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L’Egypte ensanglantée : un signal qui montre que si une bataille a été gagnée en Syrie et en Irak, la guerre contre Daech est très loin d’être finie
©STRINGER / AFP

Terrorisme

Des hommes armés ont attaqué une mosquée en pleine prière du vendredi, dans le nord du Sinaï, faisant plus de 230 morts et 120 blessés.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Que sait-on sur les circonstances et causes de l'attentat qui a fait pour l'instant 235 morts dans la mosquée du petit village de Bir al-Abed dans le Nord du Sinaï, revendiqué dans l'Etat islamique ?

Alain Rodier :L’enquête apportera certainement de nouveaux éléments et surtout, une revendication (que je n’ai pas encore à ma disposition) permettrait d’identifier le mouvement qui est à l’origine de cette véritable boucherie qui, au soir du 24 novembre, a fait plus de 235 morts et une centaine de blessés. Etant donnée la faiblesse des infrastructures médicales régionales, ce bilan risque de s’alourdir dans les jours qui viennent.

D’après les premières informations reçues, quatre véhicules 4X4 ont débarqué une douzaine d'activistes qui s’en sont d’abord pris à la foule autour de la mosquée Al-Rawda de cette petite ville forte de quelques 2.000 âmes avant de pénétrer à l’intérieur du lieu de culte pour déclencher un engin explosif et tirer sur les fidèles assistant au prêche du vendredi. Cela veut dire que plus de 10% de la population de la ville a été massacrée ! C'est l'attentat le plus meurtrier qui a eu lieu depuis 2011 en Egypte, l'Airbus A 321 russe qui s'est écrasé le 31 octobre 2015 au départ de Charm el-Cheikh n'ayant fait "que" 224 victimes.

Le Nord-Sinaï est essentiellement le fief de la « wilayat Sinaï », une « province » de Daech établie en 2014 après l’allégeance du mouvement Ansar Beït al-Maqdis (ou Ansar Jerusalem). Pour mémoire, certains membres de cette organisation sont restés fidèles à Al-Qaida « canal historique » et ont créé leurs propres mouvements qui sont plutôt présents dans la région du Caire et dans le désert ouest du pays, frontalier avec la Libye. Ils y mènent régulièrement des attaques contre les forces de l'ordre tentant d'épargner les civils car ce n'est pas dans la "politique" d'Al-Qaida nal historique". Il y a bien le groupuscule Jund al-Islam (les soldats de l'Islam) qui est aussi présent au Sinaï mais il a officiellement condamné cett dernière opération.

Il est utile de rappeler que les salafistes-djihadistes ont une idéologie maximaliste de l’islam qui leur fait désigner comme ennemi numéro UN les musulmans qui n’y adhèrent pas (qui ne font pas allégeance à Abou Bakr al-Baghdadi alias le « calife Ibrahim). Pour eux, les soufis de l’ordre Khalwati qui fréquentaient la mosquée Al-Rawda - au même titre que les chiites - sont des « apostats », donc des traîtres à l’islam des origines qui doivent être exterminés.

Un deuxième motif a vraisemblablement poussé à ce massacre : le village de Bir al-Abed est habité essentiellement par des membres de la tribu bédouine Sarkawa qui a refusé d’apporter son soutien à la « wilayat Sinaï ». C’est donc un signe adressé aux autres tribus : soit vous êtes avec nous, soit vous êtes contre nous et vous en subirez toutes les conséquences.

Cela prouve une fois de plus que ce qui se passe avec Daech n’est pas une guerre des religions (musulmans contre les chrétiens et les juifs, ces deux dernières religions étant néanmoins aussi visées, particulièrement au Proche-Orient en général et en Egypte en particulier où plus d’une centaine de coptes ont été assassinés en moins d’un an) mais une guerre interne à l’islam : les salafistes-djihadistes contre tous les autres !

Le combat idéologique est en cours, mais il est loin d’être gagné. En Egypte, le maréchal Sissi a demandé à l’université Al-Azhar - qui est une référence en matière de doctrine de l’islam - de voir comment les textes sacrés pouvaient être revus pour damer le pion aux idéologues de Daech (qui sont très pointilleux sur les textes sacrés) et, en Arabie Saoudite qui abrite les deux lieux saints de la Mecque et de Médine, le jeune prince Mohamed ben Salmane a fait de même avec les Oulémas qui s’accrochent au wahhabisme qui reste la base idéologique du salafisme. Même le très rigoriste secrétaire général de la Ligue Islamique mondiale (wahhabite), le Saoudien Mohamed al-Issa en voyage en Europe  a déclaré que les musulmans doivent "s'adapter à la culture, à la législation du pays d'accueil [...] ou s'installer  ailleurs". A n'en pas douter, les choses commencent à bouger au niveau fondamental de l'idéologie politico-religieuse islamique exploitée par tous les extrèmistes mais cela sera extrêmement long car les mentalités évolouent toujours lentement. 

Qu'est-ce qui explique la multiplication des violences dans cette région du Nord-Sinaï depuis des années, à la frontière d'Israël et de la poche de Gaza, et sous autorité officielle d'une Egypte très hostile aux djihadistes ?

Le Nord-Sinaï est peuplé majoritairement de tribus bédouines qui, historiquement, sont hostiles au pouvoir du Caire. En effet, les Bédouins se considèrent comme des citoyens de seconde zone qui, par exemple, ne peuvent occuper de postes dans la fonction publique ou dans l’armée. De plus, en 40 ans, la région n’a connu aucun programme de développement !

La politique du « tout répressif » n’a pas arrangé les choses poussant une partie de la jeunesse désoeuvrée de la zone dans les bras de Daech dont les effectifs sont estimés par les autorités égyptiennes à 1.500 activistes, chiffre qui est sans doute sous-évalué et qui ne prend pas en compte les sympathisants qui apportent aide logistique et en renseignements.

Depuis son apparition en 2011, Ansar Beït al-Maqdis aurait aussi bénéficié d’un soutien depuis la bande de Gaza ce qui lui a donné une profondeur stratégique qui lui a permis de se structurer et d’obtenir de nombreux armements.

Comment le pouvoir égyptien compte-t-il se débarrasser de cette menace sur son territoire ? Faut-il s'attendre à une coopération avec Israël plus poussée ? 

Le Caire ne va pas faire dans la dentelle et prévoit déjà un ou deux ans de guerre pour « assainir » la situation dans la région. Le problème réside dans le fait que de nombreuses mesures ont déjà été prises et ont poussé une partie des populations à migrer vers les trois grandes localités de la région, Rafah, Cheikh Zuweid et el-Arich.

L’Etat hébreu apporte déjà son concours à la lutte contre Daech, en particulier en matière de renseignement. L’Arabie saoudite va certainement intensifier son aide matérielle auprès de l’armée égyptienne.

Cela dit, ce drame montre que si le « territoire » du califat en Syrie et en Irak a cessé d’exister, l’idéologie est toujours présente et ses adeptes décidés - plus que jamais - à en découdre partout où ils en ont l’opportunité. C’est un signal d’alerte extrêmement important qui montre que si une bataille a été gagnée (ce qui n’est pas tout à fait exact mais mériterait d’autres développements), la guerre est très loin d’être finie. Pour info: même si Daech communique moins, les menaces d'attentats continuent à proliférer sur le net.

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