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L’OTAN pourra-t-elle longtemps survivre à la montée des Orban et autres Erdogan en son sein ?
©Attila KISBENEDEK / AFP

OTAN en emporte le vent

Alors qu'en Europe, émergent des dirigeants nationalistes et/ou autoritaires comme Viktor Orban en Hongrie ou Recep Tayyip Erdogan en Turquie, se pose la question de leur place dans l'OTAN, cette alliance censée rassembler les puissances démocratiques. L'organisation née au sortir de la Seconde Guerre mondiale a-t-elle encore de l'avenir ?

Jean-Sylvestre Mongrenier

Jean-Sylvestre Mongrenier

Jean-Sylvestre Mongrenier est docteur en géopolitique, professeur agrégé d'Histoire-Géographie, et chercheur à l'Institut français de Géopolitique (Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis).

Il est membre de l'Institut Thomas More.

Jean-Sylvestre Mongrenier a co-écrit, avec Françoise Thom, Géopolitique de la Russie (Puf, 2016). 

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Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Atlantico : Alors que l'OTAN repose sur une alliance visant à promouvoir "les valeurs démocratiques", comment l’organisation peut-elle faire face à la montée en puissance de dirigeants comme Viktor Orban (la Hongrie ayant intégrée l'OTAN en 1999) ou Recep Tayyip Erdogan (depuis 1952), dont les dérives autoritaires et anti-démocratiques sont régulièrement dénoncées, tout comme cela peut également être le cas de la Pologne ? 

Jean-Sylvestre Mongrenier : La mission fondamentale de l’Alliance atlantique n’est pas la promotion des « valeurs démocratiques », mais la protection des pays membres de l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique Nord). Il est vrai cependant que l’OTAN n’est pas une simple alliance westphalienne qui regrouperait des pays unis par la seule existence d’une menace commune. Instituée le 4 avril 1949, l’Alliance atlantique a été pensée comme un système de sécurité collective. Elle n'est pas dirigée contre un agresseur déterminé, mais contre le fait d’agression. Les signataires sont invités à résoudre pacifiquement leurs différends et à développer des relations amicales (articles 1 et 2 du traité de l’Atlantique Nord). Le texte du traité de l’Atlantique Nord s’ouvre sur un préambule aux accents wilsoniens et aux allures de profession de foi civilisationnelle. Ledit préambule stipule que les signataires sont « déterminés à sauvegarder la liberté de leurs peuples, leur héritage commun et leur civilisation, fondés sur les principes de la démocratie, les libertés individuelles et le règne du droit ». Les Etats parties doivent s’affirmer « soucieux de favoriser dans la région de l'Atlantique Nord le bien-être et la stabilité (et) résolus à unir leurs efforts pour leur défense collective et pour la préservation de la paix et de la sécurité ». Inscrit dans une logique de containment du bloc soviétique, le traité vise à préserver et conserver plus qu’à acquérir ou promouvoir. Défense mutuelle et sécurité collective priment sur la démocratisation.

Il est vrai que la logique profonde de l’Alliance atlantique va dans le sens de la démocratie libérale et l’économie de marché. Ainsi le soutien des Etats-Unis à la Turquie au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale a-t-il également eu des contreparties politiques (fin du monopole du parti-Etat kémaliste et ouverture du système politique). L’« ordre de la chair » (Pascal) étant ce qu’il est, il a bien parfois fallu s’accommoder de dérives autoritaires ou de coups d’Etat, en Grèce ou en Turquie. Face à l’impératif de sécurité, dans le contexte historique de Guerre Froide, nécessité faisait loi. Sur le long terme toutefois et dès que les conditions le permettaient, les démocraties occidentales soutenaient le retour à l’ordre constitutionnel. Dans l’après-Guerre Froide, les Occidentaux ont engagé une vaste entreprise d'«enlargement », ce qui signifie l’extension des principes et modes d’organisation de la démocratie libérale et de l’économie de marché, l’entreprise se traduisant par l’élargissement à l’Est de l’OTAN et de l’UE, ces deux piliers d’une « Europe une et libre ». L’OTAN comme l’UE ont été pensées comme les cadres d’action requis pour arraisonner les PECO (Pays d’Europe centrale et orientale), stabiliser la région et lui ouvrir des perspectives (la préparation à l’adhésion est un levier de modernisation et de pacification). Dans une telle perspective, les valeurs fondatrices de la démocratie étaient bel et bien mises en avant.

Durant cette période, l’OTAN était engagée dans deux directions : la transformation en une sorte de club politique réunissant le « top » de l’Occident d’une part, de l’autre une organisation expéditionnaire de lutte contre le terrorisme (voir l’engagement en Afghanistan). Les deux tendances s’affirmaient au détriment de la défense de la zone euro-atlantique. Considérant qu’il n’existait plus de menace à l’Est, l’OTAN, au grand dam des PECO, avait renoncé à la planification stratégique et à l’organisation de grands exercices de défense des frontières orientales. Simultanément, les alliés européens réduisaient continûment leurs dépenses militaires (une baisse d’environ un tiers en deux décennies). Dans le prolongement de l’invasion russe de la Géorgie (août 2008) et de son démantèlement territorial, l’OTAN et ses pays membres sont convenus de se recentrer sur la mission première de l’Alliance atlantique : la défense collective (l’article 5 du TAN). Cela a abouti au Concept stratégique de Lisbonne (2010). Les dirigeants américains ont également incité leurs alliés européens à consacrer davantage de ressources à la chose militaire. On se souvient du discours prémonitoire prononcé par Robert Gates à Bruxelles, le 10 juin 2011. Malheureusement, il aura fallu les agissements de la Russie en Ukraine (Crimée, Donbass) et les mauvaises manières de Donald Trump pour que ce discours porte enfin ses effets. Toujours est-il que l’impératif de défense a pris le dessus sur celui de l’enlargement, ce qui incite à trouver des accommodements avec des régimes à la dérive (voir la question suivante).

Florent Parmentier : L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord a été avant tout fondée en 1949 comme une alliance s’appuyant sur la défense collective pour faire face à l’URSS : toute attaque contre l’un des membres est une attaque contre l’ensemble.

Après la chute de l’URSS en 1991, elle a pu survivre à son but initial en véhiculant deux messages forts : le premier était que l’OTAN était prête à accueillir de nouvelles démocraties en son sein, afin d’aider à la consolidation du régime ; le second, implicite, était une manière de continuer à garder un œil sur la Russie afin qu’elle ne s’attaque pas aux anciennes démocraties populaires. Sur ce dernier point, on voit que les nationalistes russes et les partisans du néo-occidentalisme et du néo-conservatisme ont établi une relation contradictoire et dialectique, qui ne cesse de se dégrader. Les partisans de l’OTAN avancent que la Russie est désormais capable de frapper au-delà de ses frontières (Géorgie, Ukraine, Syrie) et qu’il faut donc dresser des lignes rouges fermes face à une Russie qui teste sans arrêt les limites. En Russie, le renforcement continue de la présence de l’OTAN aux frontières de la Russie conforte la majorité présidentielle : l’OTAN nous menace et nous devons augmenter nos forces pour garder un avantage, même face à une Europe dont pourtant les dépenses militaires sont parties à la baisse après la chute du mur de Berlin.

Si la tension grandissante entre la Russie et l’OTAN avait pu être anticipée, l’émergence de démocraties illibérales l’était moins tant la croyance dans le triomphe du libéralisme était forte dans les années 1990. Alors que l’OTAN se targuait de regrouper des démocraties, plus ou moins abouties ou tendant à l’être, cette revendication n’est plus crédible aujourd’hui avec des situations que l’on connaît en Turquie, mais aussi en Pologne et en Hongrie, avec un affaiblissement programmé des contre-pouvoirs, à savoir des institutions de l’Etat de droit. Plus que d’une attaque externe, c’est l’érosion interne qui suscite des inquiétudes de la part de l’OTAN.

A dire vrai, l’OTAN ne dispose pas de larges moyens en la matière puisqu’il s’agit essentiellement d’une organisation militaire. Son diagnostic n’est pas nécessairement adapté : attribué l’érosion des démocraties européennes à la seule Russie est probablement hors de propos, se méprenant sur la puissance réelle de la Russie et de ses objectifs ; les mouvements extrémistes, le rejet des élites, le sentiment de dépossession lié à la mondialisation peuvent être utilisés par la Russie, encourageant nos dysfonctionnements, mais on peut douter qu’elle soit à l’origine de ces phénomènes.

Turquie et Hongrie ont pu, à plusieurs reprises, suivre une position plus favorable à Moscou qu'à celle de ses alliés au sein de l'OTAN. Peut-on imaginer une montée en puissance de nations, intégrées à l'OTAN, et toujours plus favorables à la Russie ? Quelle pourrait être la réaction de l'OTAN, et des Etats-Unis face à un tel contexte ?

Jean-Sylvestre Mongrenier : Tout d’abord, il faut certainement différencier le cas de la Hongrie de celui de la Turquie. Ces deux pays et populations ne sont pas du même ordre de grandeur et la position géostratégique de la Turquie est particulièrement importance. Située entre mer Noire et Méditerranée, cette massive péninsule anatolienne est à la croisée des Balkans, de l’Eurasie et du Moyen-Orient. La Turquie, on le sait, contrôle le Bosphore et les Dardanelles, voie de passage entre la mer Noire et la Méditerranée orientale. La population est de plus de 82 millions d’habitants, sur une superficie avoisinant les 800.000 kilomètres carrés (780.000 km²). Bien qu’elle soit dépendante de l’extérieur, son économie est dans la partie haute du classement mondial (la Turquie appartient au G20). En d’autres termes, ce pays constitue une véritable puissance régionale. Par ailleurs, les problèmes politiques sont autrement plus inquiétants qu’en Hongrie (cf. infra). Depuis la répression qui a suivi le coup d’Etat manqué de juillet 2016, l’expression de « dérive autoritaire » est dépassée par les faits. Alliés et partenaires de la Turquie doivent désormais discuter et négocier avec un régime autocratique. S’il est nécessaire à mon sens de ne pas couper les ponts, les choses doivent cependant être nommées avec précision. On remarquera qu’en dépit des méthodes du pouvoir, l’AKP ne parvient pas à mobiliser plus d’une bonne moitié de la population. Outre les enjeux géostratégiques, de première importance, c’est la raison pour laquelle il ne faut pas insulter l’avenir.

Dans le cas de la Hongrie, il convient effectivement de parler de dérive autoritaire et les représentations conspirationnistes manipulées par le gouvernement sont inquiétantes. Toutefois, Viktor Orban a pris soin, jusqu’alors, de ne pas dépasser certaines limites. Au-delà de sa personnalité, la situation politique hongroise est révélatrice de problèmes auxquels est confronté l’ensemble des sociétés européennes. Il était illusoire de penser que la précipitation des enjeux migratoires et identitaires n’allait pas trouver sa traduction politique. Bien des choses doivent être repensées en Europe, au sein de chaque pays. Il semble qu’un seuil ait été franchi. D’Est en Ouest, l’observateur politique constate un durcissement des positions sur les questions les plus sensibles, celles que les partis de gouvernement ont trop longtemps évité d’aborder de front. Sur tout cela, il est souhaitable de lire Ivan Krastev et son Destin de l’Europe (Editions Premier parallèle, 2017) ou encore Chantal Delsol (institut-thomas-more.org/2018/02/22/pourquoi-les-peuples-deurope-centrale-refusent-nos-lecons-de-morale/). Quant au respect des alliances, la Hongrie ne s’est pas singularisée. En dépit de propos complaisants envers Vladimir Poutine, le révisionnisme russe entrant en résonnance avec le révisionnisme latent d’une partie des Hongrois, Budapest ne s’est pas opposée aux sanctions diplomatiques et économiques européennes ou au renforcement de la « présence avancée de l’OTAN sur l’axe Baltique mer Noire). La Hongrie s’est également révélée solidaire du Royaume-Uni, confronté à une agression par arme chimique sur son territoire (Salisbury, 4 mars 2018).

Sur ce plan, le cas de la Turquie est autrement plus problématique du fait de l’achat de S-400 à la Russie et, dans le cadre du processus d’Astana, son rapprochement avec le binôme russo-iranien. L’acquisition de S-400 russes n’est pas réductible à une question de « gros sous ». Son déploiement posera des problèmes d’articulation avec le système de défense aérienne et antimissiles de l’OTAN. Les Turcs voudraient-ils construire une défense anti-aérienne strictement nationale tout en bénéficiant des avantages d’une défense intégrée à l’échelle de l’OTAN ? Cela paraît difficilement compatible. Il est à craindre également que les spécialistes russes nécessaires à l’installation des S-400 ne constituent une menace sur le bon fonctionnement de l’OTAN. Dans l’affaire syrienne, les choses sont plus complexes. Les Etats-Unis et leurs alliés européens n’ont pas suffisamment pris en compte les intérêts de sécurité de la Turquie. Lui accorder une zone tampon en avant de ses frontières aurait permis d’accueillir une partie des populations chassées par la guerre et de renforcer le soutien aux groupes rebelles de l’Armée Syrienne Libre. En bref, Poutine a accordé à Erdogan tout ce que les Occidentaux lui refusaient, sans que cela gêne par ailleurs les pro-russes français, si prompts à vilipender la Turquie jusqu’au revirement de juillet 2016. N’oublions pas que l’opération turque sur Afrine, contre le PYD (forces kurdes), eût été impossible sans le feu vert de Poutine. La question est de savoir s’il s’agit de convergences tactiques, limitées dans l’espace-temps, ou d’un basculement de la Turquie vers l’Eurasie russe et l’Iran chiite, voire vers une Grande Asie unifiée par les « nouvelles routes de la soie », du Turkestan chinois aux Balkans. De puissantes forces vont en ce sens. A moyen et long termes, Ankara devrait pourtant se méfier de ses voisins russe et iranien. Les Turcs prendraient de grands risques à se priver d’appuis à l’Ouest. Précisons qu’en l’état des choses, ils respectent leurs obligations et ne s’opposent pas au renforcement des frontières orientales de l’OTAN. Aussi les Etats-Unis et leurs principaux alliés temporisent-ils. Il n’est pas question de précipiter les Turcs dans les bras des Russes et la négociation s’impose. Non sans risques grandissants autour de Manbij.

Florent Parmentier : Il existe une variété de situation au sein de l’OTAN ; le basculement vers la Russie n’a rien d’évident pour ces pays, même pour la Turquie qui serait l’Etat le plus susceptible de se rapprocher de Moscou. La Turquie est un membre solide de l’OTAN, qui a certes déjà acheté du matériel militaire russe. La vision du Président Erdogan se rapproche de celle de Vladimir Poutine, étant conservatrice, dure sur les questions de sécurité et souverainiste, mais cela ne signifie pas que les deux Etats tomberont d’accord – même s’ils partagent des logiciels qui se rapprochent de plus en plus. 

Cependant, la Turquie ne fait même pas partie des pays observateurs de l’Organisation de la Coopération de Shanghai, russo-sino-centre-asiatique à l’origine, et reste donc loin du statut d’Etat-membre. Un rapprochement de la Turquie de cette institution serait un signal très sérieux pour l’OTAN.

Concernant la Hongrie, elle ne dispose même pas de ce choix. Elle a même choisi de suivre les principales chancelleries européennes concernant l’expulsion des diplomates russes suite à l’affaire Skripal. Elle peut donc se rapprocher pragmatiquement de la Russie sur des coopérations de nature énergétique ou autre, mais aucun membre de l’OTAN n’a songé à sérieusement quitter l’organisation. Le « brexit de l’OTAN » n’est pas arrivé, et semble peu probable pour des Etats-membres de l’Union européenne. En revanche, l’activité russe pour tâcher de faire diminuer l’efficacité de cette organisation ne fait aucun doute.

De son côté, Donald Trump avait pu qualifier l'OTAN de modèle "obsolète", comment imaginer dès lors le futur de l'OTAN, pour se réinventer, et s'adapter à ces multiples tensions intérieures ? 

Jean-Sylvestre Mongrenier : Le président américain parlait de cette manière avant d’être élu et de véritablement prendre la mesure des choses. N’oublions pas que Trump est un amateur. Son idée consistait à transformer l’OTAN en instrument de lutte contre le terrorisme et organisation expéditionnaire, ce qui était précisément le sens de la « transformation » qui a suivi les attentats du 11 septembre 2001 et l’intervention américano-occidentale en Afghanistan (voir le sommet de Prague et l’adoption du principe du « hors zone », novembre 2002). Le problème russe devait être réglé au moyen d’un sommet entre les deux présidents et d’une poignée de main virile. Il pensait ainsi faire d’une pierre deux coups : endiguer l’Iran en laissant la Syrie à la Russie, promue gendarme du Levant ; opérer le fameux « Nixon in reverse » en retournant la Russie contre la République populaire de Chine. Au vrai, il y avait beaucoup de forfanteries et plus encore d’illusions dans ces vues. C’est le problème de la démagogie antisystème : le « monde de la vie » est bien plus complexe qu’une salle de meeting.

Depuis, Trump a publiquement reconnu la valeur de l’OTAN et de son article 5. La posture de défense et de dissuasion en Europe centrale et orientale a été renforcée et les Etats-Unis y participent largement. Quant aux relations américano-russes, elles se dégradent au fil de cette nouvelle guerre froide dont on a longtemps peiné à admettre la réalité. Il suffit de considérer la Syrie, naguère présentée comme le banc d’essai d’un nouveau « reset » américano-russe. A l’intérieur de l’OTAN, il n’y a pas de véritables tensions internes, du moins avec l’un ou l’autre PECO. A ma connaissance, il n’y a d’ailleurs pas de candidat au départ. Il est vrai que le cas turc est plus problématique. Un engagement accru sur l’axe Baltique-mer Noire, ce vaste espace autrefois couvert par la Pologne-Lithuanie (la République des Deux Nations, 1569-1795), ainsi que dans le bassin de la mer Noire (voir l’importance de la Roumanie), compensera les incertitudes de la Turquie. Lesdites incertitudes pourraient aussi bénéficier à l’Ukraine dont la position géostratégique est très importante, en Europe orientale comme en mer Noire. Au total, il y existe des options de rechange.

Enfin, il convient de ne pas négliger le rôle de clubs informels au sein même de l’Alliance atlantique, discrètement mis sur pied afin de faciliter concertation et prise de décisions. Ayons à l’esprit le « quint » euro-atlantique, composé des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de la France, de l’Allemagne et de l’Italie.

Pour conclure, il importe de mettre en évidence le décalage entre les représentations de bien des Français et la réalité diplomatico-stratégique. De longue date, la France a sa propre « relation spéciale » avec les Etats-Unis et elle est partie prenante de ce type de structures qui, peu ou prou, correspondent au « directoire » atlantique dont De Gaulle voulait l’institutionnalisation (voir le mémorandum envoyé à Dwight Eisenhower, en septembre 1958). A cette époque, il existait déjà un « standing group » auquel la France participait activement, aux côtés des Etats-Unis et du Royaume-Uni. Par la suite, un « quad », puis un « quint », ont pris forme. Depuis, la France a renforcé ses positions et son rôle au sein des alliances occidentales. Pays clef de la Communauté euro-atlantique (cf. Tony Corn, « Vers un nouveau concert atlantique », Le Débat, n° 194, 2017/2), elle appartient au « noyau dur » qui donne les impulsions décisives à l’OTAN. Si elle relevait sa garde et se dotait d’un deuxième porte-avions, condition sine qua non de la « permanence à la mer », elle pourrait rejoindre le « quad » Indo-Pacifique qui regroupe les Etats-Unis, le Japon, l’Australie et l’Inde. Une OTAN solide assurant la défense de l’Europe permettra à la France de se redéployer à l’échelon mondial.

Florent Parmentier : Le Président Trump avait eu des critiques très dures sur l’OTAN, mais la cible était sans doute moins l’organisation elle-même que la propension des Européens à s’appuyer sur les Etats-Unis pour assurer leur défense, ne se prenant pas assez en charge. Il s’agissait sans doute d’une technique de négociation, même si on ne peut exclure une forme de dédain de l’Europe de sa part. Ce qui est sûr, c’est que les institutions américaines sont encore fermement attachées à l’OTAN qui garantit aux Etats-Unis une présence pérenne sur le continent européen.

L’OTAN a déjà largement essayé de s’adapter aux nouveaux développements, notamment en matière de cybersécurité ; pour l’heure, la défense européenne n’est sans doute pas encore prête à prendre le relai de l’OTAN, faute de volonté politique – même si c’est peut-être l’heure des choix et des remises en cause. La force du lien transatlantique dépasse la force de l’alliance elle-même, ce qui permettra certainement à l’OTAN de dépasser les tensions intérieures qu’elle peut connaître.

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