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"L’enfer est pavé de bonnes intentions", ce vieil adage qui rattrape Angela Merkel
©TOBIAS SCHWARZ / AFP

Virage à droite

En décidant seule d'ouvrir les portes de l'Allemagne aux flux de migrants, Angela Merkel a provoqué la déstabilisation politique du pays. Une situation qui pourrait avoir des conséquences lors des prochaines élections législatives de 2017, et que la chancelière semble avoir déjà intégrée dans son discours.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Baisse dans les sondages de la cote de popularité de la chancelière, montée de l'AfD... Telles sont certaines des conséquences de la politique d'accueil des réfugiés initiée par Angela Merkel en 2015. Qu'est-ce qui explique qu'une décision partant d'une bonne volonté ait de telles conséquences ? 

Edouard HussonEntre les bonnes intentions et les conséquences mitigées de la politique d'accueil des réfugiés en République Fédérale d'Allemagne, il ne faut pas oublier la raison profonde de l'échec d'un engagement généreux : Angela Merkel a décidé seule, en quelques jours, à la fin de l'été 2016, du principe et des modalités d'un accueil massif. C'est une très belle chose que l'Allemagne soit devenue un pays particulièrement accueillant à l'étranger. On peut penser cependant qu'une large consultation par la chancelière aurait permis de donner toute sa force, toute son efficacité à la politique d'accueil. Accueillir 200 000 réfugiés et les intégrer de manière exemplaire aurait été possible si la chancelière avait associé Églises, syndicats, partis politiques, ONG à la décision. Mais 2 millions, c'est un tout autre défi. Les Allemands ont commencé par le relever courageusement mais il devient de plus en plus clair que "qui trop embrasse mal étreint". J'y insiste : Angela Merkel avait suffisamment d'aura politique et de capacité à susciter le consensus pour déclencher un large mouvement de solidarité. Consultée, la société aurait trouvé le bon équilibre entre générosité et réalisme. Et les partis hostiles à un large accueil de réfugiés, tels l'AfD, auraient peu pesé face à l'autorité de la chancelière et au consensus dans l'opinion. 

Cette montée de l'AfD est l'un des révélateurs de l'instabilité politique que traverse en ce moment l'Allemagne, à laquelle s'ajoute également la multiplication des partis. Quel risque représente cet éclatement de l'offre politique allemande en vue des élections législatives de 2017, et tout particulièrement pour Angela Merkel ? Ses récents propos sur l'interdiction du port du voile intégral sont-ils une première manifestation des conséquences de cette instabilité qui pèse sur elle et son parti, la CDU ?

L'affaiblissement des trois grands partis de gouvernement (chrétiens-démocrates de la CDU/CSU, libéraux du FDP, sociaux-démocrates du SPD) est relativement ancien : il remonte aux années 1980, où l'on avait vu une percée des Verts et, aussi, d'une force d'extrême-droite, les "Republikaner". Les partis politiques ont largement profité de la réunification (qui apportait de nouveaux électeurs) pour se revigorer mais l'effet s'est vite dissipé. Depuis la fin des années 1990, c'est surtout la personnalité du chancelier qui a joué : Schröder, entre 1998 et 2003, a porté le SPD à 35% ou plus, une dizaine de points au-dessus de son socle. Madame Merkel, encore plus, avait eu, jusqu'à l'été 2015, un effet dopant pour le vote CDU/CSU. Alors même si les élections régionales sont plus marquées par l'abstention que les élections parlementaires nationales, il faudra bien observer les tendances. Il se peut que le vrai rapport de force entre la CDU et le SPD, les deux partis actuellement au gouvernement, redevienne plus équilibré, mais au prix d'une baisse de la CDU/CSU, qui serait plus proche de 30 que de 40%. Du coup, d'autres forces politiques gagneront en importance : les Verts et Die Linke ayant été globalement favorables à l'accueil des réfugiés, c'est principalement l'AfD, l'Alternative für Deutschland, un parti que je qualifierais plus de la droite dure que d'extrême-droite, qui risque d'occuper le terrain. C'est d'autant plus probable que Madame Merkel a déplacé le centre de gravité de la CDU du centre-droit vers le centre-gauche. Evidemment, elle est trop bonne politique pour ne pas s'en rendre compte ; elle va droitiser son discours au risque de rendre illisible sa politique. Mais a-t-elle le choix de faire autrement ? La prochaine élection allemande va se perdre à droite de l'échiquier politique. 

Une récente enquête de la Fondation Friedrich Ebert souligne que 40% des Allemands sont d'accord pour dire que "l'islam est une menace pour la société allemande". Comment peut-on juger l'évolution de la position des Allemands quant au rapport entretenu à l'islam ? Comment se positionnaient-ils sur le sujet avant 2015 et l'ouverture de l'Allemagne aux flux migratoires ?

Le chiffre augmente par rapport à des enquêtes d'opinion menées au début de la décennie. Cependant, les tensions avec l'islam en Allemagne remontent au moins aux années 1990, lorsqu'il devint évident que la communauté turque n'arrivait pas à s'intégrer à la société allemande aussi vite que d'autres populations étrangères. Emmanuel Todd a montré de manière très convaincante, dès 1994, dans son ouvrage intitulé Le destin des immigrés, que la xénophobie en Allemagne, historiquement, se focalise sur une "différence métaphysique" imaginée : dans le cas qui nous intéresse, sur une croyance religieuse, l'islam fondamentaliste, d'abord surestimé puis, par une prophétie auto-réalisante, prospérant dans une partie de la communauté turque qui se sentait mise à l'écart. Aujourd'hui, cette tendance semble se renforcer sous le coup de l'afflux de musulmans, cette fois arabophones et non plus seulement turcophones. Un mouvement, Pegida, a émergé en Allemagne de l'Est pour dénoncer la place faite à l'islam dans une société qui se veut "multiculturelle". Comme Pegida semble s'essouffler, c'est sans doute l'Alternative für Deutschland qui va récupérer cette montée d'une hostilité à l'islam dans le cops électoral allemand. Ce n'est pas le fond de commerce de ce parti, au départ fondé sur le rejet de l'euro, mais qui, aujourd'hui, aide la somme des mécontentements à se cristalliser. 


Dans quelle mesure l'accord passé avec le président Erdogan - dirigeant autocrate connu pour ses violations des droits de l'Homme - afin d'endiguer les flux de réfugiés vient-il mettre à mal l'image d'Angela Merkel, présentée par Barack Obama comme l'une des rares figures politiques incarnant encore les valeurs démocratiques et libérales ?

Madame Merkel est incohérente dans sa politique étrangère : elle refuse, au nom des droits de l'homme, de négocier sérieusement avec la Russie une sortie de crise en Ukraine et ne voit pas que la Russie est attachée à une sortie de conflit en Syrie et est, de fait, dans ce pays traversé par les interventions étrangères, le meilleur rempart contre l'emprise de l'Etat Islamique. En revanche, elle fait crédit à Erdogan : elle lui demande d'aider à canaliser les flux de réfugiés et elle ferme les yeux sur les violations des droits en Turquie. Evidemment, le poids de la communauté turque en Allemagne peut expliquer ce "deux poids, deux mesures". Mais une telle explication a ses limites. Barack Obama a eu beau vanter la chancelière, la réalité de la politique étrangère de cette dernière s'appuie sur une "realpolitik" assez peu attentive aux principes qui fondent la démocratie : au nom de l'intégrité de la zone euro, défendue avec une grande brutalité par les négociateurs allemands à l'été 2015, la Grèce a été plongée dans le marasme économique au moment où des réfugiés, de plus en plus nombreux, affluaient vers son territoire. Plus globalement, l'Europe du Sud, qui est celle qui accueille le plus de réfugiés, est asphyxiée monétairement par la politique de l'euro au moment même où il faudrait aider Portugal, Espagne, Italie et Grèce à construire structure d'accueils et procédures d'intégration. Angela Merkel n'est pas, loin de là, la seule décideuse allemande en Europe. Mais il est probable qu'elle voit converger vers elle bien des critiques des autres Européens envers l'Allemagne. L'image de Madame Merkel chez ses voisins européens est bien moins idéalisée que chez Obama : la Russie cherche en vain à rappeler que la stabilité et le rayonnement de l'Europe passe par une solide entente germano-russe (à laquelle la France se joindra), les pays d'Europe centrale sont de plus en plus hostiles à la politique allemande d'accueil des réfugiés, et l'Europe du Sud maudit l'égoïsme de l'Allemagne en train de casser l'Europe sous le prétexte de s'accrocher à la politique monétaire de la fin du 20ème siècle. 

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