L’assurance vie, mauvaise pour le climat ? Une propagande sans fondement économique NI scientifique <!-- --> | Atlantico.fr
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Un technicien travaille à l'usine de gaz des Shetland lors de son inauguration.
Un technicien travaille à l'usine de gaz des Shetland lors de son inauguration.
©ANDY BUCHANAN / AFP

Investissements verts

L'assurance-vie contribuerait à alimenter le dérèglement climatique par le biais des entreprises qu'elle finance, selon un rapport de l'ONG Reclaim Finance.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Samuel Furfari

Samuel Furfari

Samuel Furfari est professeur en géopolitique de l’énergie depuis 20 ans, docteur en Sciences appliquées (ULB), ingénieur polytechnicien (ULB). Il a été durant trente-six ans haut fonctionnaire à la Direction générale de l'énergie de la Commission européenne. Auteur de 18 livres.

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Atlantico : L'assurance vie « contribue à alimenter le dérèglement climatique », selon un rapport de l'ONG Reclaim Finance. En étudiant les pratiques d'investissement et d'engagement de 27 assureurs-vie français, avec le soutien de Rift, une application qui diagnostique l'impact de l'épargne, Reclaim Finance estime que « leurs engagements climatiques pour lutter contre l'expansion fossile sont loin d'être suffisants ». En quoi les affirmations de l'ONG contre les grandes entreprises relèvent de la propagande sans fondement scientifique ?

Samuel Furfari : Nous vivons dans un monde où ce sont les ONG qui proclament la vérité, mais elles sont toujours loin d’être scientifiques (ce qui n’est pas leur rôle) et loin de l’équilibre nécessaire dans ce genre de dossier. Les entreprises ont besoin d’attirer des investisseurs pour assurer leur survie à long terme. Les compagnies d’assurance-vie ont également besoin d’investir sagement afin d’assurer leur pérennité. Tant que nous resterons dans une économie de marché, c’est ainsi que les choses fonctionnent, quoi qu’en disent les ONG. Il est du devoir de toutes les grandes compagnies d’assurance d’avoir des fonds et des investissements qui rapportent. Elles ne doivent donc pas s’intéresser principalement aux énergies renouvelables, ce n’est pas leur rôle. Les fonds d’investissement qui veulent assurer leur avenir et ne pas se laisser distancer par la concurrence doivent gagner de l’argent. Or, l’extraordinaire développement du pétrole et surtout du gaz dans le monde est une source sûre de revenus à moyen et long terme. Cela attire les investisseurs. Les assureurs qui ont besoin de s’assurer des revenus font de même. Un assureur doit donc investir dans des industries et des entreprises qui rapportent de l’argent, et généralement pas dans celles qui plaisent aux écologistes. Les ONG qui refusent de voir ce qui se passe dans le monde et refusent de voir la croissance extraordinaire des investissements dans les combustibles fossiles utilisent une propagande qui n’a aucune base scientifique.

Peut-on vraiment dire aujourd'hui, que l'assurance vie est mauvaise pour le climat ou est-ce que cela relève de la propagande sans fondement économique ou scientifique ?

Philippe Crevel : Premièrement, rappelons ce qu'est l'assurance vie. C'est une enveloppe d'assurance qui contient différents types de supports : le fonds en euros et les unités de compte. L'assuré peut choisir sa compagnie d'assurance et son contrat, avec des rapports annuels précisant les modalités d'investissement. Il n'y a pas de tromperie sur la marchandise. 

Deuxièmement, l'assurance vie est le premier placement en France, avec près de 2 000 milliards d'euros. Cela attire naturellement les critiques de l'ONG, car c'est un placement très visible et qui attire. 

Il est vrai que dans les contrats d'assurance vie, on trouve des supports carbonés ou des parts d'entreprises liées aux carburants. Ces entreprises ne sont pas interdites d'exercer, et chacun est libre d'investir ou non. Par ailleurs, les compagnies d'assurance vie se sont engagées à réduire progressivement leurs investissements dans ces entreprises, avec des objectifs précis de sortie d'ici 2027.  

Pourquoi pas immédiatement ? L'assurance vie est comme un tanker, ça ne se manoeuvre pas telle une barque. Nous ne pouvons pas sortir rapidement de secteurs clés comme l'énergie ou la pétrochimie sans risquer l'argent des épargnants. L'objectif est de garantir l'épargne tout en protégeant la planète, avec des plans sur plusieurs années pour transformer les fonds euros en fonds verts. Les compagnies françaises d'assurance vie ont déjà commencé cette transition de manière significative. 

Les grandes entreprises, comme TotalEnergies, augmentent leurs investissements dans la transition énergétique. En quoi les activités des grandes entreprises ne sont plus forcément aussi néfastes pour la planète grâce notamment aux nombreux investissements ou aux financements via l’épargne ?

Samuel Furfari : Le gaz est l’avenir de l’énergie et l’énergie nucléaire est celui de l’électricité. TotalEnergies était une compagnie pétrolière, et elle a vu avant tout le monde les avantages de travailler avec le gaz.

La moitié de l’énergie finale que nous utilisons est de l’énergie thermique, produite par des flammes et des températures élevées. Les éoliennes et les panneaux solaires ne suffisent pas à produire cette chaleur. Pour cela, il faut du gaz naturel. Il est indispensable au développement industriel à l’échelle mondiale. TotalEnergies l’a compris avant tout le monde. Mais TotalEnergies et certains grands énergéticiens ont aussi compris que le marché de l’électricité a brisé les monopoles sur le marché de l’électricité.

L’Union européenne a dissocié les compagnies d’électricité. Certaines produisent de l’électricité, d’autres la transportent et d’autres encore la distribuent au consommateur final. Cela a permis aux grandes entreprises énergétiques d’investir dans la production d’électricité parce qu’elles espèrent gagner de l’argent, même si ce n’est pas leur métier d’origine. Il n’est donc pas surprenant que TotalEnergies investisse dans la production d’électricité. C’est pourquoi le nom de Total a été changé en TotalEnergies.

Les énergies renouvelables n’étant pas rentables (sinon il n’y aurait pas besoin d’imposer leur production au sein de l’UE), TotalEnergies investit dans l’éolien et le solaire. Mais surtout, elle va produire de l’électricité à partir du gaz.

Est-ce qu'on peut dire que l'argumentaire est intellectuellement malhonnête, et que la situation est quelque peu exagérée, reflétant en quelque sorte un rejet général de l'épargne ?

Philippe Crevel : C'est une vision réductrice de l'épargne et de la transition écologique. Nous ne pouvons pas tout simplifier en noir et blanc, car il faut prendre en compte les réalités financières et économiques. Par exemple, des entreprises comme TotalEnergies font d'importants investissements pour favoriser la transition écologique. 

Néanmoins, il a été décidé que l'assurance sortirait des secteurs d’hydrocarbure. Si tout le monde vendait en même temps, cela provoquerait des faillites et des pertes d'emplois massives, sans résoudre le problème de la transition écologique. Cela montre que ces initiatives ne tiennent pas compte des réalités économiques. 

De plus, depuis la loi Pacte, renforcée par la loi Industrie verte, les assureurs sont obligés de proposer à leurs assurés des fonds ISR, qu’ils soient solidaires ou greenfin. Il y a une obligation aujourd'hui des assureurs de présenter pour les UC des fonds qui sont labellisés « vert ».

Cette obligation accroît l'implication des assureurs dans la transition écologique.  

À cet égard, peut-on dire que l'épargne, et l'assurance vie en particulier, sont des outils puissants pour contribuer à la transition écologique ?

Philippe Crevel : L'assurance vie, en tant que placement de moyen et long terme, est cruciale car nous avons besoin de capitaux importants pour la réalisation de cette transition écologique. Il est estimé qu'il faut 3 à 4 points de PIB chaque année en France pour y parvenir. C'est grâce à l'épargne que cela sera possible. Et ce n'est pas justement en cassant l'épargne et en démoralisant les épargnants, que nous parviendrons à financer la transition écologique. 

Il est essentiel de mieux orienter l'épargne, comme le demandent Emmanuel Macron et Bruno Le Maire, vers des placements de long terme comme l'assurance vie. Cela permettra aux entreprises de disposer des ressources nécessaires pour décarboner leurs activités. Il ne s'agit pas de décourager les épargnants ou de critiquer l'assurance vie, mais d'accompagner une transformation progressive. L'assurance vie est indéniablement un support important pour financer la transition écologique. 

Cet argumentaire vous surprend-il ? N'est-ce pas, au fond, ressasser les vieux arguments habituels de ceux qui ne supportent pas l'épargne ?

Philippe Crevel : Je ne suis pas forcément étonné des positions de certaines ONG qui diabolisent les banques et les assureurs qui seraient des affreux capitalistes étant responsables de tous les maux de la société. Pourtant, il faut de l'argent pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, pour investir dans l'éolien, dans le solaire, dans le nucléaire, etc. Cet argent ne tombe pas du ciel, il est le fruit du travail passé ainsi que de l'accumulation passée, et il faut également le transformer. 

Les banques et les assureurs jouent un rôle crucial d'intermédiation, particulièrement aujourd'hui avec l'augmentation très forte des besoins en investissement. Critiquer ces acteurs peut sembler satisfaisant à court terme, mais c'est simpliste et contre-productif à long terme. Il est important de pousser vers plus d'investissements dans les énergies renouvelables et les nouvelles technologies, plutôt que de condamner l'assurance vie ou les acteurs du secteur pour leurs investissements actuels dans les hydrocarbures.

En quoi le fait de limiter les activités et les projets de financement des grandes entreprises, comme le souhaiteraient les ONG, serait au final plus contre-productif dans le cadre de la transition énergétique ou écologique ?

Samuel Furfari : Il y a quelques années, les politiques d’investissement «Environnement-Social-Gouvernance» (ESG) faisaient fureur aux États-Unis. Les ONG pensaient pouvoir enfin dominer le monde de la finance. Mais la vague a pris fin et nous assistons à un retour de bâton. BlackRock, qui avait adopté cette politique, a déclaré l’année dernière qu’elle avait rejeté la plupart des propositions ESG parce qu’elles étaient «trop ambitieuses, sans mérite économique» et «peu susceptibles de contribuer à promouvoir la valeur actionnariale à long terme». Toute organisation financière, y compris les assureurs-vie, à laquelle nous confions notre argent doit le faire fructifier, et non pas satisfaire les défenseurs du climat. À chacun son métier.

Les institutions financières françaises qui sont tombées dans le piège des ONG n’ont pas encore compris que les institutions financières américaines rejettent l’ESG. Mais elles ne résisteront pas longtemps dans leur déni de la réalité mondiale. Quand elles verront qu’elles ne sont pas assez rentables par rapport à leurs concurrents qui financent des projets d’énergie fossile, elles feront comme BlackRock et cesseront de faire de la politique.

Et puisqu’il n’y aura pas de transition énergétique, les activistes feraient bien de cesser de harceler, notamment, TotalEnergies avant que l’entreprise ne soit complètement dégoûtée et ne parte aux États-Unis, où on la laissera en paix.

Le problème, c’est que les ONG — et les politiques qui les craignent — ne veulent pas comprendre qu’il n’y a pas eu d’innovation technologique pour permettre cette transition. C’est une notion qui est sur toutes les lèvres, mais en réalité elle est vide de sens. Pour qu’il y ait une transition, il faut qu’il y ait une innovation substantielle. L’innovation des éoliennes et des panneaux solaires date d’une quarantaine d’années. Augmenter le nombre d’éoliennes et de panneaux solaires n’est en rien une rupture technologique.

La transition énergétique pourrait être accélérée s’il était possible, par exemple, de créer la photosynthèse catalytique artificielle ou de développer des réacteurs nucléaires de quatrième génération. Il s’agirait là de véritables ruptures technologiques. Je conseille d’ailleurs à TotalEnergies de se consacrer au nucléaire du futur plutôt que de perdre son temps et ses revenus dans des technologies du passé, notamment l’hydrogène (voir mon livre L’utopie hydrogène).

Parler de transition énergétique sans rupture technologique, c’est faire des annonces politiques. Ce ne sont pas des annonces scientifiques.

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