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L’imposture historique de la gauche dans la Résistance et de la droite dans la collaboration
©AFP

Bonnes feuilles

Dominique Lormier publie Les vérités cachées de la Seconde Guerre mondiale aux éditions du Rocher. On croit tout connaître de la Seconde Guerre mondiale. Cet ouvrage captivant, reposant sur des documents et des témoignages inédits, balaie de nombreux clichés. Dominique Lormier révèle quelques-unes des vérités cachées de cette période cruciale du XXe siècle. Extrait 1/2.

Dominique Lormier

Dominique Lormier

Dominique Lormier, historien et écrivain, est considéré comme l'un des meilleurs spécialistes de l'histoire militaire. Membre de l'Institut Jean-Moulin et membre d'honneur des Combattants volontaires de la Résistance, il collabore à de nombreuses revues historiques. Il est l'auteur d'une centaine d'ouvrages.

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La terrible saignée de 1914-1918 plonge une partie de la France dans un pacifisme béat, cherchant par tous les moyens à s’entendre avec l’Allemagne, même devenue hitlérienne… C’est ainsi que des hommes de gauche vont s’engager massivement dans la collaboration. Spécialiste de l’antisémitisme, l’historien israélien Simon Epstein a constitué au fil des ans un socle informatif considérable, à travers notamment un livre remarquable : Un paradoxe français : antiracistes dans la Collaboration, antisémites dans la Résistance, sur les itinéraires contrastés de deux catégories de Français :

… ceux qui protestèrent contre le racisme et l’antisémitisme dans les années 1920 et 1930, avant de s’engager dans la Collaboration ; et ceux qui exprimèrent une hostilité ou un préjugé à l’égard des juifs, puis qui se retrouvèrent, l’heure venue, dans la Résistance […]. Les principaux chefs de la Collaboration ont traversé, chacun à sa manière, une phase de dénonciation de la haine antijuive ; beaucoup furent même militants de la Ligue internationale contre l’antisémitisme (LICA). Réciproquement, de nombreux résistants, et non des moindres, sont originaires d’une extrême droite nationaliste qui, dans les années 1930, fut fertile en prises de position hostiles aux juifs (Simon Epstein, Un paradoxe français : antiracistes dans la Collaboration, antisémites dans la Résistance, op. cit.).

Les itinéraires de Jacques Doriot et de Marcel Déat, deux personnalités importantes de la gauche pacifiste des années 1920, devenus les chefs des deux plus importants mouvements collaborationnistes durant l’Occupation (Parti populaire français et Rassemblement national populaire), sont révélateurs de cette évolution. À l’inverse, Gilles Renault, nationaliste proche de Charles Maurras, futur colonel Rémy, et Marie-Madeleine Fourcade, nationaliste anticommuniste, chefs des deux plus importants réseaux de la Résistance française (la Confrérie Notre-Dame et Alliance) illustrent parfaitement l’importance de la droite dans la lutte contre l’occupant. On pourrait multiplier les exemples à ce sujet. 

Il convient donc de se plonger dans les parcours de Déat et de Doriot pour découvrir une présence considérable des hommes de gauche dans la Collaboration, et dans ceux de Rémy et de Fourcade pour s’apercevoir de l’importance de la droite dans la Résistance.

Marcel Déat et Jacques Doriot : du pacifisme de gauche à la Collaboration

Marcel Déat est né à Guérigny dans la Nièvre le 7 mars 1894. Issu d’un milieu modeste, républicain et patriote, il accomplit de brillantes études qui lui permettent d’intégrer l’École normale supérieure en 1914. La même année, il adhère à la SFIO (parti socialiste de l’époque) par idéalisme philosophique. Mobilisé au front pour la guerre, il s’illustre par son indéniable courage, reçoit plusieurs décorations et se voit promu au grade de capitaine. Sous le pseudonyme de Taëd, il publie Cadavres et maximes, philosophie d’un revenant, où il ne cache pas son horreur de la guerre moderne, exprime un pacifisme viscéral, tout en étant fasciné par la discipline collective et la camaraderie du front. Le conflit terminé, il reprend ses études et passe l’agrégation de philosophie. Il s’oriente finalement vers la sociologie, sous la tutelle de Célestin Bouglé, qui le place au secrétariat du Centre de documentation sociale de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, à Paris. 

En 1925, Marcel Déat est élu sur une liste socialiste au conseil municipal à Reims, où il enseigne. À la faveur d’une élection partielle en 1926, il est élu à la Chambre des députés jusqu’en 1928. Léon Blum, qui voit en lui son dauphin, le nomme secrétaire du groupe parlementaire de la SFIO. En 1930, Déat participe au troisième cours universitaire de Davos, en compagnie de nombreux intellectuels français et allemands. En 1931, il publie Perspectives socialistes, un livre théorique de réflexion sur la doctrine de ce courant de pensée politique. Il estime que le socialisme doit s’adapter à l’évolution de la société capitaliste qui ne semble pas s’autodétruire, contrairement aux prédictions marxistes. D’après Déat, l’État doit avoir un rôle central dans la protection sociale, tout en laissant en place la liberté de la propriété individuelle. Il exprime clairement son opposition à la collectivisation et à la révolution. Il s’oppose farouchement au marxisme. En 1932, il est élu député socialiste du 20e arrondissement de Paris. En 1933, il adhère au Parti socialiste de France-Union Jean Jaurès, une branche socialiste réformiste, qui veut renforcer l’État contre la crise économique, tout en voulant s’ouvrir aux classes moyennes et participer aux gouvernements centristes. 

Déat et ses proches, comme Renaudel, Marquet et Montagnon, fusionnent leur nouveau parti avec d’autres groupes de gauche, afin de former en 1935 l’Union socialiste républicaine. Déat est également membre du comité de vigilance des intellectuels antifascistes, puis ministre de l’Air en 1936, au sein du cabinet Sarrault. Il va même se rallier au gouvernement de Léon Blum après la victoire du Front populaire. Il est cependant battu aux élections législatives de 1936. À l’époque du Front populaire, Déat rencontre Charles de Gaulle à plusieurs reprises, grâce à un ami commun, l’avocat Jean Aubertin. De Gaulle écrit à Aubertin en novembre 1937 :

Déat a sans aucun doute un grand talent et une haute valeur.

Tout au long des années 1930, Marcel Déat pourfend le racisme et l’antisémitisme. Il prend la parole à diverses réunions antinazies de la Ligue internationale contre l’antisémitisme (LICA). Il participe en novembre 1935 à une réunion contre les lois racistes et antisémites de Nuremberg et affirme : « Nous sommes un peuple métis. » Il souhaite que l’Allemagne se libère de la peste nazie et renoue avec l’humanisme d’Hegel, de Fichte, de Schelling, de Kant, de Goethe et de Schiller. Pro-sioniste, il est membre du Comité France-Palestine, du Comité de défense des droits des Israélites en Europe centrale et orientale. Le Droit de vivre, journal de la LICA, publie la photo de Marcel Déat et appelle à voter pour lui dans son numéro du 25 avril 1936. Étroitement associé à la LICA autant qu’à d’autres mouvements pro-juifs, il est l’un des hommes politiques français qui critiquent le plus l’antisémitisme et le racisme durant les années 1930. En 1939, Marcel Déat est élu député à Angoulême. 

Pacifiste depuis la fin de la Grande Guerre, Marcel Déat publie en 1939, dans L’Œuvre, un article retentissant dénonçant la politique étrangère britannique et s’insurge contre l’idée que les ouvriers et les paysans français aient à verser leur sang pour la Pologne. Il ironise sur la capacité de l’armée polonaise à pouvoir affronter les Panzerdivisionen allemandes. Il accuse le gouvernement français de bellicisme et d’être manipulé par une Angleterre capitaliste, qui cherche selon lui à défendre son empire économique en se servant du sang du peuple français. C’est ainsi qu’il appuie logiquement l’armistice du 22 juin 1940 demandé par Pétain, ainsi que la nomination de Pierre Laval, lui-même pacifiste convaincu de gauche, comme viceprésident du Conseil. 

Allié politique de Laval et des Allemands, mais détesté par Pétain, Marcel Déat se rend à Paris, afin d’unifier les divers mouvements collaborationnistes de la zone occupée, dans le but de créer un parti unique, véritable fer de lance d’une révolution national-socialiste, ayant pour modèle le fascisme italien ou le nazisme hitlérien. Il juge la politique de Vichy trop frileuse et se rapproche de plus en plus des Allemands, mais il se garde de critiquer Pétain et Laval, qui pourraient lui obtenir un poste au gouvernement. En février 1941, il fonde le Rassemblement national populaire (RNP), mouvement politique ultra-collaborationniste qui regroupe surtout d’anciens militants socialistes et syndicalistes, quelques anciens parlementaires de droite, tous séduits par les modèles allemands et italiens. Cependant, le RNP souffre de la concurrence des autres partis fascistes de la zone occupée, dont notamment le Parti populaire français (PPF) de Jacques Doriot.

Le RNP comprend le comité directeur suivant : Marcel Déat, Jean Fontenoy, ancien membre du Parti communiste français et du PPF ; Jean Van Ormelingen, de nationalité allemande, membre du MSR, puis engagé dans la LVF ; Eugène Deloncle (chef de la Cagoule, puis du MSR) ; Jean Goy, industriel, député conservateur, ancien président de l’Union nationale des combattants. 

Cependant, cet accord entre Marcel Déat et Eugène Deloncle ne dure pas du fait des rivalités personnelles et des divergences politiques sur certains points. Le MSR est finalement exclu du RNP en octobre 1941. 

Sur le plan idéologique, le RNP s’inspire du fascisme italien avec l’idée d’un régime à parti unique, mais dans une Europe unifiée et socialiste. Déat se réclame de l’héritage républicain, laïque, pacifiste, ce qui le différencie du PPF de Doriot. Le RNP défend même le principe de suffrage universel, l’école publique, une ligne anticléricale et le maintien des bustes de Marianne dans les mairies. Il verse dans un antisémitisme moins violent que le PPF. En juillet 1942, le RNP admet des distinctions entre diverses catégories de juifs : les juifs anciens combattants et les juifs utiles (savants, intellectuels, producteurs) doivent être intégrés à la nation, ce que le PPF critique avec virulence. Le RNP proteste contre la révocation de certains maires de gauche, contre les campagnes anti-maçonniques de Vichy. Il défend la thèse d’un Hitler « idéalisé », présenté comme « voulant effacer les frontières au profit d’une Europe unifiée et socialiste ». Les idées européennes du RNP causent une opposition constante avec les éléments nationalistes du régime de Vichy. 

En 1942, la Commission permanente du RNP, instance dirigeante par excellence, ne comprend plus que d’anciens socialistes de la SFIO, du Parti socialiste de France-Union Jean-Jaurès et de l’Union socialiste républicaine. Bénéficiant du soutien de l’ambassadeur allemand Otto Abetz, Déat prône une collaboration active avec l’Allemagne hitlérienne. 

Le RNP connaît son apogée en 1942 avec environ 30 000 membres. Plusieurs formations annexes sont organisées, comme les Milices nationales populaires, les Sections féminines, la Légion nationale populaire (service d’ordre), les Jeunesses nationales populaires (organisation de jeunesse du parti), le Groupe franc (unité de sécurité du parti), les Cadets de Marcel Déat (formation calquée sur le scoutisme), les Comités techniques (regroupant des intellectuels, des économistes et des techniciens), les Volontaires de la solidarité nationale (œuvre sociale du RNP), etc. Le 10 juin 1944, le RNP engage ses militants « à rejoindre les formations miliciennes que Joseph Darnand a mobilisées hier ». Certains des dirigeants du parti se réfugient en Allemagne de septembre 1944 à mai 1945. 

Le 27 août 1941, Marcel Déat est blessé lors d’un attentat contre Laval, alors qu’ils passent ensemble en revue les troupes de la LVF devant rejoindre le front russe. Le 16 mars 1942, il échappe de peu à un attentat de la Résistance, lors d’une conférence qu’il donne à Tours. À la demande des Allemands, il entre le 16 mars 1944 dans le gouvernement de Pierre Laval, en tant que ministre du Travail et de la Solidarité nationale. Il soutient une politique de collaboration totale avec l’Allemagne. 

Durant l’été 1944, Marcel Déat quitte la France pour se réfugier à Sigmaringen en Allemagne, tout en conservant le titre de ministre du Travail au sein de la Commission gouvernementale, organisation politique fantoche de l’ancien régime de Vichy. En avril 1945, il quitte le territoire allemand et part se réfugier en Italie du Nord. Il se cache en divers endroits sous un nom d’emprunt, se convertit au catholicisme, décède finalement le 5 janvier 1955 dans le couvent de San Vito, près de Turin. Il est condamné à mort par contumace à la Libération. 

L’écrivain collaborationniste Lucien Rebatet écrit :

C’était de Marcel Déat que je me sentais le plus proche. Cet ancien socialiste avait à mon sens la tête la plus solidement fasciste de tout Paris. J’appréciais déjà peu les agrégés de philosophie ; mais celui-là, ancien normalien, de surcroît héroïque officier d’infanterie durant la Première Guerre mondiale, avait su garder la tête claire tout en étant un virtuose de la dialectique. Je savourais chaque matin son éditorial de L’Œuvre, ferme, imagé, percutant, où la verve du journaliste servait si heureusement son intelligence. J’y voyais la charte complète d’un état vraiment nouveau, le parti unique, le renversement des vieilles oligarchies financières, militaires, cléricales, la foi dans la construction d’une Europe unie, et aussi le décorticage le plus pertinent et le plus malicieux des slogans déjà creux de Vichy, Famille, Travail, Patrie, Spiritualités. Mais Déat se répandait peu, se liait encore moins […]. Et mon passage chez les doriotistes, qui rappelaient à tout propos qu’il avait été conférencier en loge, n’était pas destiné à me faire entrer dans son intimité (Cité par Philippe Randa, Dictionnaire commenté de la collaboration française, Jean Picollec, 1997.).

Extrait du livre de Dominique Lormier, Les vérités cachées de la Seconde Guerre mondiale, publié aux éditions du Rocher.

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