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L’arme fatale 2 : les banques centrales réussiront-elles leur propre sortie du confinement ? Voilà pourquoi nos vies en dépendent
©Reuters

Ne pas reproduire les erreurs du passé

Face au gouffre économique planétaire ouvert par le Coronavirus, les banques centrales nous sauvent, comme elles l’ont fait en 2008. Mais contrairement à la dernière fois, sauront-elles gagner la bataille de l’après crise ?

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Atlantico : Les Banques Centrales ont-elles retenu les leçons de la crise de 2008 ? Quelles erreurs commises à l'époque ont empêché l'Europe de retrouver son potentiel de croissance une fois la crise passée ?

Jean-Paul Betbeze : Oui et non, mais aujourd’hui c’est bien pire ! Oui, car elles ont compris qu’il fallait agir massivement et ensemble. Les fameux « bazookas » des banques centrales, avec les baisses de taux courts pour permettre aux entreprises et aux ménages de résister au choc, les milliards de dollars ou d’euros pour racheter les bons du trésor et faire ainsi baisser les taux longs, plus les conditions spéciales de financement des banques pour les aider à compenser leurs pertes et à continuer à faire des crédits : on retrouve les mêmes outils.

Non, car le potentiel de croissance a été à peu près retrouvé aux États-Unis mais pas en zone euro. Aux Etats-Unis, où l’économie « marche » plus avec les marchés et la bourse, la croissance quantitative a été rétablie, mais pas forcément la croissance qualitative, avec le développement et la répartition des nouvelles technologies de communication (robots connectés) au sein même des filières de production. Actuellement, les États-Unis ont 200 robots pour 10 000 employés du secteur industriel, la Corée du Sud 710 mais l’Allemagne 310, la France 137 (et la Chine officiellement 97). « L’argent » n’a pas permis de produire plus efficacement et d’avoir des structures publiques plus efficaces. Les dettes publiques et privées sont restées, la recherche de la productivité publique, notamment, a été oubliée.

Mais aujourd’hui c’est bien pire : le virus est une crise systémique, mondiale, symétrique. Systémique : elle est gravissime, affectant à la fois l’offre et la demande, mondiale : elle frappe partout, symétrique en zone euro : elle implique d’agir pour tous ses membres. On imagine d’ici la taille des « bazookas » ! 

Matthieu Mucherie : La première le leçon c’est la vitesse. Quand on a un choc clairement déflationniste, comme une crise bancaire, la guerre ou comme aujourd’hui plus globale, il faut intervenir vite et fort. Si vous ne le faites pas, les pressions déflationnistes s’accumulent et rendent les problèmes qui les accompagnent extrêmement difficiles à résoudre. En 2007 la FED s’est montré pour le moins attentiste. Elle a attendu mars 2008 pour vraiment passer à la vitesse supérieure et ses interventions se sont faites attendre jusqu’en novembre 2008, c’est-à-dire au moment où elle a décidé d’acheter des actifs. Encore à la fin de septembre de 2008, quelques jours après Lehman Brothers, dans son comité de politique monétaire ( FOMC ), la FED craignait encore le risque d’inflation. Cette incompréhension a ralenti le processus de décision.  La BCE quant à elle, en 2008, a tergiversé pendant 6 ou 7 ans avant d’agir. Elle n’a fait du quantitative easing qu’à partir de la fin de l’année 2014. À part des actions sur le crédit inter bancaire, la BCE n’a pas fait grand chose pour limiter la casse en Europe. En juillet 2008, elle a même fait monté les taux… 

Aujourd’hui la BCE et la FED semblent avoir retenu les leçons de la crise précédente. La FED, est intervenu dès le début du mois de mars avec un point culminant le 9 avril: Baisse des taux, forward guidance, quantitative easing… La Banque Centrale américaine fait ce qu’il faut. La BCE quant à elle pourrait faire mieux, mais elle a quand même changé son fusil d’épaule en quelques semaines. Christine Lagarde a réussi à se reprendre après sa première sortie ratée sur l’Italie. La BCE  rachète de la dette avec un meilleur respect de la logique. Autrefois ses dirigeants achetaient de la dette de façon homogène, maintenant ils le font en privilégiant les pays les plus en difficulté, à savoir l’Espagne et l’Italie.  Ils ont rapidement mis en oeuvre le « whatever it takes » de Mario Draghi, le forward guidance … ce que j’appellerais le service minimum d’une Banque Centrale.

Le deuxième élément, c’est une meilleure coordination avec le budgétaire. La FED a réussi en 15 jours un plan de deux trillions au Congrès ce qui avait pris plus de 6 mois en 2008. Il y a une meilleure coordination avec le Trésor qui a mis en place de la seed money à plusieurs leviers monétaires. La situation européenne bien que fondamentalement différente et malgré des politiques budgétaires et sanitaires diverses, va également dans le bon sens à ce niveau là. Contrairement à ce qui a pu se produire en 2011, politique budgétaire et banque centrale faute d’aller exactement dans le même sens, au moins ne s’opposent pas. 

Quels sont les défis qui s'imposent aux Banques Centrales aujourd'hui ? 

Jean-Paul Betbeze : Les Banques centrales retrouvent leur raison d’être première : assurer la stabilité économique, loin de ce dont on parle « en temps normal », la lutte contre l’inflation et pour la croissance et l’emploi. Elles sont les financeurs en dernière instance, pour éviter la dépression, spirale descendante où se combinent la récession (la baisse de l’activité) et la déflation (la baisse des prix). C’est bien pourquoi la Fed (la Banque Centrale Américaine) et la BCE (Banque Centrale Européenne) achètent par centaines de milliards des bons du Trésor et soutiennent les banques. 

Mais, ce faisant, les Banques Centrales prennent de plus en plus de risques. La BCE par exemple doit refinancer plus largement tous les États, notamment au-delà de ses règles de capital et de qualité. « Règle de capital » : elle acceptera dans son portefeuille d’obligations publiques bien plus que la part d’un pays dans son capital (ce sera l’Italie, qui est pour 8% au capital de la BCE). « Règle de qualité » : le bon du trésor grec sera accepté (noté BB, alors qu’avant aucun bon inférieur à BBB- ne pouvait l’être). La BCE va prendre ainsi dans son bilan beaucoup plus de risques publics, ayant par ailleurs annoncé qu’elle s’émanciperait des notations des agences, jugées procycliques.

En même temps, la BCE va soutenir les banques pour qu’elles fassent plus de crédits aux ménages et aux entreprises. Suivant une récente série de mesures, elle refinance des créances sans seuil minimum (contre 25 000 euro auparavant) ce qui est favorable aux ménages et aux PME, mais plus risqué, augmente aussi la part de titres non garantis dans ses collatéraux (de 2,5 à 10%) et réduit de 20% les abattements sur les collatéraux qu’elle prenait, pour les refinancer. En même temps, les règles prudentielles de solvabilité et de liquidité sont relâchées, les stress tests repoussés. 

La Fed n’est pas en reste, refinançant pour sa part les PME, les villes et les États, achetant des ETF hybrides (autrement dit : opaques). Les banques centrales en font plus qu’avant pour éviter le pire aux États-Unis et en zone euro, faisant monter les risques qu’elles prennent, pour soutenir l’activité (et l’emploi et la bourse). On pourra dire qu’elles renforcent les inégalités, soutenant la bourse, sauf que la bourse américaine est la base du financement des retraites et que 22 millions d’emplois ont été perdus en 3 semaines aux Etats-Unis. Agir fortement n’est donc pas si inégalitaire que cela !

Matthieu Mucherie :  Je dirai que le défi est d’abord pour les personnes qui regardent les Banques Centrales. Les BC peuvent prospérer dans leurs erreurs et dans leurs fautes seulement si elles ont à faire à un public divisé et inattentif. Il ne faut pas miser sur la capacité des banquiers centraux à s’améliorer. Quand on regarde l’histoire longue, les banquiers centraux n’apprennent pas de leurs erreurs. Si on arrivait à développer un éco système de la pensée critique vis à vis de la politique monétaire, il y aurait une pression sur les banquiers centraux, pour qu’ils respectent mieux leur cible d’inflation, leurs objectifs.

Tant que nous n’aurons pas ce public sachant et exigeant, les banquiers centraux continueront de prospérer sur la passivité des gens et l’incompétence des médias. Depuis 2012, nous sommes en dessous de l’objectif de 2% d’inflation. Chaque choc économique qui nous traversons est un choc déflationniste. Comment est-ce possible ? Le public est en droit de se poser cette question et de demander des comptes. Les Banques Centrales ont de grands pouvoirs, donc de grandes responsabilités. Elles peuvent agir facilement sur les variables nominales. Pour elles, imprimer de la monnaie n’est pas un effort. Si la BC veut 2% d’inflation elle l’aura. Il est tant de mettre fin au pouvoir discrétionnaire de la BCE, de l’exposer médiatiquement, et qu’elle rende des comptes.

Quelles décisions devront-elles prendre une fois la crise sanitaire passée, pour répondre au défi économique d'ampleur qui s'annonce ?

Jean-Paul Betbeze : On entend déjà les banquiers centraux : il faudra rembourser, et certains experts : attentions à ne pas abuser, aux « effets  d’aubaine », tout cela pour tenter de limiter l’idée que tout est gratuit, que l’État paiera, avant de nationaliser ! On voit revenir aussi les théories du « revenu minimum » et de la décroissance, avec le risque que le « revenu minimum » ne devienne celui de tous. En fait, les risques n’ont pas fini de se matérialiser, avec en sus la baisse des prix du pétrole et des matières premières qui vont fortement impacter les pays émergents. Le risque est donc celui de faillites publiques, qui ne pourront être endiguées que par des crédits massifs du FMI. En fait, la Fed et la BCE prennent plus de risques mais, relativement à d’autres, elles en prennent bien moins : le dollar et l’euro sont les monnaies de réserve du monde. 

Le moment de vérité sera celui du rebond. Aujourd’hui, si l’on prend les chiffres du FMI pour 2020, les baisses de PIB sont partout énormes dans les grandes économies industrialisées : -6% aux États-Unis, -7% en France et en Allemagne, -9% en Italie. Pire, la reprise devrait être plus faible que la chute : 4,7% (États-Unis), 4,5% (France), 5,2% (Allemagne) et 4,8% (Italie). Au total, les États-Unis auraient perdu 1,5% de PIB entre 2019 et 2021, la zone euro 3,2%. Mais la Chine, avec un ralentissement de 6,1% à 1% et un rebond à 9,2% en 2021, aurait gagné 10,1% ! On imagine qu’on demandera partout aux budgets de soutenir l’investissement et aux banques centrales de faire le forcing par rapport à la Chine, autrement dit de prendre plus de risques dans la durée. La question va être : saura-t-on mieux utiliser cet argent, mieux investir, produire, former maintenant qu’il y a dix ans ? Chaque jour, la BCE achète pour 5 milliards de bons dans son programme anti-pandémie, 2.5 fais plus que pour ces autres programmes : il lui faut donc faire mieux qu’avant !

Matthieu Mucherie : Il faut, encore une fois, différencier la FED de la BCE. À condition que l’économie reparte sur ses rails, il faudra que la FED démantèle progressivement les quatre véhicules spéciaux aux mains du Trésor. Il ne faut pas que ce système soit pérennisé, sinon cela impliquerait que la FED serait définitivement sous le contrôle du Trésor. Avec des personnalités comme Trump au pouvoir, on nagerait en conflit d’intérêt permanent. La FED à un plutôt un travail de vigilance à court terme puis essayait de revenir à la normale au plus vite. Il est temps de faire ce qu’on appelle « la revue méthodologique » qui finira par une nouvelle cible d’inflation et espérons de PIB nominal.  Son travail sera de principal sera de redesigner sa politique monétaire.

La BCE, elle, a encore beaucoup à développer. Elle va devoir continuer d’injecter de la liquidité. Dans une zone où la mobilité du facteur travail est réduite, la solidité de l’euro dépend du maillon le plus faible de la chaîne ( l’Italie ou l’Espagne). Elle ne peut pas faire une politique monétaire pour la médiane. Elle va devoir intervenir plus et plus longtemps qu’elle ne l’a fait jusqu’à présent. Il faudrait que les 30% ou les 40% de dette souveraine de la zone euro qu’elle a dans son bilan soit éteint. Il faudrait, d’une façon ou d’une autre annuler cette dette illégitime, pour éviter qu’elle ne pèse sur le système pendant dix ans. Une manoeuvre sans conséquence économique pour les Banques Centrales, que la BCE s’est pourtant toujours refusée à faire jusqu’à présent, certainement dans le but de conserver son pouvoir discrétionnaire. Tous les débats sur les eurobonds etc  sont une diversion. Il ne s’agit pas de mutualiser les futures dettes mais d’annuler les anciennes. Voilà ce que devrait faire la BCE. Si elle ne fait pas cette élément de premier rang, qu’elle fasse au moins du quantative easing au fil de l’eau et quelle renforce sa collaboration avec le budgétaire. Elle doit également élargir son périmètre d’intervention, élargir son périmètre d’achat pour aller pour loin. 

Dernier point, la transparence. Il est nécessaire d’avoir plus de communication, plus de pédagogie de la part de la BCE, notamment en terme de forward guidance.

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