L’équilibre instable entre démocratie et capitalisme : les houleuses relations entre marchés et gouvernements <!-- --> | Atlantico.fr
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Yann Coatanlem et Antonio de Lecea publient « Le capitalisme contre les inégalités » aux éditions PUF.
Yann Coatanlem et Antonio de Lecea publient « Le capitalisme contre les inégalités » aux éditions PUF.
©JOHANNES EISELE / AFP

Bonnes feuilles

Yann Coatanlem et Antonio de Lecea publient « Le capitalisme contre les inégalités » aux éditions PUF. Les dernières décennies ont vu un enrichissement des couches les plus aisées sans contreparties pour les plus défavorisées. Les crises à répétition, économiques, sanitaires, climatiques, mettent cruellement à jour le manque de filets de sécurité pour les plus faibles, forçant souvent les gouvernements à agir dans l'urgence et sans grande efficacité. Extrait 1/2.

Yann Coatanlem

Yann Coatanlem

Yann Coatanlem est économiste, président du think tank franco-américain Club Praxis, membre du conseil d'administration de Paris School of Economics et auteur du Gouvernement des citoyens (Puf, prix 2018 de l'Académie des Sciences morales et politiques).  

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Antonio de Lecea

Antonio de Lecea

Antonio de Lecea est économiste, professeur et consultant, ancien conseiller économique du président et directeur des Affaires Économiques et financières internationales à la Commission européenne, et vice-ambassadeur Économique à la Délégation de l'Union Européenne aux États-Unis.

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Le capitalisme est longtemps apparu comme l’allié naturel de la démocratie : ainsi, en France, les pouvoirs économiques ont joué un rôle déterminant dans la chute de Charles X et la mise sur orbite de la monarchie de Juillet.

Inversement, la démocratie et l’État de droit, notamment le respect de la propriété et du contrat, sont des soutiens institutionnels importants du fonctionnement des marchés. Bien avant la révolution industrielle du XIXe  siècle, le commerce et les systèmes bancaires ont bénéficié de régimes soucieux des libertés publiques et de l’ouverture sur le monde, comme au Moyen  Âge dans les grandes villes italiennes. A contrario, l’arbitraire des politiques de Louis  XIV, notamment lors de la révocation de l’édit de Nantes, est responsable d’une performance économique médiocre par rapport aux Pays-Bas plus libéraux.

Mais il n’existe pas pour autant de symbiose entre démocratie et capitalisme. S’ils sont en général pacifiques, les régimes démocratiques offrent rarement un cadre où les règles sont connues à l’avance et respectées par tous, précisément parce que les préférences majoritaires peuvent changer fréquemment. Ce manque de stabilité fondamentale dans de nombreux aspects de l’action publique (régulation, fiscalité, immigration,  etc.) est souvent peu propice à une prise de décision économique de long terme et peut décourager l’innovation.

Le fonctionnement des marchés n’est pas non plus idéal pour l’épanouissement de la démocratie car celle-ci a besoin de tâtonner, de délibérer, d’entendre des points de vue conflictuels, en bref de prendre son temps : elle sait que ne pas décider est parfois la meilleure décision, en tout cas meilleure qu’un expédient rapide. On a ainsi vu de nombreux gouvernements tétanisés et lents à prendre des décisions importantes lors de la crise de 2008 ou encore lors de l’épidémie de Covid-19. Les marchés eux veulent des certitudes et ont tendance à préférer une solution médiocre à une prolongation de l’incertitude.

Et il n’est pas rare que marchés et gouvernements s’opposent. Prenons un exemple : les intérêts de l’industrie du tabac entrent sou‑ vent en conflit frontal avec les objectifs de santé publique d’un pays. Mais il est alors préférable pour les actionnaires de savoir à quelle sauce ils vont être mangés (pour éventuellement redéployer leurs capitaux vers des activités plus conformes aux politiques publiques) plutôt que d’être dans le flou quant aux possibilités à long terme de leur entreprise.

Ces divergences d’objectifs sociétaux existent d’ailleurs entre n’importe quel régime politique et les acteurs économiques. Lorsque l’empereur Kangxi déclare une zone interdite de 30  kilomètres le long des côtes de la Chine au milieu du XVIIe  siècle (c’est un épisode relaté par Acemoglu et Robinson dans Why Nations Fail), il inaugure une longue période d’isolement qui a protégé le pays politiquement mais a fortement retardé son développement économique. Il a sans doute fait de nombreux mécontents parmi ses entrepreneurs, mais qui peut dire, surtout au regard de la crise du Covid-19 et des ruptures de chaînes de valeur, que ce genre de décision était nécessairement mauvais ? La ruse de l’histoire est que la Chine ne serait peut-être jamais devenue cette réussite singulière si elle s’était assimilée au monde occidental.

On serait donc en droit de penser que les intérêts économiques doivent toujours être subordonnés aux objectifs plus généraux du corps social : cela semble découler du simple constat d’un rapport de force, même s’il est parfois dévoyé par la corruption ou le lobbying. Mais aujourd’hui la mondialisation et la prévalence de ce que l’on a appelé le « consensus de Washington » font qu’un gouvernement démocratique n’exerce qu’une souveraineté réduite sur les questions économiques. Les opinions publiques peinent à admettre que les institutions multilatérales ont en général pour objectif d’établir une souveraineté partagée de la manière la plus équitable et la plus efficace possible, en partie parce qu’elles échappent au contrôle direct du citoyen. Les crises à répétition qui secouent le monde, qu’elles soient financières, climatiques ou sanitaires, ont rendu les peuples de plus en plus réfractaires au risque et prompts à traiter le capitalisme et la mondialisation en boucs émissaires faciles.

Même lorsque le régime démocratique et les institutions capitalistes cohabitent relativement harmonieusement, la capacité des pouvoirs publics à stabiliser les marchés pour protéger leurs citoyens connaît des limites finies comme la crise du Covid-19 en a apporté une illustration éclatante. Et donc toute initiative privée ou publique, toute action individuelle ou collective doit être consciente des risques supportés. 

Extrait du livre de Yann Coatanlem et Antonio de Lecea, « Le capitalisme contre les inégalités », publié aux éditions PUF

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