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L’économie de marché pourrait être un contrepoison puissant aux dictatures ...
©ALEXANDR DEMYANCHUK / SPUTNIK / AFP

Atlantico Business

Les régimes autoritaires peuvent utiliser l’économie de marché, mais les dictatures finissent par la tuer parce qu’elles en ont peur. On a souvent cru que l’économie de marché pouvait faciliter l’arrivée d’une démocratie. Il faut relire Karl Marx

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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La guerre en Ukraine est sans doute en train de prouver au monde entier que les dictatures ne peuvent pas durablement supporter l’économie de marché. Les régimes autoritaires, étatiques, qui limitent les libertés individuelles, finissent par empêcher l’exercice même de la liberté d’entreprise. Parce que les libéraux ne peuvent plus travailler avec des dictatures. C’est insupportable par le marché. 

Pendant très longtemps, les pays occidentaux ont cru que le capitalisme ; l’économie de marché et la liberté d’entreprise auraient ce pouvoir magique de convertir les peuples à la démocratie politique. 

Après la chute de Berlin, le système d’économie de marché, parce qu’il était particulièrement efficace pour créer de la richesse, s’est développé un peu partout sur la planète. Cette économie de marché, la concurrence et le capitalisme qui avaient été combattus si longtemps par les régimes communistes ont a priori remporté l’adhésion du monde entier, à l’exception peut-être de la Corée du Nord et de Cuba où tout est absolument étatisé. 

Les libéraux, porteurs de cette idéologie, pensaient même qu’avec cette liberté d’entreprendre et l’accumulation des richesses qu‘elle permettait, on allait faire progresser le respect des autres libertés individuelles, et notamment les libertés démocratiques.

Ils se sont trompés.

L’effondrement du régime soviétique a ouvert une période transitoire où beaucoup ont cru que le pays allait adopter une organisation politique libérale

Au niveau économique, on a décentralisé les activités en les confiant à des managers, ex cadres de l’ancien régime qui sont devenus les oligarques, on a attiré les investisseurs étrangers pour accélérer le développement mais la majorité du peuple n’a guère profité du régime. Ce peuple n’a guère bénéficié des richesses créées mais a perdu, en sécurité sociale notamment.  L’éducation, la santé, le confort, le logement et tous les fruits du progrès et de la consommation ont surtout profité à une élite résidant dans les grandes villes comme Moscou ou St Pétersbourg. Vladimir Poutine n’a pas réussi à initier un développement économique accessible au plus grand nombre. En revanche, il a apporté au peuple une certaine fierté d’appartenir à un empire retrouvé, et c’est la raison pour laquelle le peuple continue de le soutenir. 

Cela dit, la guerre en Ukraine montre bien à quel point il n’a pas su gérer les différentes composantes communautaires en refusant l’expression politique et la liberté individuelle allant avec. 

Plus grave encore, Moscou s’est exclu des grands marchés internationaux en ne respectant ni les règles commerciales, ni les codes. D’où la fuite des investisseurs étrangers paralysés et la fuite des élites vers l’occident. 

Cette situation est d’autant plus sérieuse que la Russie est devenue essentiellement une économie rentière qui ne vit, ou presque, que de la vente des énergies fossiles, de produits agricoles et des matières premières. Le modèle n’est pas très éloigné de celui de l’Arabie saoudite. L’argent vient de l’exportation, il n’est pas redistribué à l’intérieur, il sert essentiellement à financer les dépenses militaires, parce que le régime a besoin de protéger son autorité pour durer. 

La boucle est bouclée, le régime autoritaire russe n’a pas réussi à immerger son peuple dans l‘économie de marché, le régime se bunkerise, il s’enferme, il n’attire plus ni l’innovation, ni les capitaux ; ni les entrepreneurs. Donc le régime va s’asphyxier sous la pénurie et l’inflation. L’inflation est la pire ennemie des dictatures. 

L’exemple de la Chine est différent mais spectaculaire. La Chine, il y a trente ans, s’est convertie à l’économie de marché. Au lendemain des évènement étudiants de Tien ‘an men le régime communiste a autorisé la liberté du commerce, l'entreprise et la concurrence. A ce moment-là, le régime a officiellement levé l’interdiction de gagner de l’argent à titre individuel. Faute de libérer le droit d’expression, de penser et surtout de voter. Le régime a officiellement autorisé le peuple à s’enrichir. Et on a vu dans les villes l’émergence d’une bourgeoisie de plus en plus aisée se convertir à la consommation et surtout, aux codes de la consommation occidentale. 

Les occidentaux ont d’ailleurs encouragé cette mutation en ouvrant les portes de l’OMC, l’organisation mondiale du commerce avec deux ambitions, la première est que la Chine adopte et respecte les règles du commerce international avec, notamment, le respect des contrats et la deuxième ambition étant d’espérer des progrès dans le respect des droits de l’Homme. Plus de 20 ans après l’arrivée de la Chine dans le marché capitaliste international, aucune de ces ambitions n’a été atteinte. Les Chinois ont beaucoup attiré les investisseurs internationaux, ils ont beaucoup pillé et copié les innovations technologiques et industrielles et ils ont fait très peu de progrès sur le terrain des droits de l’Homme. 

Il faut reconnaître aussi que l’Occident ne s’est guère montré très exigeant pour savoir ce qui se passait dans les usines de Chine, à partir du moment où ce qu’il en sortait n’était pas cher. Les dirigeants chinois ont très vite compris que l’économie de marché, pour eux, leur servait à donner à manger aux milliards d’hommes et de femmes qui n’avaient même pas un bol de riz pour se nourrir. La Chine est donc devenue l’usine du monde occidental. Le monde occidental a laissé faire et s’est acheté du pouvoir d’achat. 

Ceci étant, au fur et à mesure que les populations chinoises sont descendues des montagnes ou ont quitté les campagnes pour s’agglutiner dans des villes tentaculaires où elles travaillaient 12 heures par jour, le régime a été obligé de se durcir pour garder la maitrise de l’organisation. Du travail oui, de la bouffe ... mais de l’éducation et du confort avec modération. 

La transformation chinoise est très lente. Sauf que parfois, des crises comme celle de la covid, arrivée de nulle part (!!!), révèle les faiblesses du régime et son incapacité à gérer les dysfonctionnements.
Le résultat, c’est que le régime se renferme sur lui-même, se bunkerise, se militarise avec une population massive qu’il fait travailler comme d’autres dictatures exploitent leur puits de pétrole parce que pour Pékin, cette main d’œuvre pas chère représente sa grande et seule vraie richesse

Alors, l’adhésion à l’OMC a ouvert le droit de faire commerce, de monter une entreprise et de s’enrichir mais cet enrichissement profite à une minorité (ce qui en Chine, représente déjà beaucoup de monde) aspirant à vivre selon les codes occidentaux avec un confort occidental. Comme en Russie, l’élite voyage, envoie ses enfants dans les écoles américaines ou européennes, cette élite en Russie comme en Chine ne se préoccupe guère du non-respect des droits de l’Homme ou des libertés individuelles. Les Chinois très riches sont comme les oligarques russes. S’ils sont très malins, ils ont organisé leur vie et leur famille dans les capitales mondiales où on peut jouir de toutes les libertés et de toutes les consommations à Dubaï, à Londres, à Paris ou à New York. 

Mais leur avenir est compromis, parce que, qu’on le veuille ou non, les opinions publiques occidentales ne pourront indéfiniment accepter de travailler avec des pays où les dirigeants peuvent, pour se protéger, déclarer la guerre ou ne pas respecter les codes et les contrats internationaux. 

Si la guerre en Ukraine, comme la crise du Covid, vont changer l’architecture de la mondialisation, ces changements provoqueront la résurgence d’un monde coupé en deux et on le voit déjà aux Nations unies. 

D’un côté, un monde occidental qui respecte en gros les principes démocratiques et de liberté individuelle avec des États aux fonctions régaliennes de contrôle très définies, des élections libres et une règlementation des échanges qui respectent les réciprocités. Une presse libre. C’est évidemment le monde dans lequel nous avons la chance de vivre en dépit de ses dysfonctionnements. 

De l’autre côté, un monde dominé par des préoccupations d’ordre collectif, donc de règles et d’administrations très autoritaires. Où les gouvernants sont principalement préoccupés de sécurité collective. L’organisation est dont très sclérosante, favorise l’assistanat et ne priorise pas la satisfaction des intérêts et des besoins individuels.  L’individu a moins de prix que le collectif. Pas de liberté, ni de penser, ni de parler, ni de publier. 

Ces deux mondes sont incompatibles. Ils ne peuvent que s’ignorer ou s’affronter. Karl Marx avait prévu cette évolution en soulignant que les régimes capitalistes et les systèmes d’économie de marché avaient un avantage, celui de pouvoir s’adapter et se nourrir de ses propres contre-pouvoirs

Quoi qu’en ait dit plus tard les marxistes, leur maitre à penser avait beaucoup de réserves sur les régimes autoritaires qu’il estimait condamnés par les effets du progrès technique et de la conjugaison des intérêts individuels. Phénomène que Lénine refusait de prendre en compte. Aux vertus de la croissance et du progrès économiques, Lénine préférait celle de la violence.

Il faut relire Karl Marx. 

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