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L’étrange et très belle promotion accordée à Fabrice Burgaud, le juge d’Outreau
©FRED DUFOUR / AFP

Etonnant

L'instructeur de l'affaire Outreau, Fabrice Burgaud, a été promu au poste d'Avocat général référendaire de la Cour de cassation.

Gérald Pandelon

Avocat à la Cour d'appel de Paris et à la Cour Pénale Internationale de la Haye, Gérald Pandelon est docteur en droit pénal et docteur en sciences politiques, discipline qu'il a enseignée pendant 15 ans. Gérald Pandelon est Président de l'Association française des professionnels de la justice et du droit (AJPD). Diplômé de Sciences-Po, il est également chargé d'enseignement. Il est l'auteur de L'aveu en matière pénale ; publié aux éditions Valensin (2015), La face cachée de la justice (Editions Valensin, 2016), Que sais-je sur le métier d'avocat en France (PUF, 2017) et La France des caïds (Max Milo, 2020). 

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Selon le rapport de l'audience solennelle d’installation du 22 janvier dernier, publié par la Cour de Cassation, Fabrice Burgaud, qui a instruit l'affaire d'Outreau, a été promu au poste d'Avocat général référendaire à la Cour de Cassation. Une promotion qui a pu être annoncée par Bertrand Louvel, Premier président de la Cour de Cassation "Je voudrais saluer aussi l’arrivée au parquet général, en tant qu’avocats généraux référendaires, de Monsieur Fabrice Burgaud, qui connaît bien la Cour où il a été auditeur pendant 7 ans, responsable de ce bureau du droit européen de plus en plus sollicité et appelé à fusionner avec le bureau de droit comparé ". Après le scandale Outreau, comment expliquer une telle promotion ? Que peut révéler une telle promotion de la magistrature ? 

>>> Le rapport d'audience solenelle d'installation de la Cour de Cassation <<<

Gérald Pandelon : Cette promotion témoigne qu'en matière judiciaire, comme d'ailleurs en politique, la mémoire n'existe pas, les plus cyniques pouvant même considérer que les promotions sont inversement proportionnelles aux mérites présumés de certains magistrats. Que pour faire carrière, il vaut mieux être "chien" (dépendant de son maître et servile) que "chat" (indépendant et travailleur). En même temps, si l'opinion a été sévère avec M. Fabrice Burgaud, elle a curieusement omis, par ignorance, que la chambre de l'instruction près la cour d'appel, en charge de contrôler l'activité de ce jeune magistrat et dont les conseillers étaient plus âgés donc plus expérimentés, avait systématiquement confirmé les ordonnances prises par ce juge d'instruction.

En effet, ce n'est pas l'ancien magistrat instructeur de Boulogne-sur-Mer, puis chef du bureau du droit international à la Cour de cassation et récemment promu au Parquet Général de la Haute Juridiction en qualité d'avocat général référendaire, qui avait rédigé l'ordonnance de renvoi ayant conduit dix-sept personnes devant la cour d'assises, dont treize furent toutefois acquittées. Son successeur s'en était chargé en 2003, alors que M. Burgaud avait obtenu une prestigieuse promotion au parquet antiterroriste. Une sorte de prime sinon à la médiocrité absolue, du moins à l'incompétence relative. C'est par conséquent toute la chaîne pénale qui a erré. Il ne s'agit néanmoins plus aujourd'hui de dresser l'inventaire des erreurs commises par ce magistrat, certes importantes, mais liées en grande partie à sa jeunesse dans la profession au moment des faits, de l'autre à son acharnement à vouloir distinguer derrière tout accusé un coupable potentiel, autrement dit à les accabler, non pas par haine viscérale, mais par zèle.

En réalité, le vrai coupable n'est pas ce juge mais le système judiciaire, c'est dire celles et ceux qui lui ont permis, par leur aveuglement ou leur absence de surveillance, voire leur désintérêt du dossier, de persister dans ses erreurs. Des vies ont pourtant été broyées, elles l'ont été car, au-delà de l'exemple symbolique dudit magistrat, ce drame d'Outreau révèle, si besoin était, l'essence même de notre modèle ou de notre notre culture judiciaire qui repose sur l'horizon indépassable du mandat de dépôt, une incarcération provisoire presque systématique s'agissant d'affaires ouvertes au criminel, au détriment parfois de la recherche de la vérité, par manque de temps, par manque de moyens, par manque, aussi, de volonté ou paresse intellectuelle, de lassitude aussi. Une recherche qui, en toutes hypothèses, devrait constituer le seul objectif des organes de poursuites, au premier rang desquels le parquet, même si, en pratique, l'instruction s'effectuant plutôt à charge qu'à décharge et que le magistrat instructeur disposant dans ses attributions du renvoi ou non devant une juridiction pénale, il constitue également un organe de poursuite.

Mais si sur un plan strictement juridique, il n'est pas possible d'évoquer une erreur judiciaire dans l'affaire Outreau puisque devant la cour d'assises d'appel, la plupart des accusés furent acquittés, et que, en définitive, c'est toujours "l'instinct de vérité" au sens où l'entendait le philosophe allemand Nietzsche qui a fini par s’imposer, c’est en même temps l’instinct vital de conservation ou l'esprit de corps qui a conduit les magistrats davantage à persister, sinon dans le mensonge, du moins dans l'erreur réitéré, c'est dire la faute, au détriment de la quête de vérité. Il s’ensuit, que l’intuition, par un défaut structurel de moyens humains et matériels auquel la justice est confrontée, a encore constitué le critère d’appréciation, reléguant ainsi la décision à intervenir davantage à une option ou un pari sur la culpabilité qu’à une hypothèse plausible d’innocence. En effet, l’institution judiciaire, en dépit de l’affaire d’Outreau, éprouvant toujours autant de difficultés à admettre, et encore aujourd'hui, qu’elle puisse se tromper, la culture française en matière pénale demeurant celle, à l’épreuve des faits, du mandat de dépôt plus que celle d'une innocence pourtant constitutionnellement présumée.

A ce titre, le sentiment qui persiste au sein de l’institution judiciaire treize années après le second rapport Viout du 8 février 2005, c'est qu'en raison des aveux, les acquittés d’Outreau constitueront nécessairement de faux innocents car, au fond, non seulement il n’y aurait pas eu de fumée sans feu, mais également et surtout, parce qu’il ne serait pas possible qu’à la fois des fonctionnaires de police et des magistrats à tous les niveaux de la hiérarchie aient pu se tromper cumulativement et systématiquement dans de telles proportions.

En d’autres termes, la vérité judiciaire serait la preuve de la culpabilité définitive lorsqu’il y aurait condamnation mais, en même temps, serait sujette à caution dans l’hypothèse d’un acquittement en présence d’aveux. Autrement dit, l’institution judiciaire ne peut pas se tromper. On passe d'une indépendance revendiquée à une infaillibité absolue. Mais si l’intuition du juge peut toutefois servir de fondement à une déclaration de culpabilité c’est également parce que l’appareil judiciaire manque de temps pour en rapporter la preuve irréfragable sur le fondement de simples aveux, et ce d’autant que le temps essentiel ou qualitatif au sens de Bergson, c’est-à-dire celui qui dépend de la conscience qu’en ont les divers protagonistes, à savoir l’accusation et la défense, est fort différent, une accusation et une défense disposant d'armes inégales, des armes qui en dépit des réformes successioves de notre procédure pénale, sont et demeureront, n'en déplaisent aux avocats pénalistes dont je suis, définitivement déséquilibrés. Car le rééquilibrage relève, en réalité, du simulacre ou de l'illusion, sinon du mensonge ou de la ruse d'une institution dont la plus belle des fables serait de nous laisser croire, comme pour le diable, qu'il n'existe pas ; d'ailleurs, ce n'est pas l'actuel projet de réforme pénale qui viendra infléchir la tendance programmée d'un crépuscule de la justice pénale.

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