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Des militaires ukrainiens dans une tranchée près de la ville de Zolote, dans l'est du pays.
Des militaires ukrainiens dans une tranchée près de la ville de Zolote, dans l'est du pays.
©STR / AFP

Bruits de botte

Les tensions montent à l'est de l'Ukraine, où les incidents armés meurtriers entre les militaires ukrainiens et les séparatistes pro-russes sont quasi quotidiens. C'est dans ce contexte tendu que la Russie a décidé de mener d'importantes manoeuvres militaires à proximité.

Jean-Dominique Merchet

Jean-Dominique Merchet

Jean-Dominique Merchet est journaliste à L'Opinion. Il a travaillé pendant vingt ans sur les questions militaires.

Auteur du blog Secret Défense, il a récemment publié Une histoire des forces spéciales (Jacob-Duvernet / 2010) et de La mort de Ben Laden (Jacob-Duvernet / 2012).

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Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Atlantico : La Russie opère actuellement d'importants mouvements de troupes à l'est de l'Ukraine et les tensions entre les deux pays sont grimpées d'un cran ces dernier jours, du fait d'affrontements meurtriers. L'Ukraine accuse Moscou de chercher un prétexte à une confrontation armée, ce que nie le Kremlin. Quel est l'objectif de tels mouvements ?

Cyrille Bret : Les mouvements de troupe constatés par les observateurs et reconnus par les autorités russes concernent au moins 20 bataillons et trois zones : la région de Voronej, au sud ouest de Moscou, cette de Rostov sur le Don au sud de la Fédération de Russie ainsi que la Crimée, annexée par la Russie en 2014. Pour les autorités russes, ces mouvements de troupes sont réalisés sur son sol et relèvent donc de sa souveraineté nationale. Ils préparent des exercices militaires ordinaires dans l’entraînement des armées à travers le monde. Pour les autorités ukrainiennes, européennes et américaines, il s’agit de manœuvres menaçantes. En effet, elles se font soit à proximité de l’Ukraine et des Républiques autonomes autoproclamées de Lugansk et de Donetsk (en territoire ukrainien) soit sur le territoire ukrainien de Crimée. Pour les autorités russes, ces exercices n’ont qu’un but très ordinaire : entraîner les troupes. Pour les autorités européennes, ces mouvements obéissent à un objectif : intimider l’Ukraine et ses alliés occidentaux.

Les objectifs politiques de ces manœuvres sont à lire comme un message envoyé par Moscou à l’ouest. Face à des Etats-Unis plus solidaires avec les Européens et plus favorables aux autorités ukrainiennes, la Russie veut rappeler sa détermination, y compris militaire, à préserver sa zone d’influence.

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Jean-Dominique Merchet : Selon les Russes, il ne s'agit que de simples manœuvres militaires qui ne préparent aucune invasion. Mais des manœuvres peuvent avoir des effets diplomatiques et politiques, et c'est de cela qu'il s'agit. Le fait que ces exercices militaires se déroulent à proximité de l'Ukraine – et il y en avait eu récemment d'autres en Crimée – a un sens politique. La question de la souveraineté de la Russie en Crimée est, pour les Russes, une affaire réglée. Mais ce n'est pas le cas au Donbass, autour duquel les manœuvres ont lieu. Il s'agit donc de mettre la pression sur le gouvernement ukrainien en sous-entendant que les choses ne peuvent pas rester en l'état. Contrairement à ce qui se dit beaucoup, la Russie n'est pas favorable à un gel du conflit au Donbass. En outre, le relais de Moscou à Kiev, l’opposant prorusse Viktor Medvedtchouk, a été ciblé ces derniers mois par les autorités ukrainiennes. Tout cela ne plaît pas du tout au Kremlin, d'autant qu'on avait dit que le nouveau président ukrainien, Volodymyr Zelensky, allait tenter de trouver une solution avec la Russie, ce qui manifestement n'est pas le cas. La situation entre les deux pays est donc tendue. Ce contexte entraîne cette gesticulation militaire de la Russie avec des manœuvres à grand spectacle qui ne visent pas à préparer en secret une opération militaire contre l'Ukraine, mais servent au contraire à dire : « nous sommes toujours là et la façon dont les choses se passent ne nous conviennent pas. ».

La crise peut-elle dégénérer en guerre paneuropéenne ? Dans quelles mesures les risques d'affrontements sont élevés ?

Cyrille Bret : Dans les guerres contemporaines, les démonstrations de force sous forme d’exercices ou de mouvements de troupes observables sont rarement le prélude à un conflit de grande envergure. C’est plutôt la surprise, la discrétion ou les manœuvres hybrides qui sont recherchées en cas d’attaque. C’est pourquoi je lis ces manœuvres plutôt comme un message adressé à la communauté internationale plutôt que comme l’entrée en matière d’une guerre entre puissances européennes, pour certaines nucléaires.

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Un autre raisonnement me paraît écarter une confrontation armée imminent de grande ampleur entre la Russie et l’Europe en Ukraine. A quoi servirait d’attaquer massivement l’Ukraine pour la Russie ? Elle récolterait un gain stratégique mineur et s’exposerait à de nouvelles sanctions. Sans compter un problème d’intégration dans la Fédération que la Crimée pose déjà. D’une certaine manière, les objectifs stratégiques de la Russie sont atteints dans la situation actuelle : l’Ukraine ne peut jouir ni de sa souveraineté pleine ni de son intégrité territoriale ; la vie politique ukrainienne est bloquée par ce conflit endémique ; l’OTAN ne peut s’étendre à un Etat aussi affaibli que l’Ukraine et l’Union européenne ne peut engager de procédure de candidature d’adhésion. Le statu quo peut satisfaire les objectifs stratégiques de la Russie dont les principaux sont la non extension de l’OTAN et de l’UE à ses frontières.

Jean-Dominique Merchet : Les accidents, dans l'Histoire, ça arrive. Mais concrètement, non. Vous avez là deux pays, la Russie et l'Ukraine, qui sont très hostiles et ne se satisfont pas du statu quo pour des raisons opposées. L'Ukraine voudrait récupérer la Crimée et le contrôle du Donbass. La Russie veut définitivement clore l'affaire de la Crimée et voudrait avoir à Kiev un gouvernement qui lui soit plus favorable, et que l'Ukraine ne rejoigne jamais l'Otan. Ces deux pays veulent donc changer le statu quo, ce qui n'est pas une bonne situation en termes de géopolitique, mais pas au point que ça dégénère en conflit armé : il y a de nombreuses cordes de rappel qui font que personne ne souhaite réellement un conflit.

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L’Europe est-elle prête à faire face à un éventuel conflit ? Quelle stratégie compte-t-elle mener pour faire face aux provocations russes ?

Cyrille Bret : L’Union européenne compte en son sein désormais une seule puissance militaire complète et aguerrie : la France. Mais elle compte également des puissances militaires non négligeables par leur maîtrise de plusieurs dimensions du conflit : la Pologne, la Suède, les Pays-Bas ou encore l’Italie qui mènent des modernisations de leurs forces et de leurs équipements. Toutefois, il est vrai que l’Union n’est pas une puissance militaire capable de soutenir un conflit de haute intensité avec une véritable puissance militaire comme la Russie.

Est-ce à dire qu’elle reste impuissante et est condamnée à l’inaction en Ukraine ? Certes non. Depuis 2014, l’Union européenne a unanimement adopté, ciblé, renouvelé et durci une série de sanctions contre des secteurs, des personnalités et des activités de la Fédération de Russie. Pour protester contre l’annexion de la Crimée et la remise en cause des frontières de l’Ukraine, elle a exclu la Russie de plusieurs forums internationaux, suspendu les exportations de matériels de défense et de technologies d’extraction d’hydrocarbures, limité l’accès des entreprises et administrations russes aux marchés financiers. Depuis 2021, pour protester contre le sort fait aux opposants politiques, elle a ajouté des sanctions individuelles empêchant des personnalités d’accéder au territoire russe. La politique de sanction marque la volonté de l’Union de forger, graduellement, un véritable positionnement géopolitique face à la Russie.

Jean-Dominique Merchet : L'Europe soutient l'Ukraine a minima. Elle ne peut pas accepter ce qui s'est passé en Crimée, d'où les sanctions, mais la situation au Donbass est plus compliquée : juridiquement, il n'y a pas eu d'annexion par la Russie, et il y a un processus – les accords de Minsk – où l’Allemagne et la France sont dans la situation de l’honnête courtier qui cherche à trouver une solution diplomatique à ce conflit, plutôt que de soutenir un camp contre l'autre. Dans le reste de l'Europe, les positions diffèrent d'un pays à l'autre. Certains sont favorables à la Russie, comme l'Italie ou la Hongrie, tandis que d'autres sont pro-Ukrainiens, comme la Pologne, les pays baltes, le Royaume-Uni, la Suède... La diplomatie de l'Union européenne fait donc le service minimum.

La Russie ne veut pas de ce statu quo et envoie un signal disant clairement : l'Otan ne doit pas mettre les pieds en Ukraine. C'est la ligne rouge. Elle est absolument partagée à Paris, Berlin et dans d'autres capitales européennes, où l'on considère que l'Otan n'a rien à faire en Ukraine. Tout le monde sait que cette perspective est très dangereuse. Les Américains sont plus ambiguës, mais j'espère qu'ils mesurent ce que signifierait une demande ukrainienne d'adhésion à l'Otan : la guerre. Contrairement à la Pologne, aux pays baltes ou la Roumanie, l'Ukraine n'est pas membre de l'Otan et donc pas couverte par le parapluie nucléaire américain. Si elle l'avait été, jamais la Russie n'aurait osé s'emparer de la Crimée. Les Ukrainiens le savent et aimeraient donc être membre de l'Otan pour cette raison, mais jamais la Russie ne l'acceptera.

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