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L’ombre de Pierre Poujade plane-t-elle vraiment sur les gilets jaunes ?
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Révolte

Le poujadisme est né en France, à l’initiative de Pierre Poujade dans les années 1950. Ce mouvement mobilisait les petits commerçants, artisans et paysans contre le fisc.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Pierre Poujade n’a peut être pas trouvé de place dans les livres d’histoire, mais le poujadisme est resté vivant. Ce qu’on a appelé le poujadisme est né de la cristallisation des colères des petits commerçants et des artisans qui ne supportaient plus la pression fiscale et réglementaire, la concurrence des grandes surfaces et des premiers industriels de l’agro-alimentaire.

Dans les années 1950, Pierre Poujade, ce commerçant, anonyme dans le Lot, à Saint Céré, tient une petite papeterie. Un jour, il se prend la tête contre un contrôleur des impôts qui s’est installé dans sa boutique pour effectuer un contrôle fiscal.

Pris de colère, il met, manu-militari, l’aimable fonctionnaire à la porte avec force, cris et jurons à tel point qu’il ameute tout le voisinage. A l’époque, en campagne, on parlait vrai et on n’hésitait pas à provoquer les pouvoirs établis. Pierre Poujade était connu de ses voisins comme un homme qui parlait fort. Lui disait qu’il parlait vrai.

Notre homme a donc eu affaire aux gendarmes et du coup à la presse locale. Avec son langage vert, cette mésaventure lui a valu très vite une notoriété nationale auprès de cette communauté de commerçants qui se sentaient menacés par l’Etat et par les premiers hypermarchés Carrefour. Pierre Poujade, tel le général Boulanger sous Napoléon 3, s’est pris au jeu de la politique « autrement » ; il a commencé à parler partout en France, à haranguer les foules sur les marchés, dans les cinémas qui voulaient bien l’accueillir ou même dans les stades. Le mouvement de défense des petits commerçants et artisans qu’il avait créé a réussi en 1953 à rassembler près de 500 000 adhérents.

Aucun parti politique (hormis les communistes) n'avait à l’époque une telle dimension.

Cet homme venait d’ailleurs, du fond de la France et sa seule arme était sa détermination à en découdre avec les pouvoirs en place. Aucun représentant politique ne trouvait grâce à ses yeux, tous ces gens qui, à Paris ne connaissait rien au petit peuple, aucun syndicat ne valait la peine qu’on s'y intéresse... Il faut dire que la IVème République donnait le flanc à cette critique permanente. On cherchait l’autorité au Conseil des ministres ou à l’Assemblée nationale et on tombait sur des affairistes et très souvent sur la corruption.

Son discours n’est pas sans rappeler les mécontentements actuels. Il se résumait à une violente colère contre le poids des charges administratives, l’arrogance des financiers, l’incompétence des soi-disant experts du gouvernement. On ne critiquait ni Bruxelles, ni la BCE, puisque l’Europe de Jean Monet n‘existait pas encore. On critiquait surtout l‘injustice de ce progrès technique qui ne profitait qu‘aux nantis et laissait les petits commerçants et les artisans dans leur campagne avec les chômeurs. Parce qu’on voulait s’acheter les premières voitures mais on disant à l’époque que ces technologies allaient créer du chômage.

Poussé par son succès, Pierre Poujade est entré en politique en demandant de pousser hors du champ du débat tous les professionnels de la politique. Il a même présenté des candidats de son mouvement aux élections législatives. Pierre Poujade est entré au Parlement, la fleur au fusil ou presque, avec une poignée d’élus et a réussi à réunir plus de 11% des votes.

La IVe république, qui était déjà mal en point, est sortie de cet évènement passablement affaiblie. Vacillante, déjà !

Sauf que sans programme cohérent, sans autre position que celle d’opposant systématique aux classes dirigeantes, le mouvement de Pierre Poujade s’est rétréci comme une peau de chagrin et Pierre Poujade est retombé très vite dans l’oubli, balayé par les progrès de cette période à forte croissance qui a fini, finalement, par se diffuser au plus grand nombre. Pierre Poujade a disparu parce qu’il n’a pas voulu voir que la modernité d’alors, portée par la période de trente années « glorieuses », allait changer la France en profondeur.

La seule chose qui passera à la postérité sera « le poujadisme » qu'on utilisera périodiquement pour parler des mouvements de résistance aux pouvoirs établis en mélangeant avec le populisme, avec des tonnes de démagogie. Des mouvements qui, pour certains, peuvent représenter l’expression de la démocratie mais qui pour d’autres, risquent d’affaiblir ces mêmes valeurs démocratiques, qui doivent s’appuyer sur le respect des libertés, la responsabilité et l’engagement des décisions prises. Dans tous les cas, démocratiques ou pas, ces mouvements très désordonnés, incapables d’accoucher d’un compromis, visent surtout à affaiblir le pouvoir en place.

Le mouvement des gilets jaunes a aussi un côté poujadiste. Socialement, les révoltes viennent des mêmes frustrations. De provinciaux de la classe moyenne qui vivent dans des villes de taille moyenne, assez loin des centres de pouvoir, qui se disent écrasés de charges et de taxes, ignorés des grands moyens de communication, déclassés et inquiets de la modernité.

La mondialisation, avec son cortège de délocalisations, a étouffé beaucoup de petites villes.Sauf que cette fois, la concurrence provient du E-commerce et réduit encore leur marge de développement qui avait été grandement hypothéquée par les grandes surfaces.

Les risques climatiques et l’obligation de protéger l’environnement les ont submergés de directives contradictoires, de normes et de taxes, qu’ils acceptent en principe mais dont ils ne peuvent assumer de payer.

Alors, Poujade et les gilets jaunes, même combat contre le fisc, la classe politique, l‘Etat central ou Bruxelles... ?

Mêmes formes de revendications sans doute, sauf que 70 ans plus tard, la France a profondément changé. La durée de vie s’est allongée de presque 30 ans, les jeunes vont jusqu’au bac la plupart du temps et voyagent en avion low-cost ou en virtuel dans le monde entier. Les conditions de santé se sont spectaculairement améliorées, les TGV et les autoroutes ont rapproché les villes, et I'nternet a transformé cette France de grognons en immense réseau social.

Le mouvement des gilets jaunes éclate en pleine révolution technologique. Ça n’est pas par hasard. Il est peu structuré et assez peu organisé. Ce mouvement retombera sans doute comme le soufflet de Pierre Poujade, emporté par la vague de croissance et de changement que nous apportera inéluctablement la révolution technologique. Voudront-ils prendre un tournant politique ? L’avenir nous le dira.

Toujours est-il que, quand Emmanuel Macron estime que flotte dans la France et dans l’Europe d’aujourd’hui comme un air de l’avant guerre des années 1930, il se trompe.

L’air qui souffle aujourd’hui rappelle plus de celui qui balayait le pays dans les années 1950, celui de l’après guère où il fallait tout reconstruire, tout inventer.

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