat souhaitent-elles vivre ? et dans quelles frontières ?

Dans l’immédiat, cela signifierait l’armement des tribus sunnites sans passer par le gouvernement de Bagdad. La création d’une sorte de Garde « nationale » sunnite en Irak, portée par un avenir politique crédible et acceptable, serait à même d’attirer les volontaires.

Cependant, une telle perspective comporte, il ne faut pas se le cacher, de nombreux risques. Elle serait une anticipation de la fin de l’Etat irakien unitaire que les chiites ont déjà refusée. Les chiites se retrouvent, en effet, les derniers défenseurs du temple « Etat irakien unitaire» où ils se savent majoritaires (alors qu’ils sont minoritaires au sein du monde arabe). Leur attitude « irakiste » a marqué l’histoire moderne du pays depuis la création de l’Etat en 1920 par les Britanniques. Le gouvernement central de Bagdad acceptera-t-il par ailleurs de se laisser dépouiller de sa souveraineté sur des régions qu’il considère comme siennes ? Les réactions violentes de la part des dirigeants chiites au vote par le Congrès américain d’un projet visant à armer directement Kurdes et Arabes sunnites comme s’il s’agissait d’ethnies indépendantes n’en est qu’un avant-goût. L’engrenage confessionnaliste a rendu difficiles en Irak les solutions politiques.

Depuis août 2014 et l'entrée en guerre de la coalition composée de 60 Etats, comment expliquer le manque d'effet des forces en action ?

La coalition se repose sur le terrain en Irak sur des forces communautaristes (chiites et Kurdes) qui doivent être prises en compte mais que l’on ne peut absolument pas présenter comme susceptibles de réunifier le pays dans un Etat souverain. Les Kurdes voguent vers une indépendance inavouée. Quant au gouvernement central de Bagdad, il est prisonnier de sa base confessionnelle chiite. Ce sont les milices chiites, et non pas l’armée, qui ont permis la défense de Bagdad en juin 2014, de même que la reprise de Tikrit et des villes dans la province de Diyala. Les raids aériens de la coalition anti-Daech ont réussi à contenir l’Etat islamique dans son expansion, surtout dans les régions à population mixte. Mais les djihadistes se sont adaptés à de nouvelles techniques de combat et leurs liens avec les populations locales sunnites, loin de s’étioler, se sont raffermis face à la menace des exactions des milices chiites. Pourtant, les conditions des premières semaines du régime de l’Etat islamique, qui avaient pu satisfaire beaucoup (retour de la sécurité, fin de la corruption…), ont, au fil des raids aériens, cédé la place à des pratiques qui contredisent les premières assertions de l’Etat islamique. Avec des moyens réduits, l’attractivité des djihadistes aurait pu s’amoindrir s’il n’y avait pas la haine confessionnelle.

Alors qu'en 2003 l'armée américaine s'engageait en Irak mobilisant son armée de terre sur place sans légitimité apparente, qu'est-ce qui les retient aujourd'hui d'envoyer des hommes au sol, alors que cette intervention pourrait se faire avec le soutien de troupes sur place ? A quoi une coalition arabo-occidentale pourrait-elle ressembler, et se mettre en place ?

L’administration Obama n’est pas prête à un réengagement en Irak, pays que les Américains ont quitté à leur grand soulagement en 2011 après avoir pris conscience que la reconstruction politique qu’ils avaient patronnée ne fonctionnait pas. Par ailleurs, l’Etat islamique n’est pas le régime de Saddam Hussein. La force de l’Etat islamique n’est pas militaire : elle repose sur l’effondrement des Etats arabes. S’il recule sur le terrain ici, l’Etat islamique renaîtra là. Le risque serait donc trop grand, aux yeux de Washington, de voir ses forces piégées sur un terrain où elles apparaîtraient comme à la tête d’une coalition « croisée », ce qui est précisément l’objectif de l’Etat islamique. Pourtant, il n’y a pas d’alternative face à l’Etat islamique, à la condition de mettre en avant un important volet politique permettant de dissocier les Arabes sunnites de l’Etat islamique.

Les tensions religieuses entre sunnites et chiites qui divisent la région ne sont-elles pas une limite à l'intervention des armées chiites irakiennes?  Et à plus forte raison, cette particularité des tensions ethniques ne justifient-elles pas à plus fortes raisons l'intervention d'une armée non confessionnelle ?

La paix ne pourra effectivement être assurée en Irak que par des forces non-confessionnelles (internationales). Washington semble en avoir une vague conscience lorsqu’il traîne les pieds pour armer une armée irakienne qui n’a plus rien d’une armée « nationale », alors que l’Iran forme et équipe sans limite les milices chiites qui sont la vraie force de frappe de Bagdad.

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