L’Euro a 20 ans et voilà ce que la monnaie commune nous a vraiment apporté <!-- --> | Atlantico.fr
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La tour du bâtiment principal de la Banque Centrale Européenne montrant le symbole de l'euro lors du 20e anniversaire de la monnaie commune, Francfort-sur-le-Main, Allemagne, le 30 décembre 2021.
La tour du bâtiment principal de la Banque Centrale Européenne montrant le symbole de l'euro lors du 20e anniversaire de la monnaie commune, Francfort-sur-le-Main, Allemagne, le 30 décembre 2021.
©DANIEL ROLAND / AFP

Tentative de bilan

Quel bilan pourrions-nous tirer de l'euro ? Tentative de décryptage après 20 ans de monnaie commune

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : 20 ans d’existence pour l’euro, s’agit-il d’une avancée essentielle de l’Europe ? La citoyenneté européenne se consolide-t-elle par l’intégration économique ?

Michel Ruimy : La monnaie est depuis longtemps un attribut de la souveraineté nationale dont elle est un des signes fondateurs. Avant l’euro, l’ordre politique gouvernait la monnaie. Les devises modernes ont émergé avec l’Etat nation, faisant disparaître progressivement la multitude de monnaies locales, privées ou régionales. Avec l’euro, des pays souverains et égaux ont accepté, pour la première fois, d’abandonner un symbole national : leur monnaie et de créer, à l’échelon de l’Europe, une nouvelle institution capable de gérer une nouvelle monnaie européenne : la Banque centrale européenne (BCE). Ainsi, l’institut d’émission a constitué une des grandes innovations institutionnelles du siècle dernier et l’originalité de l’euro réside dans le fait qu’il est partagé aujourd’hui par 19 pays souverains sur un espace qui ne l’est pas car différent de celui de la construction politique de l’Union Européenne (UE) à 27 pays.

Au plan économique, les théories proposent deux conceptions divergentes qui s’opposent encore aujourd’hui. La monnaie est-elle neutre et passive dans l’économie ou joue-t-elle, au contraire, un rôle actif dans la production de richesses ? En d’autres termes, est-elle une question essentiellement économique et technique ou, au contraire, une institution fondamentalement politique ? Des réponses à ces deux questions, découle un mode d’organisation de la banque centrale européenne bien différent. Si l’on admet qu’une monnaie est le signe d’une puissance économique et politique, l’euro peut-il être la monnaie de 19 puissances économiques et politiques hétérogènes sans qu’une coordination et une solidarité fédérale suffisante ainsi qu’un projet politique clair n’assurent une convergence réelle ? Ou l’euro serait-il une monnaie étrangère pour chacun des pays de la zone et l’Europe n’est-elle pas condamnée à renforcer le fédéralisme économique ou à renoncer à son projet monétaire ?

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En pratique, bien que l’euro soit, à ce jour, une avancée essentielle de l’Europe, il n’a pas permis d’atteindre son ambition originelle : la convergence des économies. Les Etats membres ont toujours des niveaux de richesse et des fiscalités différents. Cette situation, qui créée notamment une concurrence déloyale (travailleurs détachés, dynamisme des exportations allemandes au détriment de ses européens…), ne facilite pas l’intégration économique et l’adhésion à une citoyenneté européenne.

Alexandre Delaigue : Pour le meilleur et pour le pire, si on raisonne en se positionnant à travers la construction européenne, la monnaie commune a défini l’Europe pendant ces vingt dernières années. On pourrait d’ailleurs noter que le Brexit aurait été beaucoup plus difficile, voire même presque impossible si le Royaume-Uni faisait partie de la zone euro. Les coûts auraient été particulièrement élevés. 

On peut également remarquer que la crise de la zone euro est liée à l’existence même de la monnaie commune. L’euro a donc été au centre des différentes tensions traversées et a conduit l’Europe à évoluer vers une plus grande intégration. La monnaie commune a donc défini le vieux continent de plusieurs manières : c’est à la fois un vecteur de progrès vers une plus grande intégration et un facteur qui aurait pu causer sa désintégration. 

L’Euro permet aux citoyens européens de se déplacer d’un pays à un autre en utilisant la même unité monétaire et le même compte bancaire. En cela, il crée une sorte de territorialité européenne. Pour autant, en termes de sentiment d’appartenance et de citoyenneté, c’est plus douteux. On peut relever que les américains peuvent se déplacer dans de nombreux pays et payer en dollars, le tout en étant totalement inconscients qu’il existe une devise locale.

On peut également noter que les billets en euro ne représentent que des ponts et structures imaginaires. Il n’y pas de visages célèbres ou d’hommes illustres, comme dans de nombreux pays. Une ville au Pays-Bas a d’ailleurs récrée ces monuments dans le but d’attirer des touristes. Encore une fois, cela ne contribue pas à créer un sentiment de citoyenneté. 

Quel bilan économique tirez-vous de ces 20 années ? Les promesses de croissance vantées au moment de la signature du traité de Maastricht ont-elles tenu ?

Michel Ruimy : Globalement, l’euro est en bonne santé. Une des preuves est que d'autres pays européens (Croatie, Bulgarie) ont demandé à l’adopter. Pourtant, les multiples crises qui ont jalonné ces 20 dernières années (éclatement de la bulle Internet, crise des subprimes, des dettes souveraines de la zone euro, de la Covid) ont chahuté l’économie en faisant stagner la croissance et freiner l’évolution des salaires. 

Lors de la première décennie, certains pays (Grèce, Espagne, Portugal, Italie) ont abusé du niveau attractif des taux d’intérêt pour s’endetter. Ceci a provoqué une surchauffe de leur économie, marquée par une dérive des prix et des salaires qui a érodé leur compétitivité et a conduit à des ajustements de compétitivité, avec parfois des baisses de salaires. La crise des dettes souveraines (2010-2012) a alors accentué les divisions entre partenaires européens (Les pays latins du Sud ont reproché à ceux du Nord leur ordo-libéralisme, qui ont critiqué leur laxisme). Période d’apprentissage, péché de jeunesse ou vice de construction, les douloureuses dévaluations internes qui en ont découlé, ont pris le pas sur les dévaluations de taux de change, beaucoup plus indolores mais devenues impossibles avec l’euro.

A chaque fois, la BCE, alors que ce n’est pas sa mission, a injecté des milliards d’euros en achetant des titres souverains pour éviter une flambée de l’inflation. En garantissant la dette des États, elle a évité une fuite des capitaux. 

Le premier élément à ne pas sous-estimer est la force de l’histoire. L’Europe s’est souvent construite dans les crises et la conception de la BCE et de l’euro est largement expliquée par les nombreuses convulsions économiques et institutionnelles de ces dernières années. Institution fédérale dans une Europe qui ne l’est pas, l’euro est ainsi une monnaie incomplète. S’il est moins critiqué dans le débat public et si aucun parti politique majeur ne songe plus à l’abandonner, il reste l’objet de fortes critiques. Il a apporté des bienfaits aux entreprises et aux ménages mais il a aussi provoqué des dysfonctionnements largement liés aux faiblesses de sa construction et à son incomplétude (absence de solidarité budgétaire européenne par la mutualisation de la dette, disparités profondes entre les économies, défaut d’un prêteur de dernier recours pour les Etats en difficultés…). 

Alexandre Delaigue : L’euro a probablement mieux fonctionné que ce que ses détracteurs prédisaient. Ils avançaient que le système était profondément nuisible et allait exploser. Malgré une crise très sévère, cela n’est jamais arrivé. Mais tous les effets favorables promis, lors de la signature du traité de Maastricht notamment, ne se sont pas réalisés pour autant. D’un autre côté, il est très difficile d’imaginer ce qui se serait passé sans l’euro. A travers toutes les pressions et les divisions qu’a connues la zone euro, comme la politique énergétique des pays européens, les questions autour de la démocratie, le Brexit … on se rend bien compte que l’euro a été une sorte de ciment. 

Y-a-t-il des perdants et des gagnants de l’euro, que ce soit par groupes de pays ou par catégories sociales ?

Michel Ruimy : La devise européenne et la BCE ont mis fin à des décennies de dévaluations compétitives de monnaies entièrement tributaires de la vigueur du Deutsche mark. Elles ont aussi contribué à réduire durablement l’inflation (1,2% en moyenne annuelle sur 20 ans contre 2,1% entre 1986-2001) et à faire baisser durablement les taux d’intérêt. Une situation particulière car si les particuliers ont pu s’endetter, investir ou devenir propriétaires immobiliers à un coût raisonnable, les épargnants ont vu leurs revenus financiers se réduire drastiquement tandis que, de leur côté, les entreprises ont bénéficié d’une monnaie unique de facturation sur le marché intérieur et hors de la zone euro. 

Deuxième monnaie la plus utilisée au monde derrière le dollar américain, l’euro a survécu à la crise financière de 2008 même s’il a failli être emporté en 2012 par la crise de la dette souveraine qui menaçait le système bancaire de dislocation. La décision de Mario Draghi, à l’époque président de la BCE, de doter l’institution d'un programme pour racheter, sous conditions, une quantité illimitée de dette d’un pays attaqué sur les marchés, a évité la dislocation.

Il n’en reste pas moins que les pays qui entrent dans la zone euro perdent la main sur leur politique de taux d’intérêt au profit de la BCE dont l’unique politique monétaire s’adresse à des réalités économiques différentes et n’est pas nécessairement adaptée à la position de chaque pays dans le cycle économique. 

Enfin, le bas niveau des taux d’intérêt a surtout permis aux États d’économiser la charge de la dette publique. En 2020, la France a économisé plus d’une dizaine de milliards d’euros. Mais, cette situation est dangereuse car si la conjoncture évolue, que les taux remontent pour protéger l’économie, les États pourraient voir leur dette devenir rapidement très difficile à soutenir. 

Alexandre Delaigue : Les petits pays exportateurs ou les secteurs exportateurs en Allemagne ont clairement bénéficié de l’euro. La monnaie commune conduit à avoir une devise qui s’est moins appréciée. De ce point de vue là, ces pays et ces secteurs d’activité ont largement bénéficié de la monnaie commune. 

De plus, la convergence des taux d’intérêt a bénéficié à toute une série de pays, dont la France. Les gouvernements ont pu s’endetter à un taux beaucoup plus faible que ce qui aurait prévalu en l’absence de zone euro. Si la France avait gardé le franc, il aurait été impossible de constituer une dette publique aussi importante que celle que l’on connaît aujourd’hui. On peut donc penser que cela nous a permis de passer à travers la crise de 2008 et du Covid avec un déficit public soutenable, mais on peut également avoir une position inverse et penser que l’Euro est une sorte d’élixir de facilité qui nous a permis d’éviter de prendre des décisions difficiles et avoir des finances publiques déficitaires. 

Jusqu’en 2015, on aurait pu utiliser la Grande-Bretagne comme point de comparaison. Elle aurait pu avoir un léger avantage, malgré sa productivité stagnante. Or, depuis le Brexit, la possibilité d’avoir pu sortir de l’Union Européenne à conduit la Grande-Bretagne sur un parcours dont on voit mal comment elle pourrait s’en sortir de manière favorable. 

Au-delà de ce qu’on peut attribuer à son existence en soi, l’euro a-t-il selon vous été bien géré par la BCE ? Et les critères de Maastricht ont-ils encore un sens aujourd’hui ?

Michel Ruimy : La difficulté de la zone euro est qu’il reste encore de nombreux correctifs à apporter avant de voir des bénéfices microéconomiques de l’unification.

Si la création de l’euro a eu les coûts macroéconomiques attendus pour les pays de la zone euro - Avec la disparition des politiques monétaires nationales et l’absence de budget fédéral, les nations ont été incapables de corriger les chocs et les structures asymétriques, d’où l’hétérogénéité de la zone euro -, elle n’a pas eu les avantages microéconomiques espérés, liés à la disparition du risque de change. En effet, depuis 2010, la mobilité des capitaux entre les pays de la zone euro a disparu, et l’épargne ne finance plus les investissements efficaces. Aujourd’hui, la zone euro se caractérise par une situation particulière où deux pays (Allemagne, Pays-Bas) ont un excédent d’épargne alors que tous les autres enregistrent des déficits. Autrement dit, depuis 2010, l’épargne des Allemands et des Néerlandais finance des investissements dans le reste du monde (Près de 4% du Produit intérieur brut européen), privant la zone euro des investissements correspondants et déprimant durablement la croissance de la zone.

Ce problème majeur est actuellement corrigé par les actions de la BCE. Pourtant, un des mécanismes le plus efficace de partage des risques - et pas le seul - serait un budget important pour la zone euro. Pour l’avenir, il y a autant de solutions que de diagnostics. Si les partis « pro-euro » répondent qu’il convient d’infléchir les décisions de la BCE afin d’exister dans le libre-échange mondial, les autres considèrent que l’euro est incompatible avec une logique économique nationale en raison de la rigidité de son cadre normatif qui conduit dans l’impasse. 

Alexandre Delaigue : La BCE est plutôt la bonne partie du système. La banque centrale a réussi à intégrer les différences européennes et à en faire quelque chose qui fonctionne relativement bien. En tant que gestionnaire de l’euro, beaucoup de gens imaginent qu’elle serait une sorte de Bundesbank bis centrée sur l’austérité et des politiques restrictives mais tout cela ne s’est pas réalisé. On peut d’ailleurs aisément la comparer, en termes de compétences techniques, à d’autres grandes banques centrales. 

On peut en revanche noter que, dans son action autour de la crise de la zone euro, elle s’est emparée de choix politiques. Elle s’est engagée dans une série de bras de fer avec des gouvernements et a parfois utilisé sa capacité à les punir. Elle s’est donc comportée comme un acteur politique garant de la survie de la zone euro mais aussi de l’orientation de sa politique dans un sens précis : ce que devraient être les finances publiques, les politiques structurelles … Ce pouvoir politique a été acquis par des technocrates désignés à la base pour être indépendants. Ils peuvent donc prendre des décisions politiques en dehors du contrôle démocratique des populations, ce qui est un réel problème. Aucun pays n’a d’ailleurs réussi à échapper à ce type de contraintes. Si on pense que le défi des 10/15 prochaines années sera celui de l’environnement et de la transition énergétique, on peut se poser beaucoup de questions. De plus, on peut remarquer une certaine extension permanente des missions de la BCE. Après la gestion de la monnaie, c’est devenu la gestion de la stabilité du système financier, puis la poursuite de la construction européenne … 

Les critères de convergence qui sont devenus les critères de Maastricht n’ont plus beaucoup de sens aujourd’hui. Du point de vue des dettes publiques, le nombre de pays qui respectent ces critères sont dérisoires. On a donc mis en place de nouveaux barèmes dans l’idée de pousser les finances publiques vers des niveaux d’endettement plus faibles, et tout cela est quelque chose qui ne fonctionne pas. 

Si on regarde ce qui caractérise une zone monétaire optimale selon Robert Mundell, la zone euro y correspond-elle ? La convergence macroéconomique et la mobilité du travail y sont-elles notamment satisfaisantes ?

Michel Ruimy : La raison essentielle pour laquelle une union monétaire se constitue est de permettre à l’épargne de s’investir là où les investissements sont les plus efficaces i.e. dans les pays où le revenu / habitant est le plus bas. Or, du fait de la moindre circulation des capitaux, ces pays sont réduits à financer leurs investissements avec leur propre épargne. De plus, la zone monétaire européenne n’est pas optimale car elle ne prévoit pas suffisamment de transferts budgétaires qui permettraient de redistribuer les surplus et réduire les divergences liées aux cycles économiques. Il n’en demeure pas moins qu’un budget européen important ne résoudrait pas nécessairement l’ensemble des problèmes (coordination des politiques fiscales qui créent des externalités, investissements en commun dans de grands projets industriels européens, mobilité des capitaux assurant le partage des risques). 

L’un des grands aspects non abordés de la zone euro est « l’union des marchés du travail » i.e. les institutions des marchés du travail sont extrêmement différentes d’un pays à l’autre. Par exemple, l’Allemagne a des syndicats de branches, la France des syndicats nationaux. Les règles de salaire minimum, de licenciement, d’indemnisation du chômage… sont différentes. Il en résulte une divergence des coûts salariaux entre les pays, sans politique correctrice. 

Depuis le début de la mise en place de l’euro, les coûts salariaux augmentent beaucoup plus vite en Espagne, en Italie, en France qu’en Allemagne. En théorie, une dévaluation interne via une baisse des salaires, pour rétablir la compétitivité équivaudrait à une dévaluation monétaire d’autrefois. Or, ce n’est pas le cas car une dévaluation interne déprime la demande intérieure en raison de la baisse des salaires alors qu’une dévaluation monétaire stimule la demande en facilitant des exportations. Une baisse des salaires n’a pas les mêmes effets redistributifs. 

Ces deux types de dévaluation ne sont donc pas du tout équivalentes. En revanche, une dévaluation fiscale, par exemple en baissant les cotisations sociales des entreprises et en montant la TVA, équivaut à une dévaluation normale. Alors qu’aujourd’hui, un pays peut gagner en compétitivité au détriment des autres, il conviendrait, en théorie, d’avoir une pratique de coordination. Un pays ne devrait pas pouvoir baisser son coût du travail sans l’accord des autres.

Alexandre Delaigue : La zone monétaire optimale est l’idée de se demander quels sont les éléments qui permettent d’avoir une monnaie commune entre un certain nombre d’entités politiques, sans que cela n’occasionne de problèmes qui peuvent déboucher sur une crise. Or, on a bien vu lors de la crise de la zone euro qu’il n’existait pas l’architecture institutionnelle qui permettait que tout fonctionne correctement. On a découvert à cette occasion que c’était pas tant les éléments qu’auraient décrits Mundell qui posaient problème mais l’existence d’un gouvernement avec de gros mécanismes redistributifs. Dans le sens de Mundell, la zone euro ne correspond donc pas à une zone monétaire optimale.

L’universitaire américain de Harvard Dani Rodrick parle de triangle d’incompatibilité, en soulignant qu’on ne peut pas avoir en même temps démocratie, souveraineté nationale et intégration économique supranationale (puisque, si on est dans une zone économiquement intégrée le contrôle démocratique doit se faire à un niveau fédéral. Si le niveau fédéral n’existe pas, on n’a pas le contrôle démocratique). Avec l’euro, l’Europe a-t-elle su échapper à ce piège ?

Michel Ruimy : La Banque centrale européenne est une institution fédérale partielle dans une Union Européenne qui ne l’est pas, issue d’un compromis historique, politique et idéologique ambigu qui a conduit à une monnaie incomplète, expliquant pour une bonne part les difficultés actuelles de la zone euro.

Au vu de ces dernières années, l’euro a aussi gagné la bataille de l’opinion européenne. En France, notons qu’à ce jour, le thème de la sortie de l’euro ne fait plus recette alors qu’il central lors de la campagne de l’élection présidentielle de 2017. 

Alexandre Delaigue : La zone euro est toujours clairement prisonnière de ce trilemne décrit par Dani Rodrick. Il explique que l’intégration économique se heurte à des différences de choix entre les pays. Si on cherche à pousser l’intégration économique, cela va conduire à des résultats qui vont à l’encontre des aspirations à l’intérieur des différents pays. On peut penser à la question de la libre circulation des personnes en Europe. Si vous voulez un marché du travail intégré, cela veut dire que vous devez accepter d’avoir des chauffeurs routiers polonais qui circulent sur les routes françaises, puisque leurs salaires sont plus faibles. Cela peut créer un certain nombre de frustrations et de tensions. 

Ce trilemne est donc tout à fait présent en Europe et on le ressent de plus en plus, dans de nombreux domaines : politique énergétique, migratoire, sociale … Ces idées diverses sont incompatibles avec une quelconque intégration économique, et il va falloir trancher d’une manière ou d’une autre. Qui le fera ? La technocratie européenne, sur la base de choix qui relèvent de la capacité de lobbying des différents états, mais pas sur le choix des citoyens. Dans le trilemne de Rodrick, le choix européen reste une situation dans laquelle la forte intégration économique et les divergences de choix entre les différents pays n’est résolue que par la technocratie, c'est-à dire la renonciation à la démocratie. 

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