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L'insolite règne de Wang Mang, l'empereur usurpateur et premier "communiste" chinois
©STR / AFP

Bonnes feuilles

L’art chinois nous est familier, mais curieusement l’histoire de la Chine nous est mal connue. Et pourtant elle est instructive, et qui plus est passionnante. Qui peut se flatter de connaître et de comprendre un pays s’il en ignore l’histoire ? C’est encore plus vrai en ce qui concerne la Chine et ses cinq mille ans d’histoire. Extrait du livre "Les trente 'empereurs' qui ont fait la Chine" de Bernard Brizay, aux éditions Perrin (1/2).

Bernard Brizay

Bernard Brizay

Bernard Brizay, journaliste et historien, excellent connaisseur de la Chine où il réside souvent, est l’auteur de plusieurs livres sur le sujet, dont le Sac du palais d’Été (traduit en chinois).

"Les trente empereurs qui ont fait la chine" de Bernard Brizay

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L’histoire insolite de Wang Mang, empereur du début du i er siècle, entre les années 9 et 23 de notre ère, est une parenthèse, une césure, au milieu de la longue dynastie des Han (206 av.  J.-C.-220 apr. J.-C.). La destinée de Wang Mang est unique en son genre. Celui-ci ne ressemble à aucun autre empereur. Les Fils du Ciel héritent en général du pouvoir. D’autres, les fondateurs de dynastie, le deviennent par les armes. Le cas de Wang Mang est tout différent.

Unique est celui qui va s’employer à conquérir le trône pour s’engager personnellement au service de l’intérêt général. C’est du moins ce qu’il laisse accroire. Wang Mang est un cas à part, se présentant comme une personne adoubée à la fois par le Ciel et par le peuple, l’opinion publique. « Il aspirait à apparaître comme un parangon de vertu, comme un souverain qui ne gouvernait pas selon son propre désir, mais selon ce que lui enjoignaient de faire, de mandat divin, les présages, les fonctionnaires et le peuple », écrit le sinologue américain Keith McMahon.

Pour l’historien américain Charles Hucker, Wang Mang est « un des personnages le plus fascinants et les plus controversés de l’histoire impériale ». Un autre historien américain, John Willis, dont le livre déjà cité regroupe une vingtaine de portraits de personnalités représentatives de l’histoire de la Chine, a retenu un tout petit nombre d’empereurs parmi les illustres personnages sélectionnés, dont l’atypique Wang Mang, un usurpateur, et à ce titre mal vu des historiens. Wang Mang reste aussi dans l’histoire pour avoir épousé cent vingt femmes, cent vingt vierges, prenant modèle sur le mythique Empereur jaune.

Deux cents ans environ après la fondation de la dynastie Han, alors que le pouvoir impérial s’affaiblit au profit des ministres, des parents de l’empereur et des familles d’impératrices, l’autorité gouvernementale décline au milieu des intrigues et des scandales de cour. La vie devient de plus en plus insupportable pour le peuple. La concentration des terres entre les mains des plus riches (notables locaux, marchands, grandes familles) est à l’origine d’une tension sociale dans les milieux ruraux.

Ces intrigues et ces tensions dans les campagnes aboutissent à l’usurpation du pouvoir. Un haut personnage, Wang Mang, se met à imaginer un monde utopique d’ordre et de justice, que de nombreux intellectuels de son époque croient avoir existé du temps du duc de Zhou, le premier grand personnage historique avéré de la Chine (vers 1042 av. J.-C.). Ce fameux duc de Zhou est un personnage dont Confucius a transmis à la postérité les enseignements. Si l’on en croit la tradition, il serait l’un des fondateurs des institutions morales de la Chine ancienne.

Wang Mang admire la dynastie des Zhou, qu’il considère comme un âge d’or, un modèle. Avec lui triomphent les lettrés, disciples de Confucius, un sage qui a vécu cinq siècles plus tôt. Rappelons que la dynastie Zhou est la troisième dynastie chinoise (xie -iiie  siècle av. notre ère). Elle a régné sur la province du Shaanxi.

Wang Mang est né en 45 avant J.-C. dans une famille Han aristocratique. Il appartient à un clan originaire du district de Wei (Hebei), qui a acquis sous les Han une place importante, donnant plusieurs dignitaires à la Cour, et en particulier une impératrice, Wang Zhengjun, épouse de l’empereur Yuan (Yuandi, 67-33 av.  J.-C.). Mais son père étant décédé avant d’avoir obtenu un titre, c’est pour lui un lourd handicap. Sans poste, il a tout le loisir d’étudier les classiques confucéens, dont le Livre des rites, le Lijing.

Wang Mang se rapproche d’un de ses parents, un oncle qui occupe un poste important à la Cour. Recommandé auprès de l’impératrice, sa tante, il obtient son premier poste. Il grimpe rapidement en grade en même temps qu’en réputation. Son oncle lui cède une partie de son fief. Il est fait marquis.

Pourquoi cette rapide ascension? Certes il est intelligent, diligent, il a l’esprit toujours en éveil et il bénéficie d’une puissante parentèle. Mais il la doit surtout à l’image qu’il donne −  qu’il entend donner −, celle d’un confucéen particulièrement vertueux, jusque dans les circonstances les plus modestes. Il se présente comme une personne pleine d’humilité, obéissant aux scrupules de sa conscience, se consacrant dévotement au service de sa mère et de ses oncles, élevant un neveu orphelin et refusant le train de vie ostentatoire de ses oncles et cousins.

Wang Mang construit sa légitimité sur les valeurs confucéennes de piété filiale, de modestie et de loyauté. Il prend le plus grand soin de son oncle bienfaiteur, malade. Il distribue généreusement sa fortune à ses subalternes et fait des dons charitables aux pauvres. Il mène une vie exempte de tout signe extérieur de richesse. Une anecdote veut que des femmes de l’aristocratie venues rendre visite à son épouse aient pris celle-ci pour une servante, tant sa mise était modeste. Lui-même ne porte pas les habits d’un jeune noble, mais la robe austère d’un lettré confucéen.

Le personnage respecte scrupuleusement les préceptes de la politesse confucéenne, qui veut notamment que l’on commence par refuser par trois fois une promotion avant de l’accepter. Toute sa vie il s’en tient à cette attitude méritante, sans que l’on sache très bien s’il agit avec une profonde sincérité ou si cela relève d’un sens politique avisé. Toujours est-il qu’il devient le politicien le plus populaire de l’empire Han.

En 8 avant notre ère, il succède à un oncle décédé comme grand sima (grand maréchal), un des postes les plus importants à la Cour. Cette éminente distinction est méritée. Wang Mang est alors et de loin le plus connu et le plus prometteur des aristocrates de sa génération;

Mais l’empereur Han Chengdi − un irresponsable, cornaqué par sa mère, l’impératrice douairière Wang, une forte femme qui vivra jusqu’en l’an 13, atteignant quatre-vingt-quatre ans − meurt en 7 avant J.-C., sans descendance. La roue tourne alors. Un petit-neveu de l’empereur Cheng, Aidi, lui succède. Un autre clan prend le pouvoir en son nom et la famille Wang connaît une éclipse. Wang Mang doit abandonner son poste. Il se retire dans son fief du Henan et se remet à étudier, adoptant un profil bas. Mais il continue plus que jamais à cultiver son image de responsable politique exceptionnellement intègre, exempt du moindre esprit de favoritisme. Sa réputation et sa popularité ne font que croître.

La roue continue de tourner, mais en sa faveur cette fois. Han Aidi (7-1), lequel n’a d’yeux que pour son jeune amant, Dong Xian, qu’il comble de titres, de cadeaux et de fiefs, meurt à l’âge de vingt-trois ans. Petite anecdote rapportée par Eulalie Steens, concernant les « manches coupées ». Il s’agit d’un terme allusif à l’homosexualité masculine. Aidi, allongé auprès de son favori, doit se rendre à une audience. Au moment de se lever, il s’aperçoit que son ami dort sur une manche de sa robe. Plutôt que de le réveiller, il préfère couper le pan de son vêtement. D’où ce terme de « manches coupées » pour désigner les homosexuels.

La vieille impératrice douairière Wang Zhengjun, laquelle a survécu à la grand-mère et à la mère de Aidi, retrouve immédiatement son pouvoir. Elle rappelle son neveu Wang Mang à la Cour, le tirant de son exil. Ensemble, ils mettent sur le trône un enfant de huit ans, Pingdi. Wang Mang est nommé régent du nouvel empereur. Il est fait duc, titre qui rappelle celui de Zhou Gong, duc de Zhou, fondateur de la dynastie Zhou, ce personnage de l’Antiquité qui fait figure d’homme d’État idéal.

Wang Mang gouverne de fait l’Empire à partir de l’an 1 de notre ère. Il élimine un à un les membres des clans ennemis et place ses fidèles aux postes clés. Il est grandement loué pour avoir fait exé- cuter un de ses fils, Wang Huo, coupable du meurtre d’un esclave serviteur! Sa fille, qui épouse Pingdi, devient impératrice, ce qui fait de lui le beau-père de l’empereur. Sa popularité s’accroît encore lorsqu’il distribue de larges sommes d’argent pour venir en aide aux pauvres et bâtir des écoles dans tous les cantons. Pour toutes ces actions, Wang Mang est encensé, au point d’apparaître comme un saint laïc.

Son ascension ne s’arrête pas là. Il est nommé Premier ministre, à quarante-neuf ans. Fidèle à sa conduite, il redistribue une partie de ses indemnités. Il contraint son fils aîné, Wang Yu, impliqué dans un complot, à se suicider en avalant une forte dose de poison.

Il recrute les fonctionnaires en fonction de leur connaissance des ouvrages d’instruction morale et de piété filiale. Il crée des écoles pour l’enseignement des classiques confucéens et multiplie le nombre des lettrés qui à la Cour se réclament du maître. Inutile de dire que ces derniers chantent ses louanges.

Le jeune Han Pingdi tombe malade à son tour, empoisonné par ses soins, dit-on. Wang Mang le veille avec dévouement, déclarant vouloir mourir à sa place, si cela se peut. Mais cela ne se peut pas, et en l’an 6 l’empereur meurt. Il choisit pour lui succéder un enfant de deux ans, un souverain fantoche présenté comme l’héritier présomptif. Wang Mang se comporte dès lors en empereur.

La propagande en faveur de Wang Mang continue de plus belle et tourne autour du thème du Mandat du Ciel. Plusieurs oracles, pré- sages et augures qui lui sont favorables apparaissent, venus opportunément du Ciel. Ceux qui en sont responsables sont récompensés. Finalement, un document signé par onze éminentes personnalités désigne Wang Mang comme le futur titulaire du mandat céleste.

Le 10 janvier de l’an 9, Wang Mang renverse la dynastie Han. À cinquante-quatre ans, il monte sur le trône du Dragon, fondant la dynastie Xin (« renouveau » ou « nouveauté »). Il accepte « modestement » la décision du Ciel, sans qu’une opposition se manifeste. C’en est fini des Han dits de l’Ouest. La famille Liu a perdu le Mandat du Ciel. Une parenthèse s’ouvre avec l’arrivée sur le trône d’un usurpateur, lequel va régner quatorze ans.

Le Livre des Han le décrit comme n’étant ni beau ni laid : « Du point de vue physique, Wang Mang avait une grande bouche et un menton fuyant, des yeux globuleux et des pupilles rougeâtres; il avait en outre une voix forte et rauque. Il mesurait cinq pieds et sept pouces (moins que la moyenne de l’époque) et aimait porter des chaussures épaisses, de grands chapeaux et des vêtements rembourrés avec du feutre. Il se plaisait à bomber le torse et à toiser les gens autour de lui. » Il se montre « courtois et modéré » dans ses manières et se présente comme un modèle de piété filiale.

Les historiens sont partagés entre ceux qui ne voient en Wang Mang qu’un intrigant ambitieux et usurpateur, et les autres, qui le décrivent comme un visionnaire, un réformateur social désintéressé ; un érudit pénétré de culture confucéenne qui a cherché à rendre la société plus harmonieuse, telle qu’il la voyait à travers les Classiques.

À dynastie nouvelle, « nouvelle politique ». Il se lance dans un ambitieux programme de réformes, « une rage de réformes » (Gernet), commençant par réorganiser la bureaucratie gouvernementale. L’administration étant tombée en décrépitude depuis plusieurs années, Wang Mang tente de mettre en pratique le système administratif que l’on trouve décrit dans le Zhouli (Rites de la dynastie des Zhou). Il fait un retour à un passé lointain, plus mythique que réel. Il procède à l’institution d’un nouveau calendrier. Il s’en prend surtout aux privilèges des riches et des propriétaires terriens, nationalisant les grandes propriétés pour redistribuer les terres en parcelles égales à tous les paysans. Il veut par là améliorer le sort de la paysannerie surtaxée et affaiblir les grands propriétaires terriens exemptés d’impôts. Il introduit ainsi en Chine le premier impôt sur le revenu, au taux de 10% pour les marchands.

Ce système agricole s’organise autour d’un groupe de huit foyers, dit « puits-champ » (jingtian), dont on trouve le schéma dans les ouvrages parlant de Wang Mang. Avec un carré regroupant neuf parcelles dont la partie centrale est le « puits ». Chaque foyer paysan cultive une parcelle dont il garde la récolte, la parcelle centrale étant cultivée en commun par les huit foyers et son produit revenant au seigneur. Les terres sont la propriété de l’État, les paysans en ayant seulement la jouissance. Il est interdit de les vendre. Les paysans se voient attribuer une surface qui dépend de la force de travail de la famille. On mesure la difficulté de ce « modèle d’équité théorique », en réalité impraticable et qui relève de l’utopie.

Wang Mang sous-estime les difficultés de sa mise en pratique. Les grands propriétaires s’insurgent contre cette répartition de la terre. De plus, la mesure ne profite pas tant que ça aux simples paysans, comme l’a montré l’historien français de l’Antiquité chinoise Léon Vandermeersch. Trois ans après son entrée en vigueur, la réforme est annulée. Dans l’esprit des historiens, il est clair qu’en voulant instituer ce système du « puits-champ », Wang entend briser le pouvoir économique des gros propriétaires terriens restés fidèles aux Han. Tout en protégeant ses propres partisans et en faisant rentrer les impôts. Du coup, ces mêmes historiens s’interrogent : comment Wang a-t-il pu imaginer qu’il réussirait une réforme aussi radicale et pour le moins utopique en en faisant trop et en allant trop vite ?

Peut-être parce qu’il avait foi dans ses propres prédictions et dans les effets de sa propagande. À Chang’an et dans cinq autres grandes villes, un fonctionnaire est par ailleurs chargé de contrôler les marchés, fixant les prix à ne pas dépasser. L’État offre des prêts sans intérêt aux pauvres et nécessiteux pour les mariages et les enterrements, ou encore pour l’exercice de certaines professions. Ce même État contrôle les activités économiques à travers six monopoles : sur le commerce du fer, ceux du sel et de l’alcool, des produits des montagnes et des marais (pêche), et la frappe des pièces de monnaie. Les forêts et les terres non cultivées et non cultivables sont nationalisées. Des impôts frappent les bénéfices de certains produits et les revenus de plusieurs activités. L’enseignement de la pensée confucéenne est soutenu et les textes et interprétations des Classiques sont fixés une fois pour toutes. Les paysans dans leurs champs et les enfants dans les écoles chantent les louanges de la Grande Paix, nous disent ses propagandistes. Une autre réforme est au départ la bienvenue : l’interdiction de la vente des serfs et des esclaves. Personne ne devrait plus souffrir de l’esclavage ou d’une quelconque forme de servitude. Les pratiques du servage et de l’esclavage subsistent néanmoins. Et là encore l’empereur doit annuler ses édits.

Cette économie administrée, fondée sur des réglementations gouvernementales, s’accompagne d’un contrôle des prix qui entrave les échanges commerciaux, au grand mécontentement des commerçants. C’est une des grandes constantes de la civilisation chinoise, essentiellement agricole, que d’entraver tout développement industriel ou commercial, comme si cela se faisait aux dépens de l’agriculture. Toutes ces mesures font que les historiens modernes vont jusqu’à qualifier Wang Mang et son interrègne de socialiste, voire de « communiste » avant la lettre.

Extrait du livre "Les trente 'empereurs' qui ont fait la Chine" de Bernard Brizay, aux éditions Perrin 

"Les trente 'empereurs' qui ont fait la Chine" de Bernard Brizay

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