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L‘industrie automobile française face à la plus grande crise de son histoire
©Reuters

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L’ensemble des industriels de la filière automobile a envahi Bercy hier pour convaincre l‘administration, les responsables politiques mais aussi l’opinion publique et les syndicats, que le secteur était à la veille d’une crise historique. L’exemple d’anticipation est tellement rare qu’on n’est pas sur qu’il soit entendu.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Des chiffres et des faits. C’est sans doute la première fois que toute une filière industrielle se retrouve solidaire pour prévenir d’un avis de tempête. L’initiative en revient à Luc Chatel, le discret président de la Plateforme automobile, une organisation qui regroupe l’ensemble de tous les acteurs qui participent à la filière automobile, en dehors des structures syndicales.  C’est déjà, lui, Luc Chatel, qui avait eu l’idée en 2008, alors qu’il était ministre de l’Industrie, de réunir des Etats généraux de l’automobile. A l’époque, il n’avait pas le choix. Le secteur était en train de s’effondrer sous les coups et contre coups de la crise financière internationale. Année terrible qui a failli mettre à plat tout le secteur. A l’époque, il a fallu que l’État béquille l’ensemble des entreprises et oblige les actionnaires de chaque entité à prendre eux aussi leur responsabilité, ce que la plupart ont fait sur la base de stratégies de redressement nouveau. A l’époque, même les syndicats ont accepté de signer des accords de compétitivité. 

Dans la forme, ce qui se passe aujourd’hui ressemble un peu à la grande messe de fin 2008, on y retrouve tous les acteurs. Mais dans le fond, c’est totalement différent. On était dans la panique et l’urgence absolue. Il fallait sauver Renault, Peugeot-Citroën et leurs sous- traitants. Aujourd’hui, c’est évidemment plus difficile puisqu‘on raisonne à froid, alors que la conjoncture reste encore soutenue après huit années de croissance quasi euphorique. Depuis le début de l’année, l’activité mondiale s’est nettement ralentie. La Chine et l’Inde ont très nettement sous-performé. Or, pour l’automobile européenne, la croissance était importée des pays émergents. Et tous les spécialistes affirment que le marché mondial est arrivé à un niveau qui est difficile à dépasser. D’autant que les injonctions politiques entre la Chine et les USA ont servi de catalyseurs à la prise de conscience internationale que le système était mur pour ralentir. 

Le ralentissement chinois, la baisse de dynamisme du marché américain après 8 ans d’expansion très rapide dopée par un crédit gratuit ou presque, ont fini par toucher l‘industrie européenne depuis la fin de l’année dernière. 

Globalement, le premier semestre de l’année s’est terminée en baisse de 3%. Le deuxième semestre ne sera pas meilleur et l’année se terminera au niveau de 15 millions de véhicules vendus, soit moins que ce qu‘en 2007 avant les subprimes. Le marché américain va baisser davantage.  

Le résultat de ce ralentissement est que les capacités de production sont sous-employées. Cela dit, l’appareil de production a suffisamment de flexibilité pour éviter la casse sociale. Personne ne craint un effondrement comme en 2008. 

Ce qui inquiète tous les responsables aujourd’hui est beaucoup plus grave. Le retournement du cycle est gérable, mais l’industrie est face à des facteurs d’évolutions structurelles extrêmement anxiogènes. 

Il y a des facteurs exogènes bien connus qu‘il faut surveiller comme les incertitudes de la politique américaine et l’évolution du conflit avec la Chine. Mais en vérité, personne ne croit que le président Trump érigera les murs du protectionnisme qu‘il menace de mettre en place. Les incertitudes liées au Brexit sont beaucoup plus impactantes pour l’activité que les tweets de Donald Trump.  

Il y a surtout des mutations structurelles qu’il va leur falloir assumer, parce qu’ils vont provoquer des bouleversements extrêmement puissants. 

La première porte sur le changement de motorisation avec le passage à l’électrique.  Pour l’industrie automobile mondiale, c’est une révolution. D’autant que beaucoup de constructeurs ont fait la promesse commerciale d’offrir des gammes de voitures électriques complète entre 2023 et 2025. L’électrification de la motorisation des produits de marques françaises représente 250 milliards d’euros d’investissement. Mais c’est toute la filière qui doit se retrousser les manches. Les constructeurs, les fabricants de batteries (qui sont pour l’instant principalement chinois) et les équipements de distributions d’électricité. 

La deuxième série de mutation porte sur la connectique et sur l’autonomie. L’autonomie des automobiles n’est ni pour demain, ni pour après demain. Elle va demander du temps, de la recherche et des investissements. En revanche, la digitalisation des voitures va progresser très vite. La question simple qui va se poser sera de savoir qui, dans la chaine de valeur fournira la digitalisation. Les constructeurs eux-mêmes ou les grands du digital qui ne sont pas français ? Les investissements colossaux avoisinent les 100 milliards d’euros. 

Le troisième défi porte sur les changements d’attitude des clients. Entre la location et le partage des voitures, entre Uber et Blablacar, la façon d’utiliser une voiture automobile est en train de changer. D’autant que le client de la ville sera très différent du client de province ou de campagne. La réponse à ces changements appartient aux constructeurs, mais les constructeurs en sont encore au Moyen-Age avec un client qui attend forcement une innovation forte dont il ne soupçonne même pas la façon dont il les appréhendera. 

Maintenant qui est concerné ? 

Les constructeurs, leurs actionnaires, les sous-traitants et l’Etat forcément. Non pas pour subventionner l’industrie comme en 2008, mais pour créer un écosystème favorable. 

L’équation est très simple. Pour fonctionner normalement, pour investir, les acteurs de la filière ont besoin d’investir massivement. Et pour investir, il faut pouvoir délivrer des marges opérationnelles suffisantes aux financiers, et surtout si les taux d’intérêt sont bas. 

En 2008, on estime qu’une voiture d’origine française était pénalisée de 1000 euros par rapport à une voiture étrangère (y compris allemande). A l’époque, le gouvernement a pris la décision de supprimer la taxe professionnelle. La production française est revenue au niveau de compétitivité mondial moyen. Avec en plus, les accords de compétitivité et le CICE,  les efforts de consolidation, les marges opérationnelles se sont nettement améliorées au cours des 8 dernières années. 

Aujourd’hui, le décor a changé. A quelques mois des risques de tempête, la compétitivité des produits et services français est retombée.

D’où la demande d’un plan d’urgence. Les constructeurs peuvent engager des plans stratégiques mais en l’état des réglementations (les normes) et de la fiscalité (les impôts de production qui ont beaucoup augmenté), ils ont surtout besoin qu’on leur dégage l’horizon et peut être qu‘on leur desserre un peu le calendrier de la transition écologique. Maintenant, va-t-on entendre l’analyse et ses conséquences ? Le passé nous a montré que l’Etat devient intelligent dans la crise. C’est à dire quand il n’a pas le choix. Mais aujourd’hui comme en 2007, personne ne croit vraiment que la tempête arrive. 

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