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L’autre prétendant au leadership de l’Europe : comment Viktor Orban gagne du terrain face à Emmanuel Macron au sein de l’Union
©Attila KISBENEDEK / AFP

Réalités déplaisantes

Le Premier ministre hongrois part favori pour remporter dimanche un troisième scrutin législatif d'affilée. Si les médias présentent régulièrement Emmanuel Macron comme "le nouveau visage de l’Europe", il est difficile de nier l'influence et la fascination exercée par Viktor Orban dans une certaine partie du continent.

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Alors qu'Emmanuel Macron est régulièrement présenté comme le nouveau visage de l'Europe, et son nouvel homme fort, cette perspective n'a-t-elle pas le défaut de voiler ce qui pourrait apparaître comme l'émergence d'un autre homme fort, Victor Orban, dont la longévité au pouvoir n'est dépassée, sur le continent, que par Angela Merkel ? 

Edouard Husson : Il est indéniable qu’Emmanuel Macron est apprécié dans une partie de l’opinion publique internationale - en particulier par une partie de l’Europe. Mais il s’agit de la partie la plus aisée de nos sociétés. Le président français est le dernier représentant en Europe, comme Justin Trudeau en Amérique du Nord, de ce qu’on appelle, depuis les années 1980, le néo-libéralisme. Avant d’être économique, ce néo-libéralisme a été culturel et moral.: la libération des moeurs et le multiculturalisme sont inséparables de la financiarisation de l’économie et du libre-échangisme généralisé. Avec Macron ou Trudeau, il s’agit, en quelque sorte, du chant du cygne de cette époque libérale qui a commencé dans les années 1960 et qui aura duré un demi-siècle. Cette ère néo-libérale a fait des perdants, comme tous les systèmes historiques devenus dominants, elle aura broyé bien des vies, précarisé de nombreux individus qu’elle voulait - ou prétendait - émanciper. En Europe, le libéralisme reflue. Dans l’ouest du continent, il n’y a pas eu encore de personnalité politique capable d’incarner un élément d’alternative.

En Europe centrale, au contraire, on voit émerger un nouveau conservatisme: Autriche, Tchéquie, Pologne, Hongrie sont de plus en plus rétifs au néolibéralisme, qui se traduit dans les injonctions convergentes de Berlin, Bruxelles et Paris. C’est en particulier l’ancienne Europe centrale sous domination soviétique qui exprime un fort rejet. Dans cette zone, Orban est sans aucun doute, actuellement, la personnalité la plus affirmée, le gouvernant le plus charismatique. I faut bien comprendre que la Hongrie, la Pologne ou la Tchéquie ont réussi à survivre aux empires qui les opprimaient  grâce à une conscience nationale aiguisée. Quand on a subi le nazisme puis le soviétisme, il est peu probable que l’on se laisse impressionner par le totalitarisme mou venu de l’ouest du continent. Le parcours d’Orban résume très bien ce qui s’est passé: lors de son premier mandat de Premier ministre, à la fin des années 1990, il est assez libéral mais ne réussit pas à se faire réélire. Il revient au pouvoir en 2010 après avoir effectué un tournant conservateur.

Cyrille Bret : La figure de Viktor Orban est d'autant plus marquante qu'elle est clivante, non seulement au sein des institutions européennes qu'en Europe centrale et orientale et à l'intérieur même de son pays. La longévité compte. Mais elle ne suffit pas : la capacité à déférer dépend de l'autorité acquise dans les crises. Or, tel n'est pas le cas pour le Premier ministre hongrois à l'heure actuelle. Premier ministre de 1998 à 2002 et de 2010 à nos jours, le leader du parti Fidezs a effectivement une longévité au pouvoir conséquente. Il peut également se targuer à juste titre d'une majorité écrasante à l'Assemblée nationale de deux tiers avec son allié démocrate-chrétien du KDNP. Son candidat à l'élection présidentielle a également largement remporté l'élection en 2017. Toutefois, au sein du groupe de Visegrad, Orban ne parvient pas à s'imposer comme un leader en raison d'une part des désaccords avec la Pologne sur les relations à entretenir avec la Russie et, d'autre part, en raison de l'atonie de l'économie hongroise. La comparaison avec la chancelière Merkel est cruelle pour le Premier ministre hongrois : même si Angela Merkel est contestée notamment dans le sud de l'Europe, elle a acquis une autorité morale durant plusieurs crises : sa fermeté face à la Russie lors de l'annexion de l'Ukraine, sa volonté réelle d'accueil des migrants durant la crise migratoire, sa combativité lors de la campagne électorale, etc. tout cela lui a valu une estime par-delà les frontières de son parti CDU-CSU et les frontières de son pays. On serait en peine de trouver ces phénomènes pour le Premier ministre hongrois : il reste un chef partisan et non un leader continental.

"L'homme le plus important sur la scène européenne" pour l'ancien conseiller de Donald Trump, Steve Bannon, une politique migratoire prise comme exemple par le nouveau pouvoir autrichien... comment mesurer l'influence de Viktor Orban en Europe ? ​

Cyrille Bret : L'influence se mesure à la capacité à rallier à soi non seulement ses alliés mais également certains de ses adversaires et à proposer des projets fédérateurs. Assurément, Orban fascine en Europe centrale les parties de l'électorat méfiantes à l'égard des migrations de population musulmanes et réticentes à octroyer des compétences fédérales aux institutions européennes. Il ne sert de rien de minimiser son effet d'entraînement et son charisme. Mais il hérisse ses opposants autant qu'il galvanise ses partisans. Son attitude de soutien à la coalition ÖVP- FPÖ dans l'Autriche voisine a étendu ce clivage.

Edouard Husson : Pourquoi citer seulement Steve Bannon? Pourquoi serait-il le seul à voir ce qui se joue actuellement au centre de l’Europe? C’est trop facile de qualifier de populisme, comme le font beaucoup de commentateurs,  le conservatisme qui est en train de s’installer en Europe centrale; c’est abusif de qualifier d’autoritaires ou semi-autoritaires des gouvernements sous prétexte qu’ils ne partagent pas le credo hyper individualiste de l’Europe occidentale. Orban est beaucoup plus proche du Général de Gaulle que de l’Amiral Horthy auquel on veut toujours le comparer! L’Europe centrale actuelle, modelée dans la lutte contre le communisme, croit qu’il n’y a pas de démocratie hors du cadre national. Beaucoup de nos dirigeants, qui ont voulu récupérer l’héritage du gaullisme contre toute exactitude historique, seraient étonnés s’ils prenaient le temps de découvrir ce que pensait et faisait vraiment le fondateur de la Vè République. En matière d’immigration, il était partisan d’un contrôle et d’un contingentement très strict des entrées.  De Gaulle aurait considéré que la politique d’Angela Merkel d’ouverture maximale des frontières était inacceptable. Et la fameuse formule prononcée devant Alain Peyrefitte pour justifier l’indépendance de l’Algérie - “Je ne veux pas que Colombey-les-deux-églises s’appelle un jour Colombey-les-deux-mosquées” serait aujourd’hui taxée d’islamophobe en Europe occidentale. Les soixante-huitards trouvaient de Gaulle ringard du fait même de son patriotisme de la même manière que l’Europe de l’Ouest aujourd’hui s’offusque de la droitisation que connaît la Pologne, du tournant russophile de la Tchéquie ou de la mobilisation anti-immigration d’Orban.  Il existe aujourd’hui une Europe centrale néo-gaulliste qui entend peser dans les grands choix du continent et qui s’éloigne de plus en plus de l’esprit qui règne à Paris, Bruxelles ou Berlin. L’Europe est divisée politiquement.

​Comment analyser ces deux faces d'une Union qui n'a jamais semblé aussi clivée ? Comment mesurer les rapports de force actuels et en devenir, et comment anticiper un avenir européen reposant sur deux jambes aussi opposées ? ​

Edouard Husson : L’Union Européenne est divisée en trois parties. Le nord de l’UE adhère largement à l’hyper individualisme libéral. Le sud est ravagé, économiquement et socialement, par la politique monétaire voulue par le nord. Quant à l’est, il s’en tire à peu près économiquement mais il rejette le libéralisme culturel et politique. Le nord de l’UE a réussi jusqu’à maintenant à empêcher la jonction de tous les mécontentements, en particulier parce que la France, qui aurait toutes les raisons de se sentir solidaire de l’Europe méditerranéenne en matière économique et sociale, fait, depuis des années, le choix politique de coller au  nord de l’UE; et parce que les dirigeants de notre pays ont depuis longtemps déserté le gaullisme qui les ferait entrer en phase avec l’Europe centrale. Quels que soient les choix faits par la France dans les deux à trois ans, on peut cependant parier sur une perte d’influence  de la partie “néo-libérale” de l’Union Européenne: La Grande-Bretagne sortie de l’Union d’un côté, la Russie de l’autre, où Poutine vient d’être réélu pour six ans, vont peser en direction d’un nouveau conservatisme européen. Tant qu’on prétendra que ce qui n’est pas du néo-libéralisme marche contre la démocratie, on maintiendra les divisions du continent. En revanche, si l’on redécouvre le caractère fécond pour la démocratie de son enracinement national, l’Europe pourra surmonter ses divisions.

Cyrille Bret : L'Union d'abord : son histoire n'a jamais connu d'âge d'or sans tensions internes à l'Europe : les Pères fondateurs se sont heurtés à bien des obstacles pour lancer la CECA et conclure le Traité de Rome. La Communauté européenne de défense a été rejetée notamment par les Français réticents à réarmer l'Allemagne dès les années 1950. L'Acte unique et la constitution du marché commun s'est faite difficilement sous la houlette de Jaques Delors malgré des résistances françaises, britanniques, etc. Quant au Grand Elargissement de 2004, il a été réalisé en vainquant les réticences à l'Ouest et à l'Est. L'Union est le fruit de compromis et de coopérations difficiles. Rien de neuf à cela.

Concernant le clivage entre le couple franco-allemand d'un côté et les pays du groupe de Visegrad depuis 4 ans : elles sont importantes car elles mettent en jeu la coordination entre des souverainetés nationales récemment recouvrées et la nécessaire intégration de l'Union. Ces tensions doivent être prises non comme les signes de l'échec de l'Union mais comme des symptômes d'une intégration à parfaire et comme des aiguillons pour tourner ses regards vers l'orient de l'Europe. Une grande partie du destin du continent se joue à l'est.

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