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L’incroyable phénomène des hikkikomori, ces “Tanguy” japonais
©DR

Isolement 2.0 ?

Le phénomène des hikikomori touche le Japon depuis près de 20 ans et est étudié en France depuis quelques années. Il décrit des jeunes, essentiellement des garçons, qui vivent reclus dans leur chambre pendant des mois ou des années, sans le moindre contact avec l'extérieur.

Maïa Fansten

Maïa Fansten

Maïa Fansten est sociologue, Maître de conférences à l'Université Paris Descartes - Sorbonne Paris Cité au Centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale, société (Cermes3)
Elle participe depuis plusieurs années à une étude collective sur les jeunes en retrait et a coordonné, avec Cristina Figueiredo, Natacha Vellut et Nancy Pionnié-Dax, l'ouvrage Hikikomori, ces adolescents en retrait
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Atlantico : Désignant une pathologie psychosociale qui touche de nombreux adolescents japonais, le mot hikikomori signifie "se retrancher" en japonais. Qu'elle est également cette pathologie et quels en sont les symptômes ? En quoi est-elle différentes d'autres formes d'isolement ?

Maïa Fansten : En premier lieu, il est important de préciser que l'aspect pathologique associé aux hikikomori n'est pas tout à fait consensuel. En vérité, c'est plus complexe : le terme hikikomori apparaît dans les années 90 au Japon et désigne une ligne de conduite, un comportement... La définition la plus habituelle du hikikomori représente le plus souvent un jeune garçon qui vit retiré à domicile depuis au moins 6 mois (pas moins), sans qu'une pathologie psychiatrique avérée ne parvienne à expliquer ce retrait. Le hikikomori, au fond, c'est à la croisée des chemins : entre la pathologie et le comportement. On ne peut pas vraiment parler de maladie identifiable et la communauté scientifique est divisée. Certains psychiatres défendent l'idée qu'il s'agit d'une nouvelle pathologie psychiatrique quand d'autre parlent plutôt de comportements spécifiques qui peuvent être liés à une pathologie mais qui ne le sont pas nécessairement.

Ce qu'il est important de savoir, c'est qu'au sein même de ces comportements, il existe un éventail de situations assez large : on en trouve des très radicales ou les jeunes sont tout à fait isolés. Au point d'avoir coupé tout contact relationnel et de ne plus avoir de communication avec l'extérieur. Ces jeunes sont souvent installé dans le domicile familial, ne parlent plus à personnes, restent dans leur chambre et ne communiquent pas même avec leurs proches. C'est le cas le plus célèbre, mais c'est aussi une vision très archétypale du phénomène, particulièrement extrême.On rencontre aussi de nombreux jeunes qui, sans être allés si loin, se sont retirés de toutes les attentes sociales qu'on pouvait nourrir à leurs égards. Ils ne participent plus à rien : ce sont des gens qui ne suivent plus d'études, sans pour autant travailler ou même chercher à travailler. Dans ce genre de situations, ils se sont désinvestis des relations amicales avec leurs pairs et leurs proches. C'est le point commun entre tous les hikikomori.

Au sein de ce panel de situations et de profils, on trouve effectivement des problèmes pathologiques, parfois très lourds, mais ça n'est pas toujours le cas. En un sens, le hikikomori est une énigme à la fois difficile à saisir pour les proches et le personnel soignant qui peut graviter autour. D'autant plus que le problème est très peu connu en France, ce qui encourage à coller des étiquettes... On cherche à raccrocher le phénomène à des thématiques qu'on connait bien, du côté des phobies sociales ou scolaire, du décrochage... Pour autant, quand bien même ce sont des situations qui se rapprochent de celles des hikikomori, ça n'est pas tout à fait la même et ne désigne pas exactement la même chose. La majorité des hikikomori étaient loin d'être en décrochage scolaire (au contraire, ils sont en général très impliqués dans les études), ce qui rend ce retrait soudain particulièrement déroutant. On ne comprend pas bien ce qui le motive.

Des chercheurs japonais et français se sont déjà réunis pour mener des recherches sur ce phénomène. Doit-on craindre une forme de contagion chez les jeunes français, ou ce syndrome existe-t-il déjà chez nous ?

Parler de contagion ou d'épidémie, c'est faire appel à des termes très alarmistes et peu appropriés. À l'origine, dans les années 90, ce phénomène a été décrit comme étant strictement japonais et relié à des caractéristiques précises de la société nipponne. Il n'y a d'ailleurs pas d'équivalent au mot hikikomori en français. Cela signifie « se replier, se retirer à l'intérieur », mais fondamentalement, le français ne dispose pas de mot pour désigner ces jeunes et c'est une des raisons pour lesquelles c'est si mal connu France. On a bien sur des termes qui décrivent des situations similaires, mais qui ne disent pas la même chose.

Pour autant, le problème existe en France et fait l'objet d'une étude menée depuis plusieurs années. S'il est très connu au Japon, c'est encore loin d'être le cas en Occident. Donc ; en ce qui concerne la France, on n'a pas de chiffres du tout. On appréhende la signification de ces comportements, de ce que font ces jeunes, de ce que vivent ces jeunes et de ces familles, de façon qualitative, pas du tout quantitative. On n'a pas de statistiques. Et par définition même, puisque ce sont des jeunes qui se retirent de tout, on ne peut pas les repérer. Ils sont difficiles à repérer donc ce sont toujours des estimations. Finalement, il semblerait que ça n'est pas uniquement un phénomène japonais et qu'il concerne également les sociétés modernes au sens large. On retrouve également cette thématique en Italie, aux États-Unis, en Espagne... et au fond c'est logique. Dans la mesure ou c'est un comportement qui s'articule autour des caractéristiques de nos sociétés : pour qu'un hikikomori puisse exister, il faut qu'il existe cette dimension de chambre individuelle (sans quoi il est impossible d'y vivre retiré plusieurs années durant). Les nouvelles technologies participent également, dans le sens ou elles permettent la position d'observateur, mais sans forcer à être acteur du monde. La majorité des hikikomori restent connectés pour observer le monde sans être actif dans celui-ci, à part pour certains dans l'univers des jeux vidéos. Cependant, il est complètement faux de les décrire génétiquement comme des addicts aux jeux-vidéos pour la simple et bonne raison qu'il n'y a pas de portrait-type. Certains y jouent. Beaucoup. D'autres peu, ou pas.

Quel est le public le plus susceptible d'être touché par cette pathologie, si tant est qu'il y ai un profil type des malades ? Pourquoi ?

Il n'y a pas de profil type. En général, les cas qui ont été rapportés au Japon décrivent souvent le hikikomori comme étant issu de classes moyennes ou supérieures. C'est chose logique : d'un point de vue matériel, entretenir jeune pendant des mois ou des années n'est pas à la portée de tous. Dans ce genre de situations, la famille participe également au phénomène, puisqu'elle rend possible la vie du jeune. Cependant, ça ne signifie en aucun cas qu'on ne trouve pas de hikikomori dans d'autres milieux, moins favorisés. Ils sont seulement beaucoup moins repérables : le destin d'un hikikomori issu d'une famille pauvre n'aura rien à voir. Il finirait probablement par être mis dehors et marginalisé d'une autre façon, à la façon d'un SDF par exemple. Dès lors c'est comme tel qu'on le verrait, et non pas comme un hikikomori alors que le schéma de départ est le même.

On constate souvent plus de cas chez les garçons que chez les filles, mais là encore, il est possible que le phénomène soit sous estimé lorsqu'il est questions de filles. Au Japon comme en Occident, les attentes sociales qui existent à l'égard des garçons et des filles divergent. Mine de rien et même si ça change doucement, on attend beaucoup plus des garçons qu'ils soient investis dans des activités extérieures, et qu'il soit performant en extérieur. Pour une fille, son rôle social demeure plus associé à l'univers domestique. Par conséquent, une adolescente qui passe plus de temps chez elle, ça n'est pas nécessairement perçu de la même façon par son entourage : ça n'a pas cette dimension inquiétante, alarmante même, que ça peut avoir avec un garçon. Par conséquent, c'est moins visible. Et même si ça semble être un phénomène plus masculin, dans le fond on ne dispose pas d'une réponse définitive sur cette question. Il existe plusieurs pistes, plusieurs hypothèses qui visent à expliquer pourquoi les garçons sont les plus touchés. La masculinité est quelque chose qui apparaît complexe aujourd'hui. La fragilité que peut représenter le fait de devenir un homme et de s'investir en tant qu'adulte pour répondre aux injonctions sociales peut créer un malaise qui s'exprime au travers de conduites comme le retrait. C'est d'autant plus cohérent dans une société qui exige beaucoup de l'individu qu'il soit autonome, comme la notre. La liberté de se construire soi-même et d'être son propre moteur en permanence peut être épuisant : ça pèse lourd. Dans certaines situations, la réponse à ça, c'est l'arrêt totale. Le retrait.

On peut blâmer une représentation genrée des rôles sociaux, qui définit ce qu'un individu accomplit dans la société, mais aussi la définition de l'individu aujourd'hui et de son autonomie. Il est important, aussi, de se souvenir que tout cela s'articule autour de trajectoires singulières, à des milieux particuliers qui vont participer et modeler partiellement la manifestation de la réponse, sous forme de retrait ou non. On parlait plus tôt d'épidémie et de contagion : il ne faut pas y voir une déclaration alarmiste, mais ce type de conduite se développe et est amené à devenir de plus en plus fréquent : c'est un langage du replis, une autre façon de s'exprimer dont l'hikikomori est l'archétype.

Certains hikikomori passent plusieurs années reclus dans leur chambre. Existe-t-il une thérapie efficace à ce jour ? En quoi consiste-t-elle ?

Il existe beaucoup de réponses. Certaines sont d'ordre thérapeutique. En raison de la longue existante du phénomène au Japon, il y a une offre très large de réponses, parfois sous formes de thérapies d'ordre médicale ou psychiatrique mais également (et dans de nombreux cas) sous forme de structures d'accueil. Des groupes de paroles existent, dans certains cas animés par d'anciens hikikomori eux mêmes, de façon à proposer à ces jeunes de se réorganiser, de se réinsérer progressivement dans la société au travers de communauté ou de groupes.

La France, de son côté, n'a pas tant de réponses véritablement ciblées sur le problème, dans la mesure ou celui-ci demeure méconnu. Mais il est essentiel de le dire aux familles concernées : il existe des thérapies, des aides peuvent êtres apportées (tant aux jeunes qu'à la famille) lorsque de telles périodes sont traversées. Il ne faut pas baisser les bras, mais il ne faut pas non plus sous-estimer le phénomène : il existe bien trop de cas de figure. Parfois l'isolement ne dure que quelques mois, puis la vie reprend son cours, dans d'autres cas c'est une dynamique qui s'installe durablement (sur plusieurs années) et il devient très dur d'en sortir sans aide extérieur en raison de la routine familiale qui se construit autour du retrait, de la peur de brusquer cette personne dont on perçoit bien qu'elle est fragile. Il est essentiel de prendre appui sur l'extérieur et d'aller chercher de l'aide.

Propos recueillis par Vincent Nahan

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