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La baleine-espion capturée par les Norvégiens dans leurs eaux a-t-elle été envoyée par les Russes ?
©Capture d'écran The Guardian / YouTube

Révolution

Un béluga découvert en Norvège a été soupçonné d'être au service de la Russie. La baleine blanche, signalée il y a quelques jours par des pêcheurs, portait un harnais de fabrication russe. La Norvège soupçonne l'animal de faire partie d'un programme d'utilisation de mammifères marins comme auxiliaires de guerre par le Kremlin.

Anastasiya Shapochkina

Anastasiya Shapochkina

Anastasiya Shapochkina est maître de conférences en géopolitique à Sciences Po Paris. Elle est notamment spécialisée sur l'Europe et de la Russie.

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Cette semaine, le monde s'est réveillé devant une nouvelle démonstration de la puissance militaire du Kremlin. Il ne s'agissait pas d'une nouvelle bombe surpuissante, ni d'un missile longue portée, ni même une nouvelle arme chimique cachée dans une poubelle dans une banlieue d'Angleterre, pas plus qu'il ne s'agissait d'une cyber-attaque de grande ampleur pour déstabiliser le e-gouvernement de l'Estonie.

Il s'agissait d'une baleine

Un beluga a en effet été repéré à proximité de bateaux de pêcheurs à l'extrême-nord de la côte norvégienne, parce qu'il détruisait leurs filets. L'animal s'est cependant révélé être très amical et habitué à la présence humaine. Il suivait les bateaux et autorisait même les gens à le toucher, comme un animal de compagnie. En plus de ce comportement inhabituellement amical pour un animal sauvage, le géant des mers savait un harnais sur lui sur lequel on a pu lire : “Made in Saint-Petersbourg”, et comportait un socle pour caméra. 

Une telle découverte mena les scientifiques norvégiens qui se penchèrent sur le cas à considérer que la baleine était employée par l'armée russe.

L'importance stratégique de la Norvège

La partie de la Norvège visitée par la baleine partage 120 kilomètres de côtes avec la Russie dans la mer de Barents et dans l'Arctique - un espace hautement stratégique pour la sécurité de l'OTAN, où la Norvège et les Etats-Unis patrouillent pour surveiller les mouvements russes. Du côté russe de la frontière se trouve la région de Mourmansk, base-mère de la flotte du nord, laquelle inclut l'un des deux centres militaires russes pour entraîner des mammifères marins, notamment des belugas. Plus important, la flotte du nord comporte certains des sous-marins nucléaires les plus silencieux et donc les plus difficiles à détecter, et qui sont équipés de missiles de croisière de longue portée.

La localisation stratégique de la frontière norvégienne est en partie la raison pour laquelle la Norvège a été choisie comme terrain d'entrainement pour le dernier exercice militaire de l'OTAN à l'automne 2018. La mer de Barents est la porte d'accès vers l'océan Atlantique pour la Russie. Et au fond de l'Atlantique reposent les câbles de fibre optique permettant 99% des échanges de données entre les Etats-Unis et l'Europe : une marque de progrès si on se place dans une perspective libérale, mais une vulnérabilité stratégique d'un point de vue réaliste, tant elles sont une cible de choix pour les sous-marins russes. L'OTAN signale un pic d'activité des sous-marins russes dans l'Atlantique depuis 2010 et surtout depuis 2014. Les membres de l’Alliance ont répondu par des investissements pour rafraichir leur arsenal militaire sous-marin.

La flotte du nord est aussi une des deux principales flottes militaires dans l'Arctique avec la flotte de Petropavlovsk-Kamachatsky à l'est, même s'il existe un certain nombre de plus petites bases militaires. L'Océan arctique contient 13% des réserves de pétrole conventionnel et 30% des réserves de gaz naturel conventionnel. Le Canada, le Danemark, la Norvège et les Etats-Unis d'Amérique ont tous revendiqué leur part dans cette zone, cherchant à récupérer un accès exclusif aux ressources. Avec le réchauffement climatique, l'Arctique représente une nouvelle option pour de potentielles nouvelles routes de commerce permettant de relier Amérique du Nord, Europe et Asie.


Le projet de Moscou pour l'Arctique

Ces dernières années, l'Arctique est devenu un des points cruciaux de la rhétorique belliqueuse de Moscou. En avril 2014, le gouvernement russe a publié un programme d'Etat sur le développement socio-économique de la Zone Arctique de la Fédération de Russie, suivi par un investissement pour améliorer les ports et bases militaires du nord. A la session plénière du 5e Forum international de l'Arctique, qui avait pour thème "L'Arctique : un océan d'opportunités", Poutine a annoncé des plans pour multiplier le passage de cargos par l'Arctique par quatre d'ici 2025 en utilisant la flotte grandissante de brise-glace nucléaires russes, et a invité les investisseurs à investir dans les ports russes de Mourmansk et de Petropavlovsk-Kamtchatsky.

Plus important encore, l'Arctique est devenu le noeud des tensions géopolitiques entre la Russie et l'Ouest, alors que la Russie et les Etats-Unis développent leur présence militaire dans la région. Dans son discours, le ministre russe des Affaires étrangères Sergei Lavrov a déclaré que les investissements militaires de Moscou dans l'Arctique étaient indispensables pour défendre les intérêts nationaux de la Russie, affirmant que les exercices militaires de l'OTAN en Norvège à l'automne en 2018 étaient dirigés contre la Russie.  

Quels sont les risques d'une confrontation Russie-OTAN ?

Si une attaque militaire semble peu probable étant donné le coût prohibitif de la guerre dans le monde moderne, la présence militaire grandissante augmente les chances d'un affrontement accidentel, lequel pourrait mener à l'escalade. Et ce au point que des experts militaires russes spéculent sur la possibilité d'un tel accident en août-septembre 2019. L'histoire a donné des exemples tragiques de tels "déclencheurs" accidentel, notamment celui de la guerre du Vietnam, qui, selon les archives ouvertes des années plus tard, avait commencé par une erreur d'interprétation d'un signal par des bateaux patrouillant à la frontière. 

Cependant, l'histoire moderne des agressions militaires russes et des relations OTAN-Russie donne de bonnes raison de rester optimiste. Les récentes démonstrations de force russe - la guerre de Géorgie en 2008, l'annexion de la Crimée en 2014, l'intervention militaire consécutive de la Russie contre les navires ukrainiens en novembre 2018 ou l'opération militaire russe en Syrie depuis 2015 – montrent qu'à chaque fois, la Russie sort gagnante d'une opposition inégale avec un adversaire inférieur en force. Et ce n'est pas pour autant facile pour elle. L'armée russe a dû payer le prix d'une confrontation de cinq jours en Géorgie, où elle a pu constater son infériorité technologique en termes de drones militaires notamment, un retard qu'elle a réussi à rattraper depuis. De la même façon, en Ukraine, la Russie a connu d'importantes pertes militaires au plus haut de l'escalade de la violence pendant l'été 2014. En Syrie, la Russie continue à maintenir une présence militaire malgré l'annonce de la "mission accomplie" par Vladimir Poutine en 2017. La présence russe diminue peu à peu en Ukraine, afin de compenser la présence en Syrie, donnant un aperçu aux observateurs de l'OTAN des limites en termes de ressources humaines militaires de métier.

La seule fois où la Russie a fait face à un potentiel clash avec un membre de l'OTAN advint à la frontière syriano-turque, quand l'armée turque avait abattu un des chasseurs russes. Malgré une vibrante rhétorique anti-OTAN, le Kremlin répondit alors par des sanctions économiques plutôt que des actions militaires. Ceci envoya le signal que quand l'occasion se présente, affronter une armée de l'OTAN n'est pas quelque chose pour lequel Moscou est prêt ni même susceptible de tenter.

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