L’Europe, victime de l’austérité... ou de l’absence d’austérité ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les mauvais élèves de l'Europe ne sont pas ceux que l'on croit...
Les mauvais élèves de l'Europe ne sont pas ceux que l'on croit...
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De la faustérité en fait

A l'occasion de la conférence organisée par Contrepoints samedi 15 juin sur le thème de la "faustérité", l'heure est à la réaction pour les politiques européens, et surtout français. Charles Beigbeder et Hans-Olaf Henkel, invités tous deux de l'évènement, tirent la sonnette d'alarme.

 Charles Beigbeder et Hans-Olaf Henkel

Charles Beigbeder et Hans-Olaf Henkel

Président de sa holding industrielle et financière, Gravitation SAS, Charles Beigbeder est engagé dans plusieurs mouvements liés à l'entreprise et à la vie de la cité. Membre du Comité exécutif et Président de la Commission Entrepreneuriat du MEDEF, il est aussi Secrétaire National en charge de la pédagogie de la réforme à l'UMP

Actuellement professeur en management international à l'université de Mannheim, Hans-Olaf Henkel a occupé plusieurs fonctions chez IBM: président Allemagne, vice-président et directeur général Europe, Moyen-Orient et Afrique. Il fut également président de la Fédération des industries allemandes (BDI).

 

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A voir : la conférence organisée par Contrepoints samedi 15 juin sur le thème de la "faustérité"

Atlantico: Les  prévisions économiques pour 2013 sont loin d'être brillantes, notamment en France. De nombreuses voix se sont élevées ces derniers mois pour dénoncer la responsabilité des politiques d'austérité dans les difficultés de l'Europe à sortir de la crise. Que faut-il penser de ce diagnostic ? L'Europe est-elle victime de l'austérité ? Ou parler d'austérité est-il en réalité totalement hors sujet ?

Charles Beigbeder : Tout d’abord, il convient derappeler qu’ily a des disparités au niveau européen puisque certains pays ne connaissent pas la crise que la France connaît actuellement. Par ailleurs, ce sont ces mêmes pays qui ont entrepris des réformes courageuses et qui connaissent aujourd’hui un rebond de leurs économies à l’instar de l’Irlande ou même de l’Espagne qui a réussi à regagner des parts de marché à l’international. Même l’économie grecque est en train de repartir. En réalité, le problème au niveau européen provient de la France : c’est elle, par le poids qu’elle représente et à cause de sa croissance nulle voire négative, qui plombe l’Europe. D’ailleurs, le ralentissement de la croissance allemande, qui n’est que provisoire, est essentiellement dû à l’effondrement de l’économie française qui entraîne tout le monde vers le bas. En tant que malade de l’Europe, la France se doit de mener des réformes, de rétablir la confiance afin de pouvoir générer de la croissance. La croissance est le résultat d’un climat, ou non, de confiance qui est actuellement clairement absent dans notre pays.

On ne peut donc pas dire que l’Europe ait été victime de l’austérité quand on voit les résultats actuels des efforts entrepris par certains pays européens. Et puis ce terme d’« austérité » ne veut rien dire à mon sens. Il faut avant tout remettre de l’ordre dans les finances publiques si l’on souhaite rétablir un climat de confiance afin d’inciter les entrepreneurs à investir et les épargnants à désépargner un peu pour favoriser la création d’emplois et  générer de la croissance. En France, nous sommes encore bien loin d’une telle situation, puisque nous ne faisons qu’appliquer des mesurettes qui aggravent la situation. On l’a encore vu récemment avec la hausse des prélèvements obligatoires pour essayer de tenir les 3% de déficit comme on l’avait clamé haut et fort. Or, trop d’impôts tue l’impôt, et ces hausses obligatoires ne permettent pas d’augmenter les recettes qui, au contraire, diminuent, tandis que le déficit croit. Une telle situation ne peut que retarder le retour du climat de confiance pourtant nécessaire comme je l’ai rappelé.

Hans-Olaf Henkel : La situation économique dans la zone euro est bien sombre. Alors qu’on attend une croissance mondiale comprise entre 2,5 et 3% cette année, celle de l’Eurozone va littéralement piquer du nez ! Le chômage dans la zone euro vient juste d’atteindre un nouveau record, avec 19,3 millions de demandeurs d’emploi. Plus grave, près de 6 millions de jeunes Européens ne trouvent pas d’emploi, et donc sont en train de perdre espoir.

Sur qui les efforts ont-ils porté jusqu'à présent ? Les Etats ont-ils assumé leur part ? A-t-on privilégié la hausse des prélèvements à la baisse des dépenses publiques ?

Charles Beigbeder : Ceci est malheureusement évident, du moins dans le cas de la France. Rien n’a été fait du côté des dépenses publiques, bien au contraire. On a pu observer un certain relâchement dans la gestion de ces dépenses depuis que le nouveau gouvernement est en place. A titre d’exemple, les dépenses d’assurance maladie qui, bon gré mal gré, avaient été plus ou moins maîtrisées et qui pour la première fois en 2012 respectaient l’objectif national des dépenses de l’assurance maladie - le fameux Ondam - sont bien loin de cet objectif pour 2013. On le voit donc bien : rien n’a été fait pour réduire la dépense publique qui augmente même plus vite que ce qui était prévu. De l’autre côté, on a cru qu’en levant de nouvelles taxes sur les ménages et les entreprises, les recettes allaient augmenter. Or, il n’en est rien, bien au contraire car les recettes diminuent. On se retrouve donc dans un très mauvais effet de ciseaux où les dépenses augmentent et les recettes diminuent, ce qui aggrave par conséquent le déficit.

Maintenant, si l’on considère plus largement l’ensemble de l’Europe, il est évident que certains pays, dont l’Irlande et l’Espagne encore une fois, ont fait de très gros efforts pour réduire leurs dépenses publiques. Il est vrai que cela se traduit, dans un premier temps, par des sacrifices importants supportés par les populations. Cependant, les fruits de cet effort s’observent d’ores et déjà : les exportateurs regagnent des parts de marché et la croissance est de retour. Néanmoins, il convient de rappeler que ces pays sont moins développés que la France, ce qui ne les a pas pourtant pas empêchés de faire leur part d’efforts afin relancer leurs économies. L’Italie aussi, sous le mandat de Mario Monti, a mené des réformes très courageuses qui ont favorisé la réduction des dépenses publiques, même s’il enjoint aux Italiens d’aller plus loin dans le contrôle des dépenses de leurs collectivités territoriales. Parmi ces mesures courageuses prises par le gouvernement italien, on se souvient de la désindexation des pensions de retraite au-delà d’un certain niveau et à l’exception bien-sûr des petites pensions. Une telle mesure favorise le retour à l’équilibre budgétaire, même s’il est vrai que l’Italie était déjà en équilibre primaire avant la crise financière. L’équilibre est l’objectif que nous devrions tous avoir en tête.

Hans-Olaf Henkel: Les difficultés que connaît actuellement l’Europe résultent d’une combinaison entre un manque de réformes du marché du travail, des dépenses publiques trop élevées, une hausse des déficits publics, et, pour ce qui est du Sud de l’Europe – dont la France – un euro devenu trop fort. Par le passé, l’Italie, l’Espagne et la France sont parvenus à réaliser une combinaison alliant réformes et dévaluations afin de rester compétitifs. Il est arrivé que ces réformes soient suffisantes, et lorsque cela n’était plus le cas, les Banques centrales nationales pouvaient intervenir en ajustant le taux d’intérêt ou en dévaluant. Aujourd’hui, cela n’est plus possible.

La monnaie unique européenne est conçue comme un vêtement à taille unique, devenue désormais trop forte pour la Grèce, l’Italie et la France, et trop faible pour l’Allemagne. Il y a deux semaines, le gouvernement français demandait un abaissement des taux d’intérêt afin de soutenir la croissance française tandis que la chancelière Angela Merkel souhaitait une hausse de ces mêmes taux pour valoriser l’épargne des retraités allemands.  Ce que l’on retiendra de cette affaire, c’est qu’une monnaie doit refléter la situation réelle de chaque pays plutôt que d’essayer de modifier cette réalité en vue de s’adapter à la monnaie unique.

Quelles sont les conséquences de cette politique ? 

Hans-Olaf Henkel : Et bien avec celles que l’on connaît, et qui ont plongé l’Eurozone dans une « sombre décennie » !

Charles Beigbeder : On croit qu’il est plus facile, pour maîtriser les déficits, d’augmenter les impôts. Or, ces nouvelles recettes ne rentrent pas car les acteurs économiques sont incapables de supporter ces hausses de prélèvements obligatoires : les marges dans l’industrie sont au plus bas depuis les années 1950, et depuis les années 1980 pour les autres secteurs de l’économie alors même que les recettes de TVA baissent ! En dépit de ces augmentations,  il va manquer 30 milliards pour 2013 !On ne pourra donc même pas tenir nos engagements de réduction du déficit, pourtant revus à la baisse, auprès de Bruxelles. En agissant sur les dépenses publiques, on aurait pu éventuellement limiter le déficit.

Tout ceci n’est autre que le résultat d’une politique de facilité, et constitue un très mauvais signal envoyé aux producteurs quant à la capacité des pouvoirs publics à maîtriser les déficits publics. Ils sont alors persuadés que de nouvelles hausses d’impôts vont leur tomber dessus ce qui les incite à différer leurs investissements, tandis que les ménages se constituent des « surépargnes » pour faire face à d’éventuels prélèvements supplémentaires. De tout cela résulte une aggravation de la récession qui perpétue le cycle infernal et négatif que nous connaissons depuis un moment déjà. Seule une politique radicalement différente, de baisse de la dépense publique, nous permettra de sortir de cet engrenage catastrophique. L’Etat doit donc se concentrer sur ses fonctions régaliennes et arrêter de vouloir tout régenter comme il le fait depuis de trop nombreuses années en France.

Finalement, faudrait-il vraiment donner sa chance à l'austérité ? Sinon, quelle stratégie adopter ?

Charles Beigbeder : Le mot « austérité » est vraiment un mot que je n’affectionne guère du fait de son qualificatif négatif. Je lui préfère ceux d’« orthodoxie », de « remise en ordre des finances publiques », de « bon sens » et de « sagesse élémentaire ». On ne peut pas dépenser plus que ce que l’on gagne ! Seul compte l’équilibre budgétaire : tout le reste est superflu. Il est vrai qu’il faut beaucoup de courage et de fermeté pour que ce type de politique se traduise dans les faits. Trop de dépenses sociales sont du pur gaspillage, et qui entretiennent en plus un système d’assistanat finissant par asservir ceux qui en bénéficient et qui se retournent contre lui. Je ne parle même pas des collectivités territoriales qui, elles aussi, vivent au-dessus de leurs moyens. Il faudrait commencer par arrêter de parler des dépenses publiques en termes d’augmentation à hauteur de 2% par an comme si cela était de la rigueur ; il faut parler en euros, à tout le moins geler les dépenses en euros et pour la plupart d’entre elles les réduire en les optimisant.

Hans-Olaf Henkel : L’Europe du Sud doit continuer dans la voie des réformes et des programmes d’austérité. La France doit enfin songer à s’y mettre. Cependant, l’austérité et les réformes ne sont pas suffisantes. L’euro doit également être dévalué pour ce qui est des pays du Sud et réévalué dans le cas des pays du Nord.

Certains économistes soutiennent un Manifeste pour la solidarité européenne qui plaide pour une stratégie de segmentation contrôlée de la zone euro afin d’aider l’Europe du sud et sauver l’Union européenne et le Marché commun. Concrètement, en quoi cela consisterait-il ?

Charles Beigbeder: Je le répète, l’urgence absolue, c’est de remettre les finances publiques en ordre. Je suis optimiste, je pense que nous pouvons y parvenir. Pour ce qui est de l’euro, n’oublions jamais que la monnaie est un moyen et non pas un objectif. On n’a pas fait l’Europe pour l’euro, mais parce que nous partageons une culture commune, et parce qu’il s’avère qu’il y a des politiques publiques bien plus pertinentes à mener au niveau européen plutôt qu’au niveau national. A l’inverse, certaines politiques ne doivent en aucun cas être menées à l’échelle européenne, ni même au niveau national, mais plutôt au niveau régional. Il est vrai que l’euro présente ses avantages. Cela étant dit, s’il peut être démontré que l’existence de plusieurs zones monétaires puisse favoriser les échanges et avoir des retombées économiques positives, alors pourquoi pas ? Mais je formule des doutes sérieux à cette hypothèse

Hans-Olaf Henkel : Considérons le cas où l’Autriche, la Finlande, les Pays-Bas et l’Allemagne quitteraient l’actuelle zone euro pour en créer une nouvelle – on pourrait penser à un nom du type “L’euro du Nord”. Dans ce cas, l’euro serait automatiquement dévalué, tandis que les biens et les services des pays du Sud deviendraient d’un coup plus compétitifs. En retour, ceci pourrait inciter à la croissance, à la création d’emplois et à de nouvelles taxes sur le revenu. Parallèlement, les réformes inspirées du pacte budgétaire européen devront se poursuivre. D’un autre côté, les pays du Nord seraient moins anxieux à propos de l’inflation et trouveraient plus compliqué d’exporter leurs biens et services. C’est pour cela que nous avons appelé notre proposition le “Manifeste de la solidarité”, dans le sens où nous l’avons envisagé comme un moyen visant à aider les pays du Sud à recréer de la croissance.

Cette stratégie ne viendrait-elle pas entériner une division de l'Europe ? Comment l'éviter ?

Hans-Olaf Henkel: Cette question mérite effectivement d’être posée. Mais n’oublions pas une chose : l’Union européenne est déjà divisée entre les pays de la zone euro et ceux qui n’en font pas partie. Plus important encore : parmi les populations de ces derniers, seuls les Roumains désirent encore adhérer à l’euro. Conséquence des efforts permanents dans le sens d’une plus forte centralisation et harmonisation, le Royaume-Uni pourrait même quitter l’Union européenne. De plus, les relations franco-germaniques sont bien pires à l’heure actuelle qu’après la Deuxième Guerre mondiale. A lui seul, l’euro a généré davantage de méfiance entre les pays européens. Et n’oublions pas qu’à l’époque du franc et du deutschemark, les relations entre la France et l ‘Allemagne étaient bien meilleures.

Finalement, si les économies parviennent réellement à se rapprocher, de manière à ce que les différences ne soient plus aussi importantes qu’aujourd’hui, nous pourrions alors envisager la réunion de tous ces pays au sein d’une monnaie unique. Mais cela pourrait prendre plusieurs décennies. Dans le même temps, nous devons coordonner notre politique extérieure, mais également de défense et d’énergie. Ceci est bien plus important afin de rapprocher les Européens plutôt que de poursuivre dans le sens de la division à cause de l’euro.

Charles Beigbeder: Il serait bien évidemment préférable d’éviter une telle situation. Les avantages d’une éventuelle segmentation monétaire en Europe deviendront marginaux si l’on se décide enfin à rétablir l’équilibre des finances publiques. J’entends les bénéfices reconnus par certains dans le cadre de cette segmentation, notamment en ce qui concerne les exportations, mais il y a tellement d’inconvénients à l’inverse que je ne pense pas, sans être « eurolâtre », qu’il faille céder à cette solution de segmentation. On a encore la possibilité de sauver cette monnaie commune tout en restaurant la confiance par le contrôle des dépenses publiques. Certes, l’euro n’est pas l’unique symbole de la construction européenne. En effet, avant la création et l’entrée en vigueur de la monnaie unique européenne, l’Europe fonctionnait fort bien. Néanmoins, cet acquis mérite d’être sauvé pour éviter les effets collatéraux et la division.

Propos recueillis par Thomas Sila

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