L’Arabie Saoudite change de modèle économique et voilà ce que ça pourrait changer pour nous <!-- --> | Atlantico.fr
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Une station de traitement du pétrole, photo AFP
Une station de traitement du pétrole, photo AFP
©SPENCER PLATT / GETTY IMAGES AMÉRIQUE DU NORD / GETTY IMAGES VIA AFP

Hausse des prix en vue ?

Le prix du baril saoudien pourrait avoisiner durablement les 80 dollars. Un tel bouleversement n'est pas sans impact sur la réalité de l'approvisionnement des autres pays. Reste à savoir ce que cela veut dire pour les consommateurs, en fin de ligne...

Jean-Pierre Favennec

Jean-Pierre Favennec

Jean-Pierre Favennec est un spécialiste de l’énergie et en particulier du pétrole et professeur à l’Ecole du Pétrole et des Moteurs, où il a dirigé le Centre Economie et Gestion. 

Il a publié plusieurs ouvrages et de nombreux articles sur des sujets touchant à l’économie et à la géopolitique de l’énergie et en particulier Exploitation et Gestion du Raffinage (français et anglais), Recherche et Production du Pétrole et du Gaz (français et anglais en 2011), l’Energie à Quel Prix ? (2006) et Géopolitique de l’Energie (français 2009, anglais 2011).

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Atlantico : Selon le WSJ, le seuil de rentabilité fiscale des Saoudiens pour le pétrole est désormais proche de 80 dollars. Mohammed bin Salman, le dirigeant saoudien, a lancé un plan ambitieux visant à utiliser sa source de revenus pétroliers pour transformer l'économie du Royaume. Dans quelle mesure cela peut-il pousser l’Arabie Saoudite à changer de modèle économique ?

Jean-Pierre Favennec : Malgré les contraintes liées au changement climatique, la consommation de pétrole dans le monde, voisine de 100 Millions de barils par jour (environ 5 milliards de tonnes par an), augmente chaque année de 2 % environ et pourrait continuer à augmenter jusqu’à la fin de la décennie. Si les pays occidentaux ont commencé à réduire cette consommation, les pays émergents ont besoin chaque année d’un peu plus de pétrole

Les réserves de pétrole sont largement suffisantes pour faire face aux besoins (elles représentent 50 années de consommation) et il est probable qu’une partie de ces réserves ne sera jamais exploitée. Les réserves « facilement exploitables » se situent pour moitié au Moyen Orient et en particulier en Arabie Saoudite.

En dehors des Etats Unis qui sont devenus, grâce au pétrole de schiste, le principal producteur de pétrole dans le monde, les principaux fournisseurs sont l’Arabie Saoudite et la Russie dont les extractions sont proches (environ 12 % de la production mondiale pour chaque pays). Arabie Saoudite et Russie sont en principe réunis dans l’OPEP + qui comprend l’OPEP (23 pays membres) et 10 pays importants. 

L’économie de l’Arabie Saoudite, principal exportateur de pétrole dans le monde, repose essentiellement sur ces exportations. Il faut, selon les experts, un prix de 80 dollars par baril pour équilibrer le budget. Pour sortir de la dépendance au pétrole le pays a lancé l’ambitieux plan « Saudi Vision 2030 » qui vise à diversifier l’économie du pays. Les besoins en investissements sont très importants et la vente d’une partie du capital de la compagnie pétrolière nationale Saudi Aramco, qui détient le monopole de toutes les activités dans le secteur des hydrocarbures, est un exemple de la stratégie du gouvernement.

L'Arabie saoudite laisse entendre qu'une nouvelle chute de la production de pétrole pourrait être annoncée le 4 juin par l'Organisation des pays exportateurs de pétrole et promet du « sang, de la sueur et des larmes » aux spéculateurs. Une stratégie délibérée pour maintenir les prix du pétrole élevés ? Que risque-t-il de se produire ?

Les recettes pétrolières sont donc vitales pour l’Arabie Saoudite et une diminution du prix du baril est une menace pour les ambitions saoudiennes. Or si le prix du pétrole, tombé très bas en 2020 du fait de la pandémie, est remonté à des niveaux très élevés en 2021 et 2022 (plus de 130 dollars par baril peu après le début de la guerre en Ukraine) Mais le prix n’a pas cessé de s’effriter depuis un an retombant à moins de 80 dollars et ce malgré deux réductions significatives de la production : réduction de 2 millions de barils par jour par l’OPEP décidée en octobre 2022 et réduction de 1 million de barils par jour décidée par un groupe de producteurs en Avril 2023 . Ces deux réductions n’ont pas permis d’enrayer la tendance à une baisse lente du prix.

Une annonce récente de l’Arabie Saoudite laisse entendre une possible nouvelle réduction de la production par certains pays de l’OPEP pour faire remonter les prix. L’effet d’une telle mesure est difficile à prévoir. Depuis de nombreux mois les opérateurs craignent une récession économique mondiale qui réduirait la demande de pétrole. D’autre part, la production de pétrole reste abondante dans de nombreux pays (Etats Unis, Brésil, pays Africains en particulier). Il est peu probable qu’une réduction modérée (une réduction importante pourrait avoir des effets très néfastes sur l’économie mondiale et aller à l’encontre de l’effet recherché) modifie significativement le marché pétrolier.

Qu’est-ce que cela pourrait changer à l’échelle globale pour l’accès au pétrole saoudien ? Et plus largement face aux besoins occidentaux ?

Il est aisé de remplacer une source de pétrole par une autre et une réduction de la production saoudienne n’aurait pas d’effets sur l’approvisionnement des pays consommateurs.

Alors que la Russie pompe d'énormes quantité de pétrole brut moins cher sur le marché et de saper les efforts saoudiens pour augmenter les prix, les tensions entre Moscou et Riyad sont croissantes. Dans quelle mesure cela risque -t-il de contrecarrer les plans saoudiens ? Peuvent-ils maintenir durablement leurs prix autour de 80 dollars le baril ?

On s’attendait à ce que la production russe diminue du fait de la réduction des débouchés (embargo européen sur les importations russes alors que les exportations russes vers l’Europe, tant de pétrole brut que de produits pétroliers, représentaient une part importante de la production russe). Or l’extraction de pétrole en Russie n’a été que modérément affectée. La Russie a contourné les sanctions occidentales en exportant davantage de pétrole vers la Chine et l’Inde et un certain nombre de pays émergents. Le plafonnement à 60 dollars par baril du prix du pétrole russe n’a été que modérément respecté dans la mesure où, pour échapper aux sanctions, la Russie a acheté de nombreux pétroliers ce qui lui permet d’exporter où elle le veut et sans doute à un prix proche de celui du marché, des quantités importantes de brut.

La Russie a donc pu maintenir des recettes vitales pour financer la guerre en Ukraine. Mais cette production russe importante va à l’encontre des intérêts saoudiens confrontés à des menaces sur les volumes et les prix de leurs exportations. Maintenir le prix au niveau actuel est sans doute possible mais au prix de sacrifices sur les volumes.

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