"La capture d'État" : l'Afrique du Sud rongée par la corruption<!-- --> | Atlantico.fr
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L'ancien président sud-africain Jacob Zuma, debout devant la Haute Cour de Pietermaritzburg, en Afrique du Sud, le 26 octobre 2021
L'ancien président sud-africain Jacob Zuma, debout devant la Haute Cour de Pietermaritzburg, en Afrique du Sud, le 26 octobre 2021
©JEROME DELAY / POOL / AFP

Le point de vue de Dov Zerah

Le 6 mars 2018, j’appelais votre attention sur la fin du Président Jacob ZUMA, acculé à partir, après neuf ans de règne marqués par le népotisme, la corruption et la dégradation de la situation économique et financière du pays

Dov Zerah

Dov Zerah

Ancien élève de l’École nationale d’administration (ENA), Dov ZERAH a été directeur des Monnaies et médailles. Ancien directeur général de l'Agence française de développement (AFD), il a également été président de Proparco, filiale de l’AFD spécialisée dans le financement du secteur privé et censeur d'OSEO.

Auteur de sept livres et de très nombreux articles, Dov ZERAH a enseigné à l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po), à l’ENA, ainsi qu’à l’École des hautes études commerciales de Paris (HEC). Conseiller municipal de Neuilly-sur-Seine de 2008 à 2014, et à nouveau depuis 2020. Administrateur du Consistoire de Paris de 1998 à 2006 et de 2010 à 2018, il en a été le président en 2010.

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La corruption sous le Président Jacob ZUMA a été telle qu’elle a entrainé la création d’une commission présidée par le juge Raymond ZONDO, qui a remis, après quatre ans, ses conclusions, 5 437 pages accessibles sur la toile. Basée sur 300 témoignages, cette contribution met en évidence la corruption systémique mise en place durant les mandats de Jacob ZUMA, un système dénommé « capture de l’État ».

Le constat, « un tableau de la corruption rampante à peine croyable » décrit de très nombreuses situations :

  • Les frères GUPTA sont accusés d’avoir détourné 3,5 Md€ avec l’aide de Jacob ZUMA. Le rapport de la commission Zondo décrit Jacob Zuma « comme le pantin de la fratrie… prêt à faire tout ce que les Gupta lui demandaient de faire ». La fratrie est suspectée d’avoir, avec ses partenaires, détourné 3,3 Md€ avec des contrats publics.

  • Les contrats frauduleux de la télévision publique et de la société ferroviaire

  • Les dérives des services spéciaux sud-africains

  • La mise en coupe réglée de l’électricien public ESKOM et de la compagnie aérienne South African Airways (SAA)

  • Le versement de fonds du prestataire de services Bosasa au Président Jacob ZUMA

Le grand déballage n’épargne personne. Tout le monde en prend pour son grade :

  • Jacob ZUMA, au premier chef

  • Créé par Nelson MANDELA, l’African national congress (ANC) au pouvoir depuis la fin de l’apartheid, est accusé d’avoir protégé Jacob ZUMA et « d’avoir pleinement profité du système »

  • Il est également reproché à l’actuel président, M. Cyril RAMAPHOSA, sa passivité alors qu’il était vice-Président de Jacob ZUMA.

Parmi les reproches adressés, l’absence de toute opposition au lancement d'un programme nucléaire de 9 600 MW, malgré les mises en garde du Trésor sud-africain. Au-delà des particularités de ce programme, le recours à l’énergie nucléaire parait inéluctable pour faire face aux besoins énergétiques du pays, estimés à 6 000 MW ; cette énergie serait facilitée par le fait que le pays est grand producteur d’uranium et permettrait de limiter à terme le recours au charbon, préjudiciable à l’environnement.

Le Président a fini par reconnaître d’avoir dissimulé un vol de 3,8 M€ cachés en liquide dans une de ses résidences.

Il avait promis une « aube nouvelle » à son arrivée ; maintenant, les Sud-Africains attendent sa réponse aux recommandations de la Commission.

Avec une d'une superficie de 1 219 602 km2 et une population de près de 60 millions d’habitants, l’Afrique du sud est un pays riche, immensément riche. Deuxième producteur mondial d’or, il assure les trois quarts de la production mondiale de platine…mais c’est également un grand producteur de charbon, de cuivre, de diamants, de nickel, d’uranium, de ferrochrome…

Avec un PIB de 350 Md€, l’Afrique du Sud est la deuxième économie la plus importante d'Afrique après le Nigeria qui a un PIB de près de 450 Md€. L’Afrique du Sud représente le quart du PIB de l’ensemble du continent.

Malgré de nombreuses fragilités, et notamment une dépendance disproportionnée vis-à-vis de l’industrie minière et de la finance, les deux décennies des années quatre-vingt-dix et deux mille à 5 % de croissance annuelle ont permis à l’Afrique du Sud d’être un maillon important de la chaîne de valeur minière mondiale, un fournisseur mondial de composants automobiles (sièges et pots catalytiques), un acteur régional majeur pour le commerce de détail…Elle a réussi à développer une agriculture commerciale performante, des entreprises panafricaines dans les secteurs énergétique, bancaire et financier…et à devenir un pays émergent ! Cela explique le S de l’acronyme BRICS pour caractériser le groupe des pays Brasil, Russia, India China et S pour South Africa. L’Afrique du sud est également membre du G20.

Mais depuis 2009, la croissance sud-africaine est en retrait, -1,5 % en 2009, -3 % en 2010, 3,3 % en 2011, 2,2 % en 2012, 2,5 % en 2013, 1,8 % en 2014, 1,2 % en 2015, 0,4 % en 2016, 1,4 % en 2017 et 0,8 % en 2018 ; cela donne une moyenne de annuelle de 1,7 %, moitié moins que la décennie précédente. Les causes du ralentissement économique sont nombreuses :

  • L’affaiblissement du cadre institutionnel notamment à cause des nombreuses péripéties juridico-politiques

  • Les tensions sociales, les grèves, les morts d’ouvriers

  • La mauvaise gouvernance des entreprises publiques

  • Bien que disposant avec ESKOM, d’un électricien de stature internationale, l’Afrique du Sud doit faire face à deux problèmes : une capacité de production insuffisante, ce qui entraine des délestages réguliers dans les grandes villes, et une dépendance trop forte à l’égard du charbon, ce qui crée de gros problèmes environnementaux.

  • Les goulots d’étranglement dus aux insuffisances ou manques d’infrastructures dans tous les domaines, ports, transports urbains et interurbains, gestion des déchets tant solides que liquides…, et plus particulièrement les carences de la production d’électricité

  • La corruption généralisée et le clientélisme.

Au-delà des conséquences de « la capture d’État », l’Afrique du sud est un des pays africains les plus touchés par la pandémie, avec 100 000 décès et moins de 10 % des habitants vaccinés ; le pays a enregistré une baisse de 7 % de son PIB en 2020.

Au-delà de ces problèmes spécifiques, les indicateurs macroéconomiques sont passés au rouge :

  • Une chute des investissements entrainant une baisse de la croissance potentielle et un cycle problématique

  • Une crise des entreprises publiques fonctionnant aujourd’hui avec d’importantes subventions de l’État

  • Un dérapage des finances publiques. Après un déficit moyen de 4,5 % du PIB sur les années 2010, il a fortement augmenté, à plus de 11 % avec la pandémie. La persistance de ce déficit a fait bondir l’endettement public à prés de 80 % du PIB.

  • Sur cette décennie, le taux de chômage est passé de 24 % à près de 30 % de la population active. Cela a notamment entrainé une hausse du le taux de pauvreté (au seuil de 1,9 $ par jour) de 16 % à près de 20 %.

Plus grave, le modèle de développement du pays a atteint ses limites. Engagé dans un processus négatif, l’écart de croissance avec les autres pays émergents ne cesse de s’accroître.

À force d’oublier l’intérêt général, la décennie Zuma constitue dix années perdues. Après un quart de siècle depuis les premières élections libres de 1994, la machine s’est grippée, le système ANC s’est essoufflé. Après avoir essayé de sauver le système en sacrifiant Jacob Zuma, le parti dominant a effectué une révolution de palais en choisissant Cyril RAMAPHOSA.

C’est le pacte social post apartheid qui est de plus en plus contesté. La persistance du chômage, l’accentuation des inégalités sociales, la généralisation de la pauvreté suscitent une contestation profonde qui se manifeste régulièrement avec des mouvements de grève.

Il est loin le temps de Nelson Mandela et des rêves suscités par la fin de l’apartheid et la prise de pouvoir par la majorité. Le système ne pourra perdurer sans de profondes et radicales réformes.

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