L'Émission politique : en refusant le débat, Castaner et Mélenchon nous ont privé de politique <!-- --> | Atlantico.fr
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De gauche à droite : Christophe Castaner, Olivier Faure, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Laurent Wauquiez.
De gauche à droite : Christophe Castaner, Olivier Faure, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Laurent Wauquiez.
©PHILIPPE LOPEZ / AFP

En ordre de bataille ?

Christophe Castaner (LREM), Olivier Faure (PS), Marine Le Pen (FN), Jean-Luc Mélenchon (LFI) et Laurent Wauquiez (LR) étaient les invités de France 2 ce 17 mai, pour analyser dans L’émission politique le bilan de la 1ere année du quinquennat d'Emmanuel Macron.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Quelques éléments d’abord sur le format de l’émission. L’émission politique a choisi de faire passer les invités l’un après l’autre, soit, après tirage au sort, Jean-Luc Mélenchon, Laurent Wauquiez, Christophe Castaner, Olivier Faure  et Marine Le Pen. Chacun, en 15 minutes, devait présenter un objet symbolisant cette année de pouvoir macronien, répondre aux questions des journalistes puis à une interpellation d’un représentant de la société civile, avant de disposer de deux minutes pour une « carte blanche ».

Ce format aurait tué n’importe quelle émission, puisque les politiques n’ont en effet été présents au complet sur le plateau qu’au moment de leur arrivée, pour repartir en coulisses et se succéder ensuite les uns après les autres. C’était la conséquence des choix de Jean-Luc Mélenchon et Christophe Castaner, qui ne voulaient pas débattre avec Laurent Wauquiez et Marine Le Pen. Pas de risque donc d’assister à ces affrontements directs qui sont l’essence même du débat politique, quand, pourtant, Castaner ou Mélenchon aiment poser aux « grandes gueules ». Face à cette situation, les deux journalistes, Léa Salamé et François Lenglet, tentaient péniblement de meubler ces interviews successifs en variant les questions, privilégiant tel ou tel aspect de la politique suivie par Macron sans que les choix opérés semblent toujours très cohérents, et confrontés à des politiques qui de toute manière, en quinze minutes, ne pouvaient pas apporter grand chose.

Jean-Luc Mélenchon.

Jean-Luc Mélenchon voit sans surprise dans Emmanuel Macron un « Président des riches » qui mènerait à la hussarde sa politique antisociale, avec le soutien forcé de députés-godillots. Il a subtilement refusé le piège qu’on lui tendait, et qui aurait consisté à opposer la rue et sa violence à la légitimité de la souveraineté parlementaire. Il a, plus simplement, regretté le peu de concertation mis dans la préparation des réformes, une attitude brutale qui, selon lui, ne pouvait conduire qu’à la crise sociale actuelle. Il a aussi regretté les choix faits par Emmanuel Macron en politique internationale et martelé que la France devait impérativement rester souveraine, c’est-à-dire libre de ses choix, et ce d’autant plus que la paix mondiale lui semblait fort menacée.

Jeu subtil donc du président de la France insoumise. D’une part, face aux conflits sociaux actuels, pour récupérer les mouvements sans faire trop peur aux classes moyennes ou aux retraités, défendre les activistes, mais faire peser la responsabilité des violences sur les promoteurs des réformes. D’autre part, en politique internationale défendre l’indépendance de la France face à l’Union européenne comme sur la scène internationale – notamment face aux USA et à Israël - par une même revendication d’une absolue souveraineté nationale

Laurent Wauquiez.

Intervenant ensuite, Laurent Wauquiez a pour sa part largement évoqué cette pression fiscale toujours plus forte qui pèserait sur les classes moyennes et plus largement sur tous ceux qui travaillent. Le piège était bien sûr de se voir reproché de critiquer une politique macronienne qui satisfaisait les attentes de son propre mouvement. Laurent Wauquiez l’a bien évité. Contrairement à Jean-François Copé, il ne pense pas en effet qu’Emmanuel Macron fasse une politique « de droite », ce qu’il a résolument refusé de confondre avec le libéralisme mondialiste et les profits financiers, prônant au contraire un nécessaire équilibre entre un libéralisme d’entrepreneurs et une dimension sociale. Il a tenté d’incarner la France de la province contre la clique parisienne favorable à LaREM – aidé en cela par un Philippe Tesson qui semblait avoir bien oublié sa propre jeunesse lorsqu’il lui reprochait son arrogance face au Président. Soucieux de répondre aux principales angoisses des Français, il a considéré que leur sécurité n’était pas - ou mal – assurée, et donné un certain nombre de pistes pour lutter contre le terrorisme et contre une immigration qu’il a déclaré vouloir stopper. Il a conclu sur le risque de voir la France, qui reposerait selon lui sur la méritocratie, le travail, l’effort et l’égalité des chances, changer de nature.

Laurent Wauquiez maintient pour s’imposer dans son parti et dans la vie politique française le cap qui était le sien lors de sa participation à L’émission politique : un discours très ferme sur les thématiques de la sécurité et de l’immigration, comme le rejet clairement assumé d’un libéralisme mondialisé. Il retrouve en cela certains éléments du discours de Sarkozy de 2007, comme le culte du travail et de l’effort – avec, par exemple, la référence à la défiscalisation des heures complémentaires.

Christophe Castaner.

Chargé de défendre la politique du gouvernement et l’image du Président, Christophe Castaner a joué la carte du pragmatique. C’est ainsi qu’il n’a pas craint de nous parler de sa profonde proximité avec des Français dont il consignerait les réflexions, entendues au fil de ses pérégrinations pédestres, ou le soir à la veillée, dans de vastes carnets noirs dont il a brandi un exemplaire. Il a ensuite défendu la politique gouvernementale, que ce soit en matière de lutte contre le terrorisme, de réforme de la taxe d’habitation ou de négociations sociales. Face à un Patrick Pelloux qui lui reprochait de ne pas nommer l’ennemi que serait devenu sur notre territoire l’islamisme radical il a bien voulu le faire, ajoutant aussitôt les réserves habituelles sur les amalgames à ne pas faire – lui-même, qui aurait été victime d’un complot d’extrême droite visant à l’égorger, ne ferait pas pour autant d’amalgame avec les électeurs de Marine Le Pen. Il a naturellement vanté la politique favorable au renforcement des pouvoirs de l’Union européenne d’Emmanuel Macron, un Macron dont les discours sur ce point serviraient même de fondement au pacte de coalition de l’actuel gouvernement allemand…

On le voit, le gardien du temple macronien, s’il a présenté des éléments parfois intéressants (par exemple lorsqu’il s’est interrogé sur les limites de la légitimité de ces « corps intermédiaires », syndicats ou associations, que les journalistes cherchaient à opposer au « bonapartisme social » du Président), n’a pas craint certaines outrances, mais n’est-ce pas le cas de tout disciple, et ce quand bien même nous a-t-il assuré être en charge de « l’après Macron » ?

Olivier Faure.

Olivier Faure, venu avec une balance, attaqua la politique sociale et fiscale du « Président des riches »… Parti sur ce terrain, cherchant donc à se poser en opposant de gauche, il se livra ensuite à un exercice particulièrement difficile. Il lui fallait en effet, d’abord, se dissocier de tout rapprochement avec la politique macronienne, comme cela fut par exemple le cas sur la politique de réforme de la SNCF – mais ne trouvant en fait d’arguments pour cela qu’en s’opposant sur la forme de cette réforme, et non sur son fond. Mais il lui fallait ensuite assumer, comme Romain Goupil lui en fit la remarque, d’être chassé ou tenu à l’écart des manifestations sociales de ces derniers temps par les autres partis et syndicats de gauche. Soyons clair : il sembla bien difficile à un homme dont le charisme doit encore s’affirmer de prétendre faire encore exister un « parti de Jaurès » dont tout le monde semble avoir acté la disparition. Son ultime proposition, amener à la table des entreprises actionnaires et travailleurs unis par une nouvelle solidarité dans des débats apaisés et des répartitions harmonieuses des profits, renoue certes avec l’histoire ancienne d’une gauche utopiste, mais ne semble pas à même d’être appliquée aux conflits sociaux actuels.

Marine Le Pen.

Dernière à parler, Marine Le Pen était venue sur le plateau avec une tillandsia, une plante sans racines dite « fille de l’air », qui lui semblait parfaitement représenter le Président et sa politique. Interrogée sur la politique internationale elle a condamné celle du Président, notamment son suivisme à l’endroit des USA, et regretté que l’Union européenne fasse une fois de plus la preuve de sa totale impuissance face aux diktats de ces derniers. Après avoir écouté un Gérard Collomb qui évoquait la submersion des demandeurs d’asile, elle en a conclu qu’étant donc parfaitement au courant de la réalité de la situation ce dernier menait, avec le gouvernement, et notamment avec la loi asile et immigration en cours de discussion, une politique simplement criminelle. Répondant à une question, elle précisa que seule l’assimilation des individus, et non l’intégration des communautés, était envisageable, demandant par ailleurs la fin du « droit du sol ». Elle devait conclure sur l’échec de la politique d’Emmanuel Macron en termes de baisse de la fiscalité, du chômage ou de la dette publique, et ce alors même que la conjoncture internationale est favorable.

Semblant à l’aise, ayant visiblement dépassé l’épreuve de 2017 – elle citera Nelson Mandela : « je ne perds jamais, je gagne ou j’apprends » -, Marine Le Pen reste sur les fondamentaux de son parti, dont la défense de la souveraineté nationale, notamment face à l’Union européenne, et la lutte contre l’immigration.

 Au final, une émission qui n’aura pas découvert grand chose, si ce n’est que les rôles restent ceux distribués et qu’il n’y a pas de changement majeur dans les caps suivis par les principaux acteurs politiques. Ce qui est clair par contre, c’est que pour au moins trois d’entre eux la campagne des élections européennes de 2019 est clairement lancée : LaREM dans le rôle du soutien à l’Union européenne ; La France Insoumise et le FN dans celui des opposants souverainistes. Et que, sur ce point, LR et le PS, pris l’un comme l’autre entre l’arbre et l’écorce, sont pour l’instant bien discrets…


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