L’immigration, solution facile aux emplois non pourvus ? Voilà les chiffres qui montrent que la question est plus complexe<!-- --> | Atlantico.fr
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Le 18 février 2023, des manifestants déploient une banderole sur laquelle on peut lire "L'administration de La Poste exploite les sans-papiers, régularisation !".
Le 18 février 2023, des manifestants déploient une banderole sur laquelle on peut lire "L'administration de La Poste exploite les sans-papiers, régularisation !".
©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

À contretemps

Le ministre délégué chargé de l'Industrie, Roland Lescure, s'est dit favorable à l'immigration afin de pallier les difficultés de recrutements dans certains secteurs.

Arnaud Lachaize

Arnaud Lachaize

Arnaud Lachaize est universitaire, juriste et historien. 

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Atlantico : « La réindustrialisation de la France ne se fera pas sans l’immigration », affirme le ministre délégué chargé de l’Industrie, Roland Lescure. Dans quelle mesure cette affirmation ne se vérifie pas dans les chiffres ?

Arnaud Lachaize : D’abord, le ministre chargé de l’industrie ne tient pas le même discours que le président de la République qui a déclaré au Point récemment : « Il faut réduire significativement l’immigration ». Sur l’immigration aussi, le « en même temps » est à l’œuvre. Roland Lescure semble retarder de 60 ans par ces propos. Certes, la France a eu besoin d’une main d’œuvre immigrée massive et sous qualifiée et sous payée dans les années 1960 pour son industrie automobile. Aujourd’hui, l’industrialisation est moins dépendante d’une main d’œuvre sous qualifiée, le travail à la chaîne ayant quasiment disparu du fait de la robotisation et de l’informatisation. La réindustrialisation a besoin d’une main d’œuvre hautement qualifiée et non de l’arrivée massive de travailleurs sous-qualifiés comme jadis. Or, il incombe à l’Education nationale et à notre système de formation d’assurer principalement cette formation d’ingénieurs, d’informaticiens et de techniciens de haut niveau. Le recours à des recrutements hors des frontières peut se faire ponctuellement, mais le temps des recrutement massifs de travailleurs immigrés est révolu depuis longtemps. M. Lescure se trompe d’époque.

Dans quelle mesure la structure de l’immigration en France ne permettrait pas de réduire le chômage ? Quid des autres pays ? 

L’immigration en France est largement sous qualifiée 40% des immigrés n'ont aucun diplôme ou un niveau brevet ou CEP (contre 21% pour l'ensemble de la population). A cela s’ajoute qu’environ un tiers des migrants ne sont pas francophones et donc dans la quasi impossibilité de s’insérer par le travail…Il est certain que le Royaume-Uni et les Etats-Unis privilégient une immigration de niveau professionnel supérieur, en faisant venir, en proportion plus élevée, des médecins et des ingénieurs ou informaticiens par exemple. Aujourd’hui, la France délivre chaque année 350 000 premiers titres de séjour à de nouveaux migrants, dont 80 000 à des étudiants, 100 000 pour raisons familiales, 40 000 pour raisons humanitaires (réfugiés, étrangers malades) et 40 000 pour raisons professionnelles. Ces migrants ont le droit de travailler en France, sauf quelques exceptions (titre de séjour « visiteur » pour accompagner un parent malade). En outre elle accueille 150 000 demandeurs d’asile. Bien sûr, il y a aussi des départs, mais en nombre beaucoup plus réduit, non connus dans les statistiques. Grosso modo, la France compte un supplément de présence immigrée qui dépasse sans doute largement les 300 000 personnes chaque année. Mais nonobstant les informations tronquées du gouvernement, la France compte aussi, selon pôle emploi, 5 millions de demandeurs d’emploi et 2 missions de bénéficiaires du RSA. Dans ces conditions, avec cette masse gigantesque de personnes privées de travail en France et 300 000 entrées supplémentaires au moins annuellement, il est totalement absurde d’affirmer que la France a besoin d’encore plus d’immigration pour sa réindustrialisation. Certes il existe des emplois non pourvus, mais sûrement pas dans ces proportions. La priorité devrait être de former des personnes dans la masse immense des exclus déjà sur le territoire pour occuper ces emplois. Nous sommes dans l’idéologie.

Comment expliquer que le taux de chômage pour les immigrés de 2ème et de 3ème génération soit sensiblement plus élevé que celui des personnes sans ascendance migratoire ou d'origine européenne ? Faut-il y voir des raisons culturelles ? 

Selon l’INSEE, le taux de chômage dépend beaucoup de l’origine géographique. Il est de 7% pour les non immigrés, de 8% pour les immigrés Européens, de 9% pour les Asiatiques, de 14% pour les personnes originaires de Turquie et du Moyen-Orient, de 15% pour les personnes d’origine africaine. Cet écart s’explique par le niveau de développement, de scolarisation, d’employabilité des personnes concernées. Dans l’économie actuelle, les emplois non qualifiés se raréfient, notamment du fait de la diminution sinon la disparition des tâches répétitives en usine dans les économies des pays les plus développés. Bien sûr, il reste des tâches peu qualifiées, mais elles ne suffisent pas à pourvoir du travail pour la masse des nouveaux arrivants. D’autant plus que contrairement à la philosophie du déni qui prévaut dans les cercles du pouvoir, le chômage demeure un gigantesque fléau qui frappe une grande partie de la population et se traduit par l’exclusion de plusieurs millions de personnes nées en France. La priorité devrait être de lutter contre l’assistanat et de permettre grâce à la formation professionnelle à ces millions de personnes en âge de travailler d’obtenir un emploi.

Une personne immigrée est-elle nécessairement condamnée à faire face au chômage ? Dans quelle mesure l’ascenseur social fonctionne-t-il pour les personnes immigrées ? 

Tout dépend du modèle d’immigration. Pour un migrant ayant la maîtrise du français, un certain niveau d’études surtout dans les formations scientifiques et le désir de s’insérer en France, toutes les possibilités sont ouvertes. En revanche, laisser entrer des populations immigrées qui ne parlent pas ou peu le français, n’ont aucune formation ni aucune scolarisation, sans expérience du travail revient à favoriser le risque de la ghettoïsation, de l’exclusion et de la révolte sous toutes ses formes, pour elles-mêmes et pour leurs descendants. N’est-ce pas ce que nous avons vécu ces derniers mois ?

Que pensez-vous du projet de réforme de l’immigration qui vise à créer un nouveau titre de séjour pour les métiers en tension ?

Le projet gouvernemental de créer un titre de séjour pour permettre de régulariser des migrants en situation irrégulière sur les métiers en tension relève avant tout de l’opération politique ou idéologique. En effet, tous les outils juridiques existent déjà pour régulariser qui on veut et quand on veut. C’est un principe fondamental du droit français, forgé par la jurisprudence du Conseil d’Etat, que l’administration, à travers les préfets, dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour régulariser, aussi bien pour des raisons de travail que familial. Il suffit d’une circulaire du gouvernement pour demander aux préfets de régulariser les personnes ayant un travail illégal comme cela a été fait à maintes reprises comme en 2012. Par son projet de loi, le gouvernement veut mettre fin à cette politique du cas par cas et renouer avec des régularisations ostensibles, massives et spectaculaires à l’image de celles qui étaient courantes en Italie et en Espagne dans les années 2000 et ont provoqué des appels d’air dévastateurs. Il donne une prime aux « patrons voyous » qui ont privilégié des recrutements dans des conditions de quasi-esclavagisme. Et qui d’ailleurs vont s’empresser de se débarrasser de leurs employés par tous les moyens une fois ceux-ci régularisés et donc soumis aux règles du droit du travail.

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