L’Etat condamné pour « carences fautives » dans « L’affaire du siècle » : une énorme faute politique de la Justice ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Affaire du siècle condamnation de l'Etat français par la Justice environnement planète ONG Oxfam Greenpeace
Affaire du siècle condamnation de l'Etat français par la Justice environnement planète ONG Oxfam Greenpeace
©Thomas SAMSON / AFP

Victoire pour les ONG

Le tribunal administratif de Paris a reconnu mercredi, pour la première fois, que l'Etat a commis une "faute" en ne respectant pas ses engagements de réduction des gaz à effet de serre. Cette décision "historique" a été saluée par les ONG qui poursuivaient l'Etat en justice. Par cette condamnation, la justice ne dépasse-t-elle pas ses prérogatives en entrant sur le terrain politique ?

Didier Maus

Didier Maus

Didier Maus est Président émérite de l’association française de droit constitutionnel et ancien maire de Samois-sur-Seine (2014-2020).

 

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Atlantico.fr : L’Etat vient d’être condamné pour « carences fautives » dans « L’affaire du siècle », y avait-il des fondements à cette condamnation ? La décision dépasse-t-elle l’euro symbolique que l’État doit payer ? 

Didier Maus : Pour bien comprendre la portée du jugement rendu par le tribunal administratif de Paris le 3 février 2021, il faut, comme toujours en droit, faire un peu d’histoire. Il y a maintenant longtemps que les associations de promotion de l’écologie et du développement durable (on disait avant « de défense de l’environnement ») et l’État s’opposent sur la nature et le degré des mesures à prendre pour réduire les conséquences de l’effet de serre et préserver la biodiversité. De son côté, l’État a pris dans divers textes nationaux et internationaux, parfaitement rappelés dans la longue décision du 3 février,  des engagements précis quant aux objectifs et moyens qu’il retient pour atteindre la neutralité carbonique vers 2050. Les associations concernées ont mis le gouvernement en demeure, fin 2018, de respecter ses engagements et de prendre à cet effet toutes les mesures nécessaires. C’est le point de départ obligatoire d’une action en responsabilité contre une personne publique : il faut « nouer » l’éventuel contentieux. Le gouvernement aurait pu rester muet, ce qui aurait signifié un rejet implicite, mais il a explicitement refusé d’accéder aux demandes des associations. À partir de là la mécanique du procès administratif se met en place. Les requérantes (Oxfam France, Notre Affaire à tous, la Fondation pour la nature et l’homme, Greenpeace France) déposent des requêtes devant le tribunal administratif de Paris. Le gouvernement se défend en considérant, évidemment, les demandes comme non fondées (peu importe ici les arguments des uns et des autres). Après une procédure classique, mais passionnante pour les spécialistes, l’affaire est longuement évoquée en audience publique le 14 janvier 2021. Le jugement intervient le 3 février. Il n’y a rien à redire. Le procès a été équitable, aussi bien pour les associations que pour l’État.

Sur le fond, le raisonnement du Tribunal est structuré de manière habituelle. Le point de départ est l’article 1246 du Code civil, introduit par la loi du 8 août 2016 (sous la présidence de François Hollande), qui énonce de manière très claire « Toute personne responsable d’un préjudice écologique est tenue de la réparer ». Il est lui-même la conséquence de la Charte de l’environnement voulue en 2004 par Jacques Chirac (dont le discours de Johannesburg sur « la maison qui brule » date de 2002), constitutionnalisée en 2005. Le cadre juridique devient alors presque banal : la responsabilité écologique s’applique aussi bien à l’État qu’à toutes les autres personnes morales ou physiques ; il importe de constater un préjudice écologique, de rechercher les carences fautives, d’en déterminer l’origine et les liens de causalité. Pour cela le tribunal a recours aux documents officiels, nationaux et internationaux, notamment les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Il est ainsi conduit à constater que L’État « à hauteur des engagements qu’il avait pris et qu’il n’a pas respectés dans le cadre du premier budget carbone, (…) doit être regardé comme responsable, au sens des dispositions précitées de l’article 1246 du Code civil, d’une partie du préjudice écologique constaté ». La rédaction retenue prend l’administration à son propre piège. Le juge devient l’évaluateur des insuffisances de la politique publique voulue et mise en place par l’État lui-même. C’est le boomerang.

Peu importe, pour l’instant, les conséquences concrètes. Un supplément d’instruction permettra rapidement de statuer sur les aspects financiers et techniques. L’essentiel a été dit, sauf à ce que l’État fasse appel devant la cour administrative d’appel de Paris. Le Conseil d’État sera ensuite appelé à se prononcer.

Par cette condamnation, la justice ne dépasse-t-elle pas ses prérogatives en entrant sur le terrain politique ? Y-a-t-il un risque que les magistrats se substituent aux politiques ? 

Pour faire simple, la responsabilité de l’administration pour carence ou abstention n’est pas nouvelle. Pour qu’il y ait une décision jurisprudentielle novatrice, il faut plusieurs conditions : un bon dossier, des avocats imaginatifs et une juridiction ouverte aux innovations. Elles ont été réunies le 3 février. Le juge administratif est, par nature, au cœur de dossiers juridico-politiques. Ce n’est la première fois, ni la dernière que la critique du « trop politique » est formulée. Une telle affaire aurait été impossible il y a vingt ans. Les instruments juridiques qui en sont le fondement n’existaient pas. Qui a inscrit la Charte de l’environnement dans la Constitution en 2005 ? Qui a adopté la responsabilité écologique en 2016 ? Réponse : le Parlement, donc le pouvoir politique.

N'y-a-t-il pas un risque de récupération politique anti-Macron malgré le fait que les faits condamnés concernent la période 2015-2018 ? 

Didier Maus : L’inattendue fait partie de la vie politique. Puisque M. Macron a l’ambition d’être un Président écologique (ce qui est contesté par certaines associations et militants) il ne peut que se réjouir de ce jugement. Cela peut l’aider à aller plus vite et plus loin. La discussion, dans quelques semaines, du projet de loi sur les suites de la Convention citoyenne sera l’occasion de faire le point.

La décision du tribunal administratif de Paris montre qu’il n’y a pas besoin de modifier l’article 1er de la Constitution pour affirmer un droit écologique « progressiste ». A bon entendeur, salut.

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