L’immunité collective acquise grâce à Omicron, une illusion ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Un agent de santé réalise un test antigénique pour la Covid-19, près de la Tour Eiffel, à Paris, le 21 juillet 2021.
Un agent de santé réalise un test antigénique pour la Covid-19, près de la Tour Eiffel, à Paris, le 21 juillet 2021.
©BERTRAND-GUAY / AFP

Protection contre de futurs variants

Omicron et l'arrivée du sous-variant BA.2 reposent la question du risque de réinfection au Covid-19. Les personnes touchées par la souche Delta risquent-elles d'être contaminées par le variant BA.2 ?

Antoine Flahault

Antoine Flahault

 Antoine Flahault, est médecin, épidémiologiste, professeur de santé publique, directeur de l’Institut de Santé Globale, à la Faculté de Médecine de l’Université de Genève. Il a fondé et dirigé l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (Rennes, France), a été co-directeur du Centre Virchow-Villermé à la Faculté de Médecine de l’Université de Paris, à l’Hôtel-Dieu. Il est membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine. 

 

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Atlantico : On entend parler depuis quelques jours du sous variant BA.2 d’Omicron et d’un risque de réinfection au Covid-19 dans un laps de temps restreint. Que sait-on de ce phénomène ? La vague de contaminés par Delta ou Omicron pourrait-elle être de nouveau contaminée prochainement par BA.2 ?

Antoine Flahault : On ne sait pas encore si les réinfections par le sous-variant BA.2 de personnes ayant guéri d’un Covid-19 dû au sous-variant BA.1 d’Omicron, rapportées par les Danois, restent anecdotiques ou représentent un phénomène plus important. Si l’immunité acquise par l’un des sous-variants d’Omicron ne protégeait pas contre l’autre, alors en effet, on pourrait redouter une nouvelle vague de contaminations, un peu comme la vague liée au sous-variant Omicron BA.1 a succédé immédiatement à celle liée au variant Delta en France en décembre dernier. La possibilité de réinfections entre les deux sous-variants d’Omicron n’est par ailleurs pas une hypothèse totalement farfelue car la distance génétique entre ces deux sous-variants d’Omicron est plus importante (en termes de nombre de mutations affectant la protéine Spike) que celle séparant BA.1 du variant Delta.

Ces possibilités de ré-infections à court terme et les caractéristiques des variants actuels compromettent-elles définitivement les chances d’atteindre l’immunité collective ?

Il faut s’entendre avec la définition du concept d’immunité collective. Tout d’abord, l’immunité collective est un calcul dérivé de la modélisation mathématique. Il s’agit d’un produit de l’épidémiologie théorique qu’il faut donc confronter à la réalité, c’est-à-dire aux observations épidémiologiques. La formule mathématique fournit un chiffre d’immunité collective à atteindre pour espérer bloquer toute nouvelle épidémie. C’est p > 1-1/R0. Si le R0 d’Omicron, taux de reproduction de base est égal à 10 (ce que l’on ne sait pas avec précision), alors il faudrait que 90% de la population soit immunisée efficacement pour bloquer toute nouvelle épidémie. Déjà, le concept d’immunité collective ne renvoie pas directement un chiffre de couverture vaccinale mais bien une proportion d’immunité efficace de la population. Ce que l’on a appris du coronavirus c’est que l’immunité que confère l’exposition à un variant ne protège pas ou protège très partiellement contre l’infection par un autre variant. De même, l’immunité conférée par les vaccins, qui ont été développés contre la souche initiale de Wuhan, ne protègent pas très  efficacement contre l’infection par Omicron. Ainsi, confrontée à la réalité, la notion d’immunité collective semble moins accessible qu’on ne l’avait espéré. On ne peut donc pas attendre que l’immunité acquise par la population, que ce soit par le vaccin ou par les variants précédents, la protège contre un nouveau variant circulant. En revanche, il semble que l’immunité acquise contre un variant donné nous protège bien contre une réinfection par le même variant (avec une incertitude concernant la protection acquise contre le sous-variant BA.1 vis-à-vis de BA.2). Mais il y a un élément important qui ne relève pas du concept d’immunité collective décrit ci-dessus mais qui concerne notre protection immunitaire contre les formes graves de Covid. Cette protection relève d’un autre mécanisme, celui de l’immunité à médiation cellulaire. Il apparaît que l’immunité à médiation cellulaire se renforce avec le temps, de vagues en vagues, de variants en variants, de doses vaccinales en doses vaccinales. La population est de mieux en mieux armée pour lutter contre les formes graves d’Omicron parce qu’elle est largement vaccinée, souvent avec trois doses et parce qu’elle a souvent rencontré un précédent variant du SARS-COV-2. Notre immunité ne nous protège peut-être pas très bien contre une infection lorsque un nouveau variant émerge, mais elle nous évite largement de développer des formes graves qui peuvent conduire à l’hospitalisation ou au décès.

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Avons-nous trop tendance à percevoir chaque variant comme le « dernier », soit celui qui nous fera sortir de la pandémie, notamment via l'immunité collective ?

Depuis le début de la pandémie, les responsables politiques dans de nombreux pays se sont conduits comme si la vague qu’ils subissaient serait la dernière. Cela remonte à la toute première vague, lorsque l’été 2020, la population européenne s’est remise rapidement à revivre comme avant. Ce fut le cas après la deuxième vague, car le vaccin arrivait et allait changer la donne. La troisième vague en France n’a pas été anticipée, malgré les demandes répétées du Conseil Scientifique dès janvier de reprendre la main sur un plateau de contaminations qu’il trouvait trop élevé. La quatrième vague est survenue au milieu de l’été 2021, à une époque où l’Europe pensait pouvoir oublier enfin la pandémie sur la plage. La suivante ne devait pas survenir puisque le pass sanitaire avait été maintenu en France à l’inverse des audacieux Danois qui l’avaient levé. Les uns comme les autres ont eu à affronter à quelques jours d’écart la cinquième vague automnale. Annoncée pour atteindre son pic le 15 décembre, elle s’est poursuivie un mois et demi de plus avec la vague Omicron qui a pris son origine dans la cinquième vague, chassant Delta de sa position dominante. Aujourd’hui, on entend nombre de politiques et aussi d’experts annoncer la fin de la pandémie avec la fin de cette cinquième vague. Rien de nouveau. Personne n’en sait rien en fait, mais on n’aime pas ne pas savoir et encore moins ne pas prévoir. On préfère tous les happy end. Mais l’hypothèse qu’un nouveau variant émerge de quelqu’endroit du monde et s’installe comme nouvelle souche dominante dans les semaines à venir paraît presque la seule chose dont on est sûr. Alors, non, il n’est pas exact de dire que tous les scientifiques pensent la pandémie terminée.

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Dans ce cadre, la levée des restrictions en Europe, parfois totale, et partielle hier en France, est-elle une mauvaise stratégie ? Ou bien est-ce inévitable face à la situation virale hors de contrôle ?

Quitte à paraître paradoxal, je soutiens la doctrine qui consiste à lever les restrictions dès que le mauvais temps s’éloigne et de faire bénéficier la population de l’accalmie, tant qu’elle dure. Mais en posant deux conditions.

La première condition est de ne pas appliquer la doctrine allégiste à contre-temps. Les Danois, très agiles depuis le début de la pandémie, ont souvent été les premiers en Europe, tant pour confiner ou pour introduire le Coronapass (leur pass sanitaire), que pour lever les mesures. Mais là, ils décident de lever toutes les mesures alors même que les contaminations et les décès sont à des niveaux records et continuent de grimper. N’auraient-ils pas pu attendre quelques semaines supplémentaires ? Il ne fait pas bon être une personne immunodéprimée au Danemark en ce début février. Les Britanniques ont souvent été à contre-temps dans cette pandémie. Alors que la France instaurait son pass sanitaire, au milieu de l’été, le Royaume-Uni décidait la levée de toutes les mesures sanitaires. Résultat, la France a rapidement repris la main sur sa quatrième vague tandis que les Britanniques ont connu un plateau élevé de contaminations et une mortalité quotidienne très supérieure à celle outre-Manche. À nouveau, ils lèvent aujourd’hui toutes leurs mesures sanitaires, alors qu’ils ont 100.000 contaminations et 200 décès quotidiens. D’ailleurs, depuis quelques jours, la décrue semble enrayée au Royaume-Uni. A suivre. Tout le monde en a assez de cette pandémie. Tout le monde voudrait tourner la page. Mais encore faut-il le faire à bon escient. Encore faut-il le faire progressivement, en fonction des indicateurs sanitaires. L’accalmie ne commence pas au sommet de la vague.

La deuxième condition est de chercher à prévenir les nouvelles vagues plutôt que courir derrière elles en permanence. Peu d’investissements ont été consacrés depuis deux ans à l’amélioration de la qualité de l’air intérieur. Alors que nous passons 90% de notre temps en milieu clos, que 99% des contaminations par le coronavirus s’y produisent, nous continuons à devoir respirer un air vicié, insalubre et contaminé, là où nous vivons, nous déplaçons, nous travaillons, nous restaurons ou nous divertissons. Il serait temps, lorsque l’accalmie revient, que nos gouvernants se penchent sur la question, non ?

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