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L’UE mesure-t-elle le risque politique qu’elle prend en se montrant intraitable face à Boris Johnson ?
©NIKLAS HALLE'N / AFP

De Charybde en Scylla

Michel Barnier, négociateur de l'UE pour la sortie du Royaume-Uni de l'Union, a déclaré que la vision du Brexit portée par Boris Johnson était "inacceptable" et que l'Union européenne ne changerait rien à l'accord négocié avec Theresa May.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Jeudi, Michel Barnier, négociateur de l'UE pour la sortie du Royaume-Uni de l'Union a déclaré que la vision du Brexit portée par Boris Johnson était "inacceptable" et que l'Union européenne ne changerait rien à l'accord négocié avec Theresa May. De son côté Johnson a une nouvelle fois confirmé qu'il mènerait le Brexit à bout coûte que coûte. Que peut-il sortir du jusqu'au-boutisme des deux parties ?

Edouard Husson : La symétrie n’est qu’apparente. D’un côté, vous avez le leader légitimement élu par son parti et devenu Premier ministre selon la tradition de son pays; de l’autre, vous avez le personnel sans légitimité démocratique d’une équipe technocratique sortante. Le combat est inégal, mais pas dans le sens où le disent beaucoup: dans le combat de David contre Goliath, c’est David qui gagne. Le Royaume-Uni de Boris Johnson a la légitimité nationale, le droit international et le bon sens pour lui. Soyons précis, d’ailleurs: Michel Barnier n’a pas dit que l’ensemble de la position de Boris Johnson était inacceptable: il ne veut pas entendre parler de la demande-clé du nouveau Premier ministre, à savoir la remise en cause du backstop. Or c’est précisément là-dessus que le vote de l’accord de Theresa May a échoué au Parlement ! Du point de vue britannique, il est inacceptable que la Commission européenne joue de la sorte avec une histoire tragique et sanglante, celle de la question irlandaise. Les Britanniques ont la prudence historique pour eux et la Commission européenne a fait preuve, en l’occurrence d’un profond aveuglement. On ne joue pas avec l’histoire. L’UE vit d’ailleurs en dehors de l’histoire. Elle flatte le vieux rêve allemand de sortie de l’histoire; elle sert le rêve des élites françaises de se décharger de ce qu’ils perçoivent comme un fardeau, leur propre peuple. Mais le réveil de la Chine, le redressement de la puissance russe, l’élection de Donald Trump, le vote du Brexit le montrent, entre autres exemples: l’histoire ne s’arrête jamais. Celui qui cherche à arrêter l’histoire est toujours un ennemi de la liberté. Gorbatchev l’avait dit à Honecker à quelques semaines de l’ouverture du Mur de Berlin: « L’histoire punit celui qui vient trop tard ». 

Boris Johnson a beaucoup insisté sur son assise populaire lors de sa dernière intervention au Parlement. A quel point est-il capable de mobiliser ce peuple derrière lui contre ses adversaires dans ce duel qui s'annonce ?

L’histoire de la Grande-Bretagne est le plus souvent une question de majorités relatives. Le système de scrutin uninominal à un tour permet à un parti de gouverner avec 30 à 35% des voix. Mais ce qui est extraordinaire, dans le cas du Brexit, c’est qu’on a eu affaire à une majorité absolue de suffrages. Certains, en Grande-Bretagne ou en Europe, rêvent d’un second référendum. Mais sont-ils aveugles? Les députés travaillistes et conservateurs élus en juin 2017 ont tous promis d’appliquer le Brexit ! Forcés d’organiser des élections européennes en mai 2019, les Britanniques ont placé en tête le Brexit Party, à 34%, sans compter le fait qu’il y a des Brexiteers qui sont restés fidèles aux Tories et au Labour. Boris Johnson sait depuis le départ qu’il est possible qu’il doive emmener le parti conservateur vers de nouvelles élections générales: il a tout intérêt à être intransigeant puisque c’est ce qui lui gagnera une majorité, en lui permettant de reprendre des voix, massivement, au Brexit Party. C’est une question de survie pour le parti conservateur. Jamais le parti n’a été plus proche de tomber dans l’insignifiance - un peu comme les Libéraux à la fin du XIXè siècle. Il y a quelques semaines, les Tories n’ont guère fait mieux que LR en France ! Johnson n’a donc pas d’autre choix que d’être sur une ligne de négociation avec l’UE qui soit très dure. Même si le parti conservateur n’y jouait pas sa survie, ce serait de toute façon une bonne stratégie de négociation. 

Si l'UE réussissait à contrecarrer les plans de Johnson et le poussait à céder sa place comme elle semble vouloir le faire, ne risque-t-elle pas de se trouver face à un interlocuteur encore moins facile à gérer ?

L’Union Européenne est peuplée de dirigeants qui, pour reprendre le mot de Chateaubriand sur les émigrés, n’ont « rien appris ni rien oublié ». Les représentants de l’Union Européenne sont convaincus que Boris Johnson n’y arrivera pas; qu’il bluffe. Ils ont vu comment Theresa May est passée du discours de Lancaster en janvier 2017 au plan de Chequers de juin 2018, d’une position dure à une position molle. Ils espèrent faire parcourir le même chemin à Johnson en quelques semaines ! Là où ils se trompent, c’est sur leur propre position: ils se sont imposés à Theresa May dans la mesure où cette dernière, après avoir suscité bien des espoirs, s’est effondrée politiquement; à ,partir du moment où Johnson tient bon - et il n’a pas le choix s’il ne veut pas être le fossoyeur de son parti - la position de l’UE va devenir impossible  à tenir. Evidemment, on voit bien le calcul de l’UE: acculer Boris Johnson au No Deal, dans l’espoir qu’il soit mis en minorité sur ce point. Mais, répétons-le, Johnson a la carte maîtresse dans son propre jeu: une élection générale le confortera - pourvu qu’il reste sur sa ligne de négociation dure. Le nouveau premier ministre sait, en outre, qu’il peut utiliser intelligemment le facteur temps: la population britannique n’en peut plus d’attendre une issue au Brexit; le monde industriel et financier est de plus en plus disposé à tolérer un No Deal pourvu que cela fasse sortir de l’incertitude. Et Boris Johnson sait bien que l’économie britannique, qui a remarquablement tenu jusque-là, pourrait être handicapée par une prolongation à l’infini de la négociation sur le Brexit. Voilà pourquoi Johnson n’a pas d’autre choix que de tenir la date du 31 octobre. Evidemment, plus on va avancer et les enchères monter, plus on peut s’attendre à des épisodes tragicomiques: des trahisons surmédiatisées dans le camp de Boris ,ou bien des révélations sensationnelles sur sa vie privée ou d’autres boules puantes. Je crois volontiers que l’UE et ses alliés en Grande-Bretagne sont prêts à tout pour éviter que la bulle confortable dans laquelle ils sont installés. Ce qui se passe en Grande-Bretagne aura une valeur pour l’ensemble de l’Europe: les européistes, mondialistes et progressistes ont parfaitement conscience qu’ils sont en train de voir surgir une négation concrète de tout ce qu’ils prônent depuis des années: si une nation reprend sa souveraineté, développe sa prospérité mieux hors de l’Europe de Bruxelles et montre qu’elle peut se passer de l’Union Européenne, c’est tout un discours qui va s’effondrer, celui de « soyons unis pour peser! ». L’UE serait prête à susciter en Grande-Bretagne une situation où le Brexit Party supplanterait le parti conservateur et se retrouverait, éternellement minoritaire, face à un macronisme britannique (une alliance entre les Libéraux-Démocrates et ce qui resterait du Labour); mais le conservatisme et le souverainisme de Boris Johnson vont être difficiles à ébranler car le nouveau Premier ministre incarne, dans la grande tradition fondée par Benjamin Disraëli, une droite pour qui la souveraineté s’exerce au sein du Parlement. Johnson renoue avec un discours très favorable aux entreprises, à l’économie et à la croissance. Et il retrouve le fil, aussi, de l’engagement social des Tories. Voilà pourquoi il faut parier sur lui ! 

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