L’Europe face à la bombe du programme du futur probable gouvernement italien <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
L’Europe face à la bombe du programme du futur probable gouvernement italien
©Pixabay - Faumor

Inquiètant

Actuellement en cours de négociation de leur programme de gouvernement, la Ligue et Mouvement 5 étoiles ont pu notamment proposer l'annulation de la dette italienne actuellement détenue par la BCE, soit 250 milliards d'euros.

Nadia Gharbi

Nadia Gharbi

Nadia Gharbi, économiste Europe chez Pictet Wealth Management depuis 2012. Avant de rejoindre Pictet, elle a été assistante en économie politique à l’université de Genève. Elle a obtenu une maitrise universitaire en sciences économiques, mention économie financière et monétaire, de l’université de Genève en 2011.

Voir la bio »

Actuellement en cours de négociation de leur programme de gouvernement, la Ligue et Mouvement 5 étoiles ont pu notamment proposer l'annulation de la dette italienne actuellement détenue par la BCE, soit 250 milliards d'euros. Comment peuvent réagir les institutions face à de telles propositions ? Faut-il voir ici une telle mesure comme un épouvantail permettant une négociation plus souple relative à l'orientation budgétaire du pays que comme une offre sérieuse ?

Nadia Gharbi :La première ébauche de « contrat de gouvernement » entre la Ligue et le Mouvement 5 étoiles (M5S) a suscité une vague d’inquiétudes. En cause, parmi les propositions évoquées par les deux partis politiques, une annulation partielle de la dette publique italienne (à hauteur de 250 milliards d'euros) et une sortie possible de l’euro ont fait trembler les marchés. Une proposition bien moins radicale a vu le jour dans le dernier programme publié le lendemain, soit le 16 mai. En effet, il ne s’agit plus d’annuler une partie de la dette italienne, mais d’obtenir que la dette rachetée par la BCE dans le cadre de son programme d’achats d’actifs ne soit pas prise en compte dans le calcul du ratio de la dette sur le produit intérieur brut (PIB). Ce ratio est l’une des variables prises en compte dans le pacte de stabilité et de croissance (PSC) qui vise à éviter les dérapages budgétaires des Etats membres. Le PSC impose aux pays de la zone euro une limite de 3% pour le rapport entre le déficit public et le PIB et de 60% pour le rapport entre la dette publique et le PIB. En cas de non-respect de ces critères, un Etat membre peut faire l’objet d’une procédure de déficit excessif. Et, parmi ces deux critères, l’Italie ne respecte pas le second.

Pour rappel, le ratio de la dette publique italienne s’est établi à 132% du PIB au quatrième trimestre 2017, en légère baisse par rapport au pic de 135% enregistré au deuxième trimestre. La question qui se pose est la suivante: Quel serait le bénéfice d’un tel ajustement comptable pour l’Italie? Les réserves provenant du programme d’achats d’actifs s'élèvent à environ 265 milliards d'euros, soit 15% du PIB selon nos estimations, de sorte que le ratio de dette publique officiel serait abaissé à environ 116%, contre 132%. D’après le PSC, un pays ne satisfaisant pas le critère de dette devrait réduire de 1/20e par an l'écart entre son taux d'endettement et la limite de 60% pour ne pas être sous le coup de la procédure de déficit excessif. Dans le cas de l'Italie, si le taux d'endettement était réduit de 15%, la baisse annuelle requise du taux d'endettement serait ramenée de 3.6pp à 2.8pp, soit une différence de 0.8% du PIB. Une telle manipulation n’aurait donc qu’un intérêt très limité pour l’Italie. De plus, les institutions risquent d’accueillir l’idée avec froideur. Il peut s’agir d’une proposition sérieuse mais elle a très peu de chances d’aboutir. Toutefois, elle soulève des questions importantes sur les règles budgétaires européennes. En effet, ces règles constituent aujourd'hui un carcan peu compréhensible, opaque et ambigu. Un changement drastique du PSC n’est pas à l’ordre du jour mais qui sait le pays de Dante sera peut-être la goutte d’eau qui fera déborder le vase et poussera les Etats membres à relancer le débat et envisager une refonte du PSC.

Alors que le précédent de l'éviction de Silvio Berlusconi et de son remplacement par le gouvernement technique de Mario Monti reste ancré dans les mémoires, comment peut-on imaginer la suite des relations entre Rome et Bruxelles ? Faut-il s'attendre plus à une approche conforme à ce qui a pu se passer avec le Portugal, qui a été plus libre dans son approche, ou à un rapport de force plus marqué, comme cela a été le cas avec la Grèce ?

Outre la proposition sur le calcul de la dette discuté précédemment, les deux parties ont fait des promesses électorales de nature à dégrader nettement la position budgétaire italienne. Les deux partis sont favorables à la remise en question de la réforme des retraites adoptée en 2011 par le gouvernement Monti. Le M5S souhaite l’instauration d’un revenu minimum universel de 780 euros par mois. La Ligue est favorable à la mise en place d’une « flat tax » de 15% (et de 20% pour les ménages gagnant plus de 80'000 euros). Tous les ingrédients sont réunis pour avoir une vive confrontation entre Rome et Bruxelles. Pour corser le tout, les deux partis doivent en principe trouver des recettes pour éviter une hausse de la TVA en 2019.

Mais l’Italie n’est ni le Portugal, ni la Grèce. Il s’agit de la troisième économie de la zone euro, un poids lourd. Le contexte n’est pas le même et un compromis entre Rome et Bruxelles n’est pas totalement exclu sur la question budgétaire. Un élément de taille, le « contrat de gouvernement » entre le M5S et la Ligue doit encore être présenté au président de la République, Sergio Mattarela. Ce dernier aura son mot à dire sur la composition du nouveau gouvernement et n’hésitera pas à user son droit de veto si des mesures mettent en péril la stabilité financière du pays ou si des projets de loi sont contraires aux engagements européens de l’Italie.

En cas de hausse des taux, la solvabilité de la dette italienne est-elle en cause  ?

Les fondamentaux macroéconomiques et les finances publiques se sont nettement améliorés depuis 2011, lorsque la viabilité de la dette italienne était remise en question. Le déficit publique a atteint 2,1% du PIB en 2017, bien en deçà de l'objectif de 3%, et le pays affiche un excédent primaire considérable de 1,5% du PIB. La position extérieure de l'Italie s'est également améliorée, l'excédent du compte courant du pays atteignant 2,8% du PIB l'année dernière. Pour jauger de la solvabilité de la dette, un certain nombre de variables sont à prendre en considération. Les paiements d'intérêts sur le stock de dette passé et le taux d'intérêt implicite sur la dette (actuellement 2,8%) sont à leur plus bas niveau depuis le création de la zone euro. En outre, le pays a profité des faibles taux d'intérêt pour augmenter la part des émissions d'obligations à taux fixe à long terme. En conséquence, l'échéance moyenne de la dette est proche de sept ans. Parallèlement, la part de la dette publique détenue par les investisseurs étrangers et les banques italiennes a diminué, atteignant respectivement 32% et 46%, dont seule une petite fraction est détenue hors de l'Union Européenne. Par conséquent, le risque qu'un événement négatif soudain déclenche des conséquences systémiques est limité. A court terme, la solvabilité de la dette italienne n’est pas en cause. Une hausse de taux aujourd’hui prendra quelques années à se diffuser sur le service de la dette. En revanche, c’est le moyen terme qui risque d’inquiéter les investisseurs et les institutions. La capacité du pays à mener des réformes et à améliorer sa productivité, en berne depuis plusieurs années sera scrutée de près dans les mois voir les années à venir. L’Italie restera donc sous le feu des projecteurs. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !