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L’ombre de Poutine sur la présidentielle française
©Yuri KADOBNOV / AFP

Menace

Alors qu’Emmanuel Macron semble vouloir faire un argument de campagne de la présidence française de l’UE, peut-être sous-estime-t-il le risque que la Russie en profite pour peser sur l’élection en instrumentalisant les crises qui menacent l’Europe, qu’elles soient géopolitiques, énergétiques ou migratoires

Michael Lambert

Michael Lambert

Michael Eric Lambert est analyste renseignement pour l’agence Pinkerton à Dublin et titulaire d’un doctorat en Histoire des relations internationales à Sorbonne Université en partenariat avec l’INSEAD.

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Par le passé, la Russie a tenté à plusieurs reprises d'influencer des élections ou des contextes politiques tendus dans les pays occidentaux. Quel est l'objectif de Moscou ? 

Michael Lambert: Le Kremlin a intérêt à favoriser l'élection de candidats occidentaux qui partagent la même vision du monde et des intérêts analogues, à l'instar des autres grandes puissances qui font de même à travers le monde. À ce titre, l'approche du Kremlin est similaire à celle des Etats-Unis en Amérique latine, de la France au Moyen-Orient et en Afrique, ou encore de la Chine en Asie du Sud-Est, qui défendent leurs intérêts sur le terrain avec de multiples moyens et notamment l'instrumentalisation des médias et réseaux sociaux. 
Il faut toutefois noter que, contrairement aux pays occidentaux, les valeurs promues par le Kremlin sont plus traditionalistes, notamment en matière de politique environnementale, de valeurs familiales et en ce qui concerne l'importance d'instaurer un gouvernement stable. Pour toutes ces raisons, la Russie participe à la promotion des candidats européens et aux Etats-Unis qui partagent cette vision du monde, soit en finançant leur campagne politique ou en assurant leur promotion médiatique, comme ce fut le cas avec Donald Trump.

S' il fallait résumer la vision qui anime Moscou, celle-ci cherche à assister au développement d'un monde multipolaire basé sur trois géants - la Russie, les Etats-Unis et la Chine - et sur trois partenaires plus modestes - la France, la Grande-Bretagne et l'Allemagne - afin d'endiguer l'émergence d'un monde unipolaire basé exclusivement sur les Etats-Unis comme dans les années 1990, ou d'un monde bipolaire qui reposerait sur les Etats-Unis et la Chine. 
Dans ce contexte, Moscou souhaite assister au retour de la France sur la scène internationale, notamment dans les programmes de lutte contre le terrorisme, et appelle Paris à se retirer de l'Otan pour redevenir un pays médiateur comme du temps de la Guerre froide. Il est donc logique que le Kremlin préfère Marine le Pen à Emmanuel Macron, le Rassemblement national affichant une ligne anti-Otan depuis des décennies.  
Rappelons que l'Alliance reste la deuxième préoccupation de la Russie (après le déclin démographique) et que si Moscou n'est pas opposée à l'Union européenne, contrairement au Rassemblement national, elle souhaite que Bruxelles soit plus autonome par rapport aux États-Unis, moins influencée par Washington, et laisse au Kremlin la primauté sur les Balkans et les pays la Mer Noire (Ukraine, Moldavie, Géorgie, Arménie) qui ont pour vocation à se rapprocher de la Russie via l'Union économique eurasiatique.

Pour résumer, le souhait du Kremlin est d’assister à l'émergence d'une Europe des nations ou Union européenne plus autonome et économiquement forte, sans l'Otan, ainsi qu'au retour de la France sur la scène internationale.

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Quelles ont été ses stratégies dans le passé ? Quelles preuves avons-nous de la pression russe sur les pays occidentaux ? 

Contrairement à l'image qui est souvent véhiculée, la Russie est dans une démarche de réaction plus que d'anticipation. A cet égard, les coupures d'approvisionnement en hydrocarbures sont principalement dues à l'incapacité des pays par lesquels ces derniers transitent à payer leurs dettes (notamment en Ukraine et en Moldavie) et non pas pour exercer des pressions sur l’Union européenne, ce qui explique notamment le souhait de construire de nouvelles lignes comme Nord Stream I et II en Allemagne. Il faut rappeler que Gazprom souhaite engranger des bénéfices et son caractère géopolitique reste sous-jacent. 
Les embargos russes sont le fruit des blocages déjà imposés par l'Occident. En effet, l'idée que les hostilités économiques sont initiées par la Russie n'est pas cohérente dans la mesure où le pays souhaite augmenter ses ventes en Occident et en Asie pour renforcer son rayonnement économique.  De multiples exemples en témoignent. La reconnaissance diplomatique de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud était une réponse à l'initiative occidentale au Kosovo, la création de l'Union économique eurasienne une réponse à l'élargissement de l'Union européenne, pour ne citer que les deux plus emblématiques.

La situation de Nord Stream II est révélatrice, car de nombreux représentants du Bundestag s'opposent au projet, estimant que l'arrivée de plus de gaz russe en Allemagne serait un moyen de déstabiliser le pays. Cependant, si la Russie annonce qu'elle ne peut pas fournir plus de gaz (ce qui est le cas cette année), le Kremlin est accusé de faire pression sur Berlin. Cette approche est indéniablement schizophrénique (définition du Larousse : "Se dit d’une attitude ou d’un propos qui dénotent une contradiction importante et souvent dérangeante; antinomique; contradictoire”).

Il y a bien des pressions de la part de Moscou, mais jusqu'à présent elles sont de l'ordre d'une réaction à une provocation. Cette vision n'est pas appréciée car on souhaite avoir cette conception d'une Russie "Baba Yaga", c'est-à-dire ambivalente à tout prix, mais c'est rarement le cas. 

Peut-on imaginer qu'Emmanuel Macron, qui semble vouloir faire de la présidence française de l'UE un argument de campagne, puisse être une cible privilégiée des manœuvres russes en tant qu'homme fort de l'Europe ?

Le Kremlin soutiendra Marine le Pen, qui partage les intérêts géostratégiques de la Russie avec une France hors de l'Otan. Cependant, Emmanuel Macron n'est pas mal perçu par Moscou, et le Kremlin est conscient qu'une partie des français commence à percevoir la nécessité d'avoir un pays plus autonome vis-à-vis des Etats-Unis, notamment depuis la crise des sous-marins en Australie où Paris a perdu 50 milliards d'euros sans concertation préalable avec Washington. 

Le président français a également su montrer une approche plus modérée vis-à-vis de l'Ukraine et des Balkans que ses prédécesseurs, et est plus diplomate que ses partenaires en Pologne, en République tchèque ou même en Allemagne. Pour toutes ces raisons, le Kremlin ne s'opposera pas à la réélection d'Emmanuel Macron. 

Que ce soit sur le plan géopolitique, énergétique ou migratoire, Vladimir Poutine ne dispose-t-il pas actuellement des moyens idéaux pour faire pression sur l'Union européenne, et par extension sur Emmanuel Macron ? 

Les pressions sur l'Union européenne peuvent prendre de nombreuses formes, que ce soit en alimentant le séparatisme de certaines régions du continent (Est de l'Estonie, Catalogne, Tyrol du Sud), en renchérissant sur le prix de l'approvisionnement en hydrocarbures (l'Allemagne y est très sensible), en soutenant la Biélorussie dans sa démarche visant à exercer des pressions migratoires sur la Pologne, en poursuivant le rapprochement diplomatique de la Russie avec l'Italie, la Grèce et la Bulgarie, ou encore en finançant des partis conservateurs dans des pays comme la Slovénie et l'Autriche. 

S' il est facile d'exercer des pressions sur de nombreux pays en Union européenne, cela l'est autrement moins avec la France. En effet, le pays a fait preuve d'une forte résilience avec son industrie nucléaire, qui lui assure une incontestable stabilité et sécurité énergétique. Sa puissance nucléaire la protège des hostilités potentielles en provenance des pays voisins ou lointains, et son économie et son système social lui assurent une meilleure constance que dans des nations où la fracture sociale est considérable, comme les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne. La France n'est pas un pays parfait, mais elle reste à ce jour le maillon fort de l'Europe, notamment grâce à sa puissance nucléaire militaire et civile. Il est donc plus difficile de l'influencer que d'autres

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