L’Asie centrale, opportunité pour la France<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président français Emmanuel Macron salue le président kazakh Kassym-Jomart Tokaïev à l'Elysée à Paris le 29 novembre 2022.
Le président français Emmanuel Macron salue le président kazakh Kassym-Jomart Tokaïev à l'Elysée à Paris le 29 novembre 2022.
©Emmanuel DUNAND / AFP

Diplomatie

Prenant ses distances avec Moscou, le Kazakhstan opère un réalignement géopolitique avec l’Union européenne, manifesté par la visite récente du président Tokaïev à Paris. Au moment où la France est malmenée en Afrique, de nouvelles opportunités s’ouvrent en Asie centrale.

Eugène Berg

Eugène Berg

Eugène Berg est un ancien ambassadeur. 

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Réélu le 20 novembre avec 81.3% des voix (et une participation de 69.44%), Kassym Jomart Tokaïev souhaite faire entrer le Kazakhstan dans une ère nouvelle. Ce vote, initialement prévu pour décembre 2024, a été avancé en raison d’un contexte compliqué : après les émeutes de janvier 2022 et la décision d’Astana de ne pas soutenir l’invasion de l’Ukraine par la Russie, il fallait à Tokaïev, élu pour la première fois en 2019, confirmer rapidement sa légitimité.

Les observateurs internationaux de l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) ont certes regretté « l'absence de véritable concurrence », mais ce scrutin se démarque des scores que décrochait Noursoultan Nazarbaïev (93% à 95%), cinq fois élu. Le président candidat avait fait campagne en portant son projet visant à créer un « Nouveau Kazakhstan », plus juste et moins inégalitaire. Un train de réformes a d’ores et déjà été mis en place, dont plusieurs ont été approuvées par référendum en juin dernier : les prérogatives présidentielles ont été réduites, le nombre de mandats du chef de l’Etat limité à deux – puis finalement un seul en septembre dernier, mettant fin au règne sans fin d’un président éternellement réélu – le parlement s’est vu attribuer plus de pouvoir et les proches du président se sont vu interdire d’accéder à toute fonction officielle. Dès les premiers mois de son mandat, Tokaïev avait revalorisé les salaires des enseignants, des travailleurs sociaux et des médecins et, un an plus tard, avait proposé une augmentation du salaire minimum.

Se tourner vers l’Europe

Le fait que Kassym Jomart Tokaïev se soit rendu à Paris les 29 et 30 novembre, après un bref séjour à Moscou, constitue un signe fort. D’autant que ce déplacement fait suite à la visite de plusieurs dirigeants européens au Kazakhstan ces derniers mois : après le Président du conseil européen Charles Michel en octobre, le haut représentant de l'UE pour les Affaires étrangères Josep Borrel s’est rendu à Astana à la mi-novembre.

Les relations entre le Kazakhstan et l’Europe – en particulier la France, comme en atteste la feuille de Route de la coopération économique franco-kazakhe à horizon 2030, signée en mai 2021 – sont au beau fixe. L'UE est le plus grand investisseur dans l'économie du Kazakhstan avec un investissement total de 160 milliards de dollars depuis 2005. De son côté, le Kazakhstan est le principal partenaire commercial de l'UE en Asie centrale avec un courant d’échanges bilatéral d'un montant de 24 milliards de dollars. Le Kazakhstan, comme preuve de bonne volonté à l’égard de l’Europe, a aboli la peine de mort en 2019 et a créé un poste pour veiller au respect des droits de l’homme.

Dans le même temps, ce pays qui a souvent été responsable de violations caractérisées des Droits de l’homme – le Parlement européen a adopté une résolution dénonçant la détresse des minorités ethniques, des femmes et de la communauté LGBT, mais également les actes de répression vis-à-vis des groupes de la société civile en Février 2021 – a proposé une amnistie exceptionnelle pour les participants aux émeutes, approuvée par le Sénat le 27 octobre dernier.

Méfiance à l’égard de Moscou

Le déplacement de Kassym-Jomart Tokaïev à Paris s’effectue dans un contexte géopolitique délicat. Le sommet du G20 de Bali s’est soldé par une condamnation quasi unanime de la guerre en Ukraine. Astana, qui a été l’un des partenaires les plus proches de la Russie, n’avait pas reconnu l’annexion de la Crimée par la Russie en mars 2014 et a adopté une position « neutre » dans le conflit actuel en refusant d’admettre l’annexion de nouveaux territoires par la Russie. Il s’agissait de montrer qu’elle n’entrerait dans aucune alliance contre l'Ukraine.

Astana a même envoyé à plusieurs reprises de l'aide humanitaire dans ce pays et a ouvert sa frontière aux Russes qui fuyaient la conscription. Depuis le 24 février, 200 000 Russes sont ainsi arrivés au pays des steppes où les autorités leur ont fait bon accueil. Autant de signes d’une diplomatie « multi-vecteur » qui vise à sortir de l'influence dominante de Moscou. Il est difficile pour le pays d’Asie centrale de s’en émanciper complètement, car 80% du pétrole (40% des recettes budgétaires du pays) sont exportés en direction du port russe de Novossibirsk par l’oléoduc CPC (Caspian Pipeline Consortium), bien que ce terminal soit sous sanctions européennes. Le Kazakhstan entend néanmoins se libérer peu à peu de sa dépendance à l’égard de Moscou, tendance enclenchée dès 2019 avec le départ du très autoritaire Noursoultan Nazarbaïev, encore renforcée avec l’invasion de l’Ukraine.

Réformes politiques

Kassym-Jomart Tokaïev souhaite avant tout corriger les abus du système Nazarbaïev, en s’en prenant notamment aux 162 oligarques qui tiennent dans leurs mains 55% de la richesse du pays, en large partie détournée vers l’étranger. Le 11 janvier 2022, Tokaïev, dans un discours au parlement, déclarait ainsi : « Grâce à Nazarbaïev, un ensemble d'entreprises très rentables a vu le jour dans le pays, et un groupe de personnes extrêmement riches, même selon les normes internationales, s’est constitué. Je pense qu'il est temps qu'elles paient leur dû au peuple du Kazakhstan et l'aident de manière systémique et régulière ». Mettant fin à « un système financier dominé par de grands groupes d'affaires, basés sur le principe « tout pour les amis, et des lois pour tous les autres » ».

Cette convergence autour de valeurs politiques chères à l’Europe ne fait que renforcer la coopération économique avec le Vieux continent, tout en accentuant la prise de distance avec le Kremlin. L’histoire d’une colonisation entamée à l’époque tsariste, marquée par la famine provoquée au début des années 1930 par Staline - comme en Ukraine -, l’extermination du nomadisme, les camps de détention et la déportation des peuples d’URSS, n’a pas été totalement effacée, ce qui rapproche la mémoire kazakhe de la mémoire ukrainienne.  

Le peuple kazakhstanais n’a pas oublié non plus les déclarations de députés russes, de l’ancien président Dmitri Medvedev et de Poutine lui-même, qui sont allés jusqu’à nier la réalité du Kazakhstan, résonance inquiétante avec l’Ukraine. « L’État n’existait pas avant Noursoultan Nazarbaïev » a répété le maître du Kremlin. « Des choses insultantes ont été dites par les plus hautes autorités russes. Il n’y a pas de russophobie dans notre pays où règne une tolérance religieuse, culturelle, linguistique, mais une réaction contre un “chauvinisme agressif” dont nous nous demandons s’il ne reflète pas la politique russe », a fait savoir la députée, ancien-ambassadrice à Bruxelles, Aïgoul Kouspan, présidente de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et de la Sécurité du Majilis, la Chambre basse du Parlement.

Le Kazakhstan cherche à consolider ses rapports avec ses nouveaux partenaires. La traditionnelle diplomatie d’équilibre de ce pays enclavé se doit d’être mise en œuvre avec doigté. « Nous n’avons pas d’autres solutions que de mener des relations équilibrées entre la Russie, la Chine et l’Occident », souligne le vice-ministre des Affaires étrangères. « C’est une balance difficile à respecter dans la situation actuelle marquée par de grosses tensions ». Économiquement, l’UE semble un débouché intéressant pour le gaz, l’hydrogène et les terres rares, tandis que la Turquie – membre de l’OTAN – devient un partenaire de défense dans le cadre d’une union « pan turcique » qu’Ankara tente de mettre sur pied, ce qui n’est pas pour plaire à Moscou.

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