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L’hommage par les actes : Zuma, Obama, Hollande, etc. Ce que pourraient faire les grands de ce monde s’ils s’inspiraient vraiment de l’exemple Mandela
©Reuters

Chiche ?

La journée du 6 décembre aura été marquée par une avalanche de déclarations visant à honorer la disparition d'une figure déjà devenue emblématique. L'occasion de se demander si les auteurs de ces hommages laudateurs sont toujours en accord avec leur action politique.

Les journées du 5 et 6 décembre auront été celles d’un deuil quasiment planétaire avec la disparition d’une des dernières figures emblématiques de la lutte pour les droits civiques du XXe siècle. Hautement fédérateur, Nelson Mandela aura ainsi recueilli pour son dernier voyage une masse inégalée d’honneurs en provenance de la plupart des grands dirigeants et leaders d’opinion du globe.

Barack Obama a ainsi été l’un des premiers à honorer la mémoire d’un homme qui aura, d’après ses dires, forgé littéralement la conscience politique de celui qui est devenu le Président des Etats-Unis. Jacob Zuma, actuel Président sud-africain, a quant à lui fait part de sa tristesse en affirmant que son pays avait perdu "son plus grand fils".

En France, François Hollande a souhaité immédiatement rendre hommage en annonçant que tous les drapeaux français seraient mis en berne, tout en recevant devant les caméras Graça Machel, la dernière femme du "Madiba". Christiane Taubira a quant à elle rendu un hommage des plus lyriques dans une tribune au Huffington Post.

Si la plupart de ces hommages marquent un respect authentique pour un homme respectable, il est cependant légitime de se demander si les actes de chacun sont en accord avec les propos prononcés hier. L’occasion de reprendre les déclarations de quatre personnalités françaises et internationales et de se demander ce qu’elles devraient faire si elles s’inspiraient réellement du personnage qu’elles viennent d’honorer...

François Hollande : "Il a mobilisé toutes ses forces [et...] s’est engagé personnellement pour trouver partout des solutions à des conflits trop longtemps enlisés. Jusqu’au bout de sa vie, il aura servi la paix. […] Il a montré que la volonté humaine pouvait non seulement briser les chaînes de la servitude, mais libérer les énergies pour réussir à construire un destin commun."

Jean-François Kahn : Nous avons là un bel exemple de "bla-bla" politique. Il est d'ailleurs intéressant de noter que l’unanimité que recueille aujourd’hui Nelson Mandela contraste fortement avec ce qui était dit du personnage 20 ans plus tôt, époque où une partie non négligeable de l’opinion le considérait comme un dangereux communiste, voire comme un terroriste. On peut y voir une espèce de "syndrome De Gaulle", puisque le Général est lui aussi devenu une figure posthume incontestée tout en ayant été des plus clivant par le passé.

S’il fallait vraiment tirer une leçon de l’expérience, même si l’on n'est pas obligé de tirer une leçon de tout, on peut évoquer le fait que Mandela s’est investi de façon radicale dans un conflit ethnique pour tenter de résoudre une crise nationale. Ce n’était pas un pâle réformiste qui déclarerait mollement qu’il faudrait faire plus d’efforts pour arriver à plus d’égalité, mais bien quelqu’un qui a pris la tête d’une lutte armée contre l’apartheid tout en arrivant à démontrer aux citoyens sud-africains qu’ils ne pourraient pas transcender les problèmes de leurs pays sans un acte fondateur de réconciliation. Il a ainsi été celui qui, contre tous les préjugés et tous les antagonismes, aura su imposer un consensus politique nécessaire en dépit du lourd passé national. Si M. Hollande devait tirer un enseignement du personnage, il devrait aller devant les Français et leur dire : "Nous sommes en crise et nous devons en sortir. Plutôt que de rester dans un état de guerre froide politique entre gauche et droite, je veux être celui qui contribue au dépassement des clivages dans l’intérêt du plus grand nombre".

Christiane Taubira : "Madiba est un rebelle, généreux et résolu, courtois et buté, cultivant l'ambition d'entendre à la fois la voix intérieure qui dit le chemin de l'intégrité et le chant du monde sous le vacarme des égoïsmes, des insatiables voracités, des fureurs mégalomaniaques, des embardées de bons sentiments."

Jean-François Kahn : On peut commencer par dire que la qualité littéraire est autrement plus appréciable que celle de l’intervention présidentielle. Pour le reste je pense que l’enseignement à tirer est le même, et ce pour la même raison. Ceux qui se jettent dans la radicalité d’un conflit peuvent, s’ils en ont l’énergie, inciter à terme des convergences politiques exceptionnelles.

Barack Obama : "Il a pris l'Histoire entre les mains et l'a fait plier en faveur d'un futur plus égalitaire [...] Comme tant de gens autour du globe, je ne peux m'imaginer ce qu'aurait été ma vie sans les enseignements de Mandela"

Anne Deysine : Obama est un homme qui entretenait une admiration profonde et authentique pour Mandela, et l'on dit souvent que son premier acte politique, à l'âge de 19 ans, a été de manifester contre l'apartheid en Afrique du Sud. Ce n'est donc pas une exagération d'affirmer que la question des ségrégations raciales est quelque chose d'absolument fondamental chez l'actuel locataire de la Maison Blanche. Il est nécessaire pour intégrer la vision d'Obama de rappeler que l'Histoire des Etats-Unis repose sur un mensonge, la non mention de l'esclavage dans la Constitution , sans quoi le pays n'aurait probablement jamais vu le jour (l'économie locale reposant alors en grande partie sur les plantations d'esclaves des Etats du Sud, NDLR).

Il faut attendre la fin de la Guerre de Sécession et la promulgation du 13e amendement (abolissant l'esclavage), du 14e qui introduit le Due Process et l’égale protection de la loi ainsi que du 15e (interdiction aux Etats de prohiber le vote en distinction de la race). Depuis, le pays à toutefois vécu pendant près de 100 ans un état de ségrégation validé par la Cour suprême en 1876, l'institution s'appuyant alors sur l'idée qu'il n'était pas attentatoire à l'égalité de créer des espaces séparés tant que ces espaces étaient conçus de manière identique (c'est la fameuse doctrine "separate but equal", "séparés mais égaux"). Il faut finalement attendre 1953 pour qu'une autre décision de la Cour suprême interdise définitivement la ségrégation, même si des résistances (parfois armées) continueront de se manifester. Obama s'inscrit donc dans une histoire animé par une résistance considérable, tant au niveau des Etats que des individus, contre les lois de type égalitaires. 

Au-delà de l'analyse législative, les inégalités de fait persistent aujourd'hui dans la société américaine : les enfants noirs ont un taux d'échec bien plus élevé que celui des enfants blancs, le taux de chômage est deux à trois fois plus élevé pour les jeunes garçons noirs que pour le reste de la population, et leurs taux de contrôle et d'incarcération est aussi bien plus important (50 % de la population carcérale est d'origine afro-américaine alors que les noirs représentent 14 % de l'ensemble des Etats-Unis, NDLR).  

Si l'égalité juridique est aujourd'hui incontestable aux Etats-Unis, la question de l'égalité de fait reste en suspens même si des résultats ont été obtenus grâce à certains dispositifs préférentiels. Il est clair que des tensions persistent entre les communautés, comme l'a révélé l'affaire Trayvon Martin où le procureur à choisi de mettre six jurés femmes car il a été démontré qu'elles sont celles qui ont le plus peur des jeunes noirs qu'elles peuvent croiser dans la rue. Obama a d'ailleurs déjà évoqué par le passé le sentiment de crainte qu'il inspirait visiblement aux Américaines dans sa jeunesse lorsqu'elles le croisaient dans un lieu isolé.

Si Obama devait intervenir sur un domaine pour faire écho à Nelson Mandela, c'est justement cette question du rapport inter-communautaire sur laquelle il devrait se pencher. S'il est clair qu'une partie de la population noire intègre les universités et les carrières les plus reconnues (avocats, présentateurs télés, représentants politiques, hommes d'affaires influents...) l'un des principaux problèmes reste cette autre partie, celle d'une grande majorité des jeunes noirs entre 15 et 25 ans qui continuent d'être perçue comme anxiogène à l'égard des autres.  Ceci peut passer par une meilleure formation des personnels policiers, car si nombre d'entre eux font honnêtement leur travail, il est évident que certains fonctionnent par un "racial profiling" (équivalent américain de notre "contrôle au faciès", NDLR) que sur des critères objectifs. 

Jacob Zuma : [Je rends hommage à...] "un combattant infatigable de l'apartheid, qu'il aura terrassé par son courage, son obstination et sa persévérance... [et je salue] l'influence de l'ancien opposant devenu l'icône de la lutte contre l'injustice et pour la réconciliation raciale".

Georges Balandier : Nelson Mandela est un personnage politique que l’on peut qualifier d’inimitable et qui laisse un héritage conséquent, ce que démontre d’ailleurs la vague d’hommages qui ont été rendus un peu partout dans le monde. Entrer dans les pas d’un grand homme n’est jamais facile, et les successions sont rarement à la hauteur en la matière : faut-il rappeler qu’après De Gaulle nous avons eu Pompidou ? Ce qui me frappe dans ce cas précis est de voir que Jacob Zuma ne peut s’en sortir qu’en jouant sur les deux tableaux. Tout d’abord il est obligé de camper dans les vertus morales que Nelson Mandela a développées tout au long de son action politique, ce qui représente un défi non négligeable. S’il souhaite être en accord avec ses propos, M. Zuma se devra de continuer à faire valoir ce combat exigeant. Pour ce faire, il se doit de prendre à bras le corps les problèmes de discriminations et de tensions ethniques qui continuent malgré tout d’agiter le "pays arc-en-ciel". Un mouvement de réconciliation passerait par un accord entre les différentes ethnies du pays (Afrikaners, Anglo-saxons, Xhosa, Zoulous…) afin de relancer une cohésion nationale pas toujours au beau fixe.

En conséquence M. Zuma devrait mener une campagne de réductions des inégalités raciales, même si le défi est loin d’être facile à relever. Nelson Mandela, peut-être de par son origine aristocratique, avait fait le choix de transcender ces réalités, sans s’attaquer aux problèmes de la croissance des "townships" (bidonvilles, NDLR) qui sont des lieux profondément inégalitaires. Il ne s’agit évidemment pas de défendre niaisement une égalité absolue impossible de fait, mais bien de promouvoir une égalité rapprochée capable d’atténuer les tensions qui traversent le pays actuellement. Il s’agit là toutefois d’un combat qui sera bien plus difficile pour M. Zuma que pour son prédécesseur, l’actuel Président étant bien plus controversé et ne pouvant se vanter d’un parcours personnel aussi prestigieux. La tâche est donc extrêmement difficile pour peu qu’il souhaite s’y atteler.

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