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L’arbre Sivens cache la forêt des projets lancés par les collectivités locales au mépris de toute logique économique.
L’arbre Sivens cache la forêt des projets lancés par les collectivités locales au mépris de toute logique économique.
©Reuters

Fond de cale

Après une année de lutte obstinée des associations et deux mois de violence dans la forêt de Sivens, Ségolène Royal suggère la création d'un "comité de l'usage de l'eau, une démarche démocratique pour que les gens se réapproprient leur territoire". Un projet parmi tant d'autres qui, pour des raisons principalement économiques et de gestion, est voué à disparaître. Et la baisse des fonds européens alloués via le FEDER pour le développement local n'aide en rien.

Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Bœuf est administrateur général. Auteur de nombreux ouvrages, son dernier livre : les très riches heures des territoires (2019), aux éditions Population et avenir. Il est actuellement directeur général des services du conseil départemental de la Drôme (26)

 

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Atlantico : Le barrage Sivens, presque enterré, a été pointé du doigt notamment à cause de son coût prohibitif. Il est un projet parmi tant d'autres qui est abandonné pour des raisons économiques. Pouvez-nous nous citer d'autres exemples de projets visant la réaménagement du territoire qui ont été abandonnés et en expliquer synthétiquement les raisons ?

Jean-Luc Boeuf : Le barrage de Sivens est emblématique parce qu'il contient les ingrédients d'une contestation de terrain relayée et amplifiée par le niveau national jusqu'a ce que cela devienne une question d'ordre public. À partir du moment ou il y a mort d'homme, le projet change de nature.

Ce projet de barrage n'est pas sans rappeler le projet d'un aéroport dans l'Ouest de la France sauf que, dans cet exemple, il n'y a pas eu de décès. En remontant dans le passé, on pourrait citer l'aménagement du Larzac dans les années 1970 ou le projet de centrale nucléaire de Plogoff au début des années 1980.

Plus près de nous, il est quasiment certain que de nombreux projets de lignes ferroviaires à grande vitesse risquent de ne jamais voir le jour, non par contestation mais par absence de financement ! À plus de 25 millions d'euros le kilomètre, il est certain que les financeurs potentiels ne se bousculent plus...

Ces différents projets sont-ils abandonnés parce qu'ils sont construits en dehors de toute réalité budgétaire, financière, socioéconomique, environnementale ? 

La raison principale est que la donne budgétaire a changé, aussi bien pour l'Etat que pour les collectivités locales, et notamment les conditions d'investissement des projets. À une France corsetée par l'Etat durant les trente Glorieuses, en termes d'initiatives publiques, ont succédé les très riches heures de la France décentralisée, ou tout a pu sembler facile : les collectivités locales (régions, départements et communes) se sont mises à investir à tout va puisque l'accès à l'emprunt était facile.En effet, les banques elles mêmes avaient intérêt à financer "long" en se refinançant elles mêmes à court terme. C'est ce que les économistes appellent l'économie d'endettement. Dans ces conditions, les collectivités sont devenues le premier investisseur civil public, réalisant même jusqu'a près de 80% de l'investissement public civil.

Dans son 2ème rapport sur les finances publiques locales publié le 14 octobre, la Cour des comptes cherche à comprendre pourquoi « la situation des collectivités s’est dégradée en 2013 ». Ces projets de réaménagement du territoire en sont-ils la cause ? Ne surestime-t-on pas le rapport investissement / bénéfices ?

La Cour des comptes utilise un raisonnement digne des Lettres persanes de Montesquieu, en faisant semblant de s'interroger sur la dégradation des comptes publics locaux... L

a dégradation de la situation financière des collectivités locales a une cause très simple : les dépenses publiques locales sont devenues plus dynamiques que leurs recettes. Ces dernières sont composées de trois éléments que sont les dotations, la fiscalité et l'emprunt. Or depuis la crise financière de 2008, l'Etat a repris en main la fiscalité locale ; les dotations non seulement n'augmentent  plus mais diminuent ; l'accès à l'emprunt s'est quant à lui raréfié.

Dans ces conditions, les collectivités doivent faire face à des recettes qui augmentent chaque année (charges de personnel notamment) avec des recettes moindres. Ceci a pour conséquence de dégrader l'autofinancement et, au final, d'augmenter le cours à l'emprunt.

Comment peut-on expliquer que des collectivités locales qui ont réussi à financer un projet, soient dans l'incapacité de répondre aux dépenses de fonctionnement qui en découlent ?

Lorsqu'une collectivité locale décidé de réaliser un projet, son raisonnement se décompose en deux parties : tout d'abord, il s'agit de financer l'équipement proprement dit (une piscine par exemple ou pour utiliser un terme plus moderne un bassin ludique polyvalent). Ensuite, il s'agit de faire fonctionner le dit équipement.

Pendant des décennies, le raisonnement qui a prévalu était le suivant : "moi, collectivité locale, je me débrouille pour rechercher des financeurs pour mon équipement et je me charge sur mon budget des dépenses de fonctionnement de ce même équipement." Et dans l'ensemble du territoire, les élus de toutes les strates des collectivités acceptaient ce raisonnement, sachant qu'ils allaient eux mêmes en bénéficier un jour ou l'autre. Dans ces conditions, le maître d'ouvrage d'un équipement pouvait ne financer que 20% du coût du coût de l'équipement et qu'il "faisait son affaire" du financement des coûts de fonctionnement. Ce raisonnement ne marche plus aujourd'hui car les collectivités sont sous tension pour leurs dépenses de fonctionnement et qu'ils ne peuvent plus se permettre de financer les dépenses courantes générées par un nouvel équipement.

Comment peut-on expliquer une explosion des coûts sur certains projets d'aménagement durant leur réalisation alors qu'ils sont adoptés sur la base d'un budget initialement stable, et qu'ils sont adoptés par des élus locaux après concertation et enquêtes publiques ?

L'explosion des coûts a plusieurs causes. Tout d'abord, elles peuvent être liées à la durée de sortie du projet. Dit autrement, si un projet est estimé pour la première fois en 1983 et que sa réalisation intervient en 2011, les coûts d'arrivée n'auront plus rien à voir ! C'est par exemple le cas de la ligne ferroviaire à grande vitesse Rhin-Rhône, dont les premières esquisses remontent au début des années 1980.

L'honnêteté intellectuelle conduit donc à se référer au coût du projet tel qu'il figure dans les dossiers d'enquête publique. Ensuite, figurent les modifications de programme en cours de chantier. Enfin sont à prendre en compte ce que l'on appelle les aléas de chantier (amiante, fouilles plus onéreuses que prévues, présence d'espèces protégées...

Quel rôle joue l'Europe dans la réalisation des projets locaux ? A-t-elle un simple avis consultatif ou possède-t-elle les moyens d'arrêter la réalisation d'un projet qu'elle jugerait trop coûteux ? 

L'Europe, après avoir été beaucoup sollicitée, est aujourd'hui fort décriée... En effet, les politiques dites du FEDER (fonds européens de développement régional) ont été mises en place pour les États ayant rejoint en dernier l'Union européennes dans les années 1980 (Grèce, Espagne, Portugal). Dans les États membres depuis plus longtemps, ces politiques ont permis de combler des "retards de développement". La France a été pendant longtemps un bénéficiaire net de ces politiques, tant et si bien que les générations de "fonds structurels européens"se sont succédé dans les années 1990 et 2000. Tant et si bien qu'ont fleuri sur les routes les panneaux "avec le concours de l'Union européenne". Depuis plus de dix ans, ces financement ont fondu comme neige au soleil, devant les élargissements successifs de l'Union européenne et devant les difficultés budgétaires de l'Europe. L'Europe, quand elle finance des projets, a un rôle de décision et de contrôle ex post.

Les projets tels que le barrage de Sivens et Notre-dames-des-Landes sont soumis à des problématiques politiques et économiques. Cela démontre-t-il l'incapacité de la France à prendre des décisions ? Ces contestations révèlent-elle un manque de consultation, de concertation, de débats participatifs sur ces grands projets ?

La difficulté aujourd'hui est celle de la prise de décision et - surtout - de l'acceptation de ladite décision publique. On ne prend plus une décision comme au sortir de la guerre (alors que l'Etat était tout puissant) ou comme dans les années 1980 (à l'heure de la décentralisation triomphante). Est à l'œuvre désormais le quarteron de la décentralisation.

Le quarteron est composé de l'usager, du contribuable, de l'électeur et du citoyen. Le quarteron, c'est chacun d'entre nous en fonction de la journée et de ses intérêts. Pour ce qui est de la concertation et de consultation, il convient de rappeler que, depuis 1976 et 1983, les procédures ont été considérablement renforcées, dans un sens de plus grande concertation. Mais il est vrai que, parfois, ces procédures peuvent apparaître etre confisquées par certains groupes de pression...

Propos recueillis par Sarah Pinard

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