L’illusion de la transparence : pourquoi les autres ne nous comprennent pas toujours aussi bien que nous le pensons <!-- --> | Atlantico.fr
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Les autres ne nous comprennent pas toujours aussi bien que nous le pensons.
Les autres ne nous comprennent pas toujours aussi bien que nous le pensons.
©Reuters

Qu'est-ce que tu dis ?

Selon la psychologie cognitive, nous avons tendance à surestimer la compréhension qu'ont les autres de nos propres états d'âme. Un sourire et nous pensons que tout le monde sait que nous sommes heureux ... Mais c'est sans compter sur "l'illusion de la transparence", un biais cognitif qui rend la communication humaine non-verbale parfois bien ardue !

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Atlantico : Prenons l'exemple d'une femme fâchée, elle le fait comprendre à son mari par son langage corporel ou ses expressions faciales, pour elle le message est clair, cependant le mari pense, de son côté, qu'elle est juste un peu fatiguée. En socio-psychologie ce biais est dénommé "l'illusion de la transparence". Comment fonctionne ce concept et quelles en sont les racines ? Avez-vous des exemples similaires ?

Pascal Neveu : Ce concept repose sur le fait que nous avons tendance à exagérer le fait que nos gestes, actes et pensées sont observés et compris par les autres. Autrement dit, le regard de l’autre l’emporte sur notre propre capacité à émettre l’attitude adéquate à ce que nous souhaitons exprimer. C’est le cas de cette femme.

Mais ce peut être également le cas du voleur, du menteur ou du tricheur qui va se faire repérer et se faire prendre, trahi par un comportement suspect, car scrutant trop le regard des autres qu’il imagine savoir qui il est, jusqu’à la faute repérée.

Prenons d’autres exemples d’illusions :

  • Un enseignant qui souhaite donner une leçon à ses étudiants en se montrant furieux et autoritaire lorsqu’il rend des copies d’examens médiocres … mais ne se rend pas compte que son visage n’est pas aussi fermé que ce que les élèves attendraient. Le résultat n’est pas celui escompté par le prof.
  • Ce peut également être le cas inverse d’un tout jeune conférencier stressé lors de sa première intervention devant une salle pleine. Son angoisse le contraint à s’auto-centrer sur ses propres ressentis (gorge sèche, voix faible, balbutiements, rougeur, mais moites, tête baissée…). Il se ressent comme nul, alors que le public a perçu une aisance naturelle.
  • Mais aussi le cas des joueurs de poker qui travaillent directement sur l’illusion de la transparence : entrainés à falsifier et cacher leurs expressions et émotions lors d’une partie afin de ne pas trahir leur jeu, ils sont à même de transmettre une information erronée.

Le joueur, le tricheur, le voleur, s’ils maîtrisent la notion d’illusion de transparence, sont capables d’ajuster leurs comportements afin de biaiser la relation d’échange.

On pourrait penser qu'un biais de cette nature pourrait être corrigé par la communication verbale. Cette anomalie de la perception est-elle avant tout due à un manque de dialogue entre les individus ou y a-t-il d'autres raisons ?

Effectivement, les études sur la communication, réalisées depuis les années 50 par l’école de Palo Alto, regroupant tout un corpus de chercheurs psychologues, sociologues, informaticiens… nous permettent de mieux comprendre les processus de communication et de transmission de l’information. Un de ses pères fondateurs, Paul Watzlawick disait lui-même "On ne peut pas ne pas communiquer !". Plus précisément, le non-verbal représente 80% de notre communication. Les gestes, expressions du visage, attitudes, tonalité de la voix… participent à l’émission d’un message.

Les chercheurs décrivent une communication dite analogique plus floue à interpréter par le récepteur, car elle fait appel à notre sphère affective, éducative, culturelle…

Mais il faut également prendre en considération le socle de communication et d’échanges verbaux et non-verbaux au sein duquel nous nous sommes développés durant notre enfance. Une personne qui a baigné dans un environnement où les manifestations émotionnelles ou gestuelles étaient limitées pourra exprimer de façon aussi sincère sa joie ou sa satisfaction par un léger sourire qu’une autre par des larmes de bonheur.

Il faut aussi comprendre les attentes de l’émetteur. Ce peut être le cas d’une personne qui a besoin d’être rassurée affectivement ou narcissiquement lorsqu’elle attend qu’on la félicite chaleureusement pour son repas, via de grandes et longues exclamations et des sourires.

Tout comme un méditerranéen peut s’exprimer plus physiquement qu’un nordique, un asiatique différemment d’un africain… nous baignons dans un système de noeuds de communications, de métalangages intéressants qui font que verbal et non-verbal doivent co-exister et s’appuyer l’un sur l’autre afin de s’assurer de la bonne compréhension.

D’ailleurs la barrière des langues n’empêche pas de communiquer et de nous faire comprendre partout sur notre planète.

Selon certains chercheurs, l'illusion de la transparence vient du fait que les individus se basent souvent sur des réflexes, sans réfléchir plus loin. Pour eux, un sourire signifiera le fait d'être content. L'illusion de la transparence est-elle due à des automatismes mentaux qui nous empêchent de mieux analyser le comportement de nos semblables ?

En effet, la communication à autrui repose sur un système cognitif très complexe qui implique un émetteur de message et un récepteur auquel nous souhaitons transmettre un message.

Or, notre cerveau reçoit une multitude d’informations à la seconde qu’il doit traiter. N’étant pas une machine, notre cerveau porte en lui un degré de saturation du traitement de l’information qui nous contraint à émettre et à analyser une information de manière rapide et efficace. Une sorte d’économie psychique qui nous amène à nous fier à nos ressentis, notre intuition et nos propres codes de communication acquis, plutôt que décortiquer plusieurs signaux de communication "similaires", validant la bonne compréhension du message, ou au contraire des signaux "contradictoires" ou plus complexes nécessitant une analyse plus profonde et longue afin d’aller chercher plus loin le véritable message transmis.

Privilégiant la voie rapide, il existe un taux d’erreur d’interprétation du message assez élevé, qui n’est ni la faute de l’émetteur, ni du récepteur.

Qui peut être culturel. Les pleurs peuvent être signes de faiblesse dans certaines sociétés ; aussi que penser d’une personne ayant vécu un drame, le racontant mais sans manifester d’émotions via des sanglots ou larmes ?

Dans un livre récent, Heidi Grant Halvorson, une socio-psychologue à la Columbia Business School (New-York) affirme que si on demande à quelqu'un de dire le mot qui le décrit le mieux, et que l'on demande la même chose à son entourage, il y aura un fossé important entre la réponse de l'individu et celles des proches. Au-delà de la communication, l'illusion de la transparence opère-t-elle également dans la perception générale qu'ont les individus d'eux-mêmes ?

Une variété de tests psychologiques (dits projectifs) valide que le regard que nous portons sur nous-même est différent du regard perçu par autrui (exemple type : l’animal qui vous semble vous correspondre ne sera pas le même que celui auquel vous serez identifié par vos proches, et encore moins des inconnus). Notre perception de nous-même (sauf se regarder constamment dans un miroir) dans une attitude ou lors d’une expression verbale nous est impossible.

Lacan, lorsqu’il décrivait le stade du miroir (stade vers 7-9 mois quand l’enfant peut enfin se reconnaître) disait "Nous sommes pensés, nommés et dits avant que d’être ! Nous devrons passer notre existence afin de savoir qui nous sommes."

Cela résume l’illusion de ce que nous sommes et de l’importance du regard de l’autre sur nous-même. Cet autre qui est à même de nous révéler ce que nous sommes et ce que nous ne sommes pas. L’image du miroir est intéressante car nous ne nous voyons que dans une image inversée, réfléchie de la réalité.

De nouveau, le concept d’illusion de transparence repose sur ce regard, sur écoute attentive, survalorisée de l’autre sur nous que nous imaginons avoir la capacité de lire en nous comme un livre ouvert.

Le langage, qu'il soit verbal ou non verbal, entre les individus ne peut jamais être totalement parfait. Les être humains ne sont pas des machines. Ainsi, ce type de biais cognitif fait-il partie intégrante des interactions humaines ? Avec quelles conséquences ?

Un des principes d’une bonne transmission de l’information repose sur le fait de s’assurer de sa bonne compréhension. Il est donc important que le transmetteur de l’information vérifie dès le début de la diffusion du message qu’il veut faire passer, que le récepteur perçoit et reçoit la bonne information.

C’est la fameuse formule : "Qui dit quoi à qui, comment, et avec quel effet ?", plus précisément, "créer" un canal de communication.

Pour autant, pour communiquer, jamais nous n’avons autant fait appel aux machines (mails, textos), qui transmettent des messages interprétables, sans perception possible de l’affect véhiculé. D’où des erreurs très souvent irréversibles de communication.

Entre la réception brute/primaire et la perception brutale d’un message et celle analytique/secondaire… les interprétations sont multiples… alors qu’une rencontre, un échange téléphonique, ou l’utilisation de logiciels de télécommunication visuelle directe permettraient d’allier verbal et non verbal et éviter des confusions.

La communication inter-humaine est d’une telle richesse face à la communication animale ou informatique, qu’il nous faut conserver au maximum ces moments d’échanges et de compréhension entre nous, et donc ne pas céder à l’immédiateté et la rapidité de traitement de l’information.

Autrement dit, un être humain qui communique, c’est un langage verbal, émotionnel, gestuel… qui reste singulier même si la majorité des codes de communication nous sont familiers et faciles à comprendre.

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