L’Appel du 18 juin : un atout politique pour De Gaulle et ses Compagnons de la Libération<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean Petaux publie « L'Appel du 18 juin 1940 : Usages politiques d'un mythe » aux éditions Le Bord de l’eau.
Jean Petaux publie « L'Appel du 18 juin 1940 : Usages politiques d'un mythe » aux éditions Le Bord de l’eau.
©AFP

Bonnes feuilles

Jean Petaux publie « L'Appel du 18 juin 1940 : Usages politiques d'un mythe » aux éditions Le Bord de l’eau. Cet ouvrage souligne les différents aspects qui ont contribué à la construction d’un des derniers mythes français. Extrait 2/2.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Quel usage le général de Gaulle a-t-il eu de l’Appel du 18 juin dans sa longue carrière politique ? Comment a-t-il trouvé, auprès de ses plus proches, ses « Croisés », des relais pour certains plus fidèles au « moment 18 juin », à ce qu’il a représenté pour eux, qu’à la figure même de son auteur, surtout dans ses choix politiques postérieurs à 1945.

Paroles du général

Revenu au pouvoir, à partir de juin 1958, le Général utilise de manière assez parcimonieuse la référence, explicite ou quasi explicite à l’Appel. Il va le faire lorsque les circonstances vont l’obliger à « sortir l’artillerie lourde » ou lorsqu’il va vouloir apporter une certaine solennité à son propos. Lors des conférences de presse élyséennes par exemple, temps forts de la « comédie gaullienne », le souvenir du 18 juin n’est pas mobilisé. La fameuse conférence de presse du 19 mai 1958 tenue au Palais d’Orsay, passée à la postérité par la réplique sur « la carrière de dictateur » ne mentionne jamais l’Appel du 18 juin.

Il faut attendre l’une des plus dramatiques interventions de de Gaulle, président de la République, pour retrouver explicitement la mention du 18 juin : le discours radiotélévisé du 23 avril 1961. Après la désignation des auteurs de la tentative de putsch à Alger sous le vocable de « quarteron de généraux en retraite », le président de la République déclare :

« Car l’immense effort de redressement de la France, entamé depuis le fond de l’abîme, le 18 juin 1940, mené ensuite jusqu’à ce que, en dépit de tout, la victoire fût remportée, l’indépendance assurée, la République restaurée. »

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La mise en scène gaullienne des « 18 juin » dans les actes et dans les mots

Les trois grands biographes du général, étonnamment, traitant de la réponse fulgurante du chef de l’État à la tentative de putsch d’Alger, ont supprimé, tous les trois, ce passage du discours où le Général mentionne le 18 juin, remplaçant cette partie supprimée de l’allocation par des points de suspension entre parenthèses. C’est regrettable car, dans cette même intervention radiotélévisée, de Gaulle en grand uniforme de général, dans une mise en scène impeccable destinée à tuer dans l’œuf l’initiative des chefs militaires en Algérie, évoque, avant de parler du « fond de l’abîme », une « population de souche européenne qu’égarent les craintes et les mythes ». Là encore le choix du terme « mythe » n’est pas hasardeux. De Gaulle, voulant détruire ce mythe-là, celui d’une « Algérie française », dégaine le sien propre, celui de la France sauvée par l’Appel du 18 juin 1940, vingt et un ans plus tôt.

Une deuxième évocation, par le Général lui-même, du « moment 18 juin » est son allocution radiotélévisée où il présente sa candidature à un second mandat présidentiel, le premier au suffrage universel. Ce discours est prononcé le 4 novembre 1965 quand le premier tour de l’élection a été fixé au 5 décembre et le second au 19. Ce n’est pas, et de loin, le discours le plus célèbre de de Gaulle, mais il revêt certainement pour lui une importance toute particulière au point qu’il entame ce message assez court par un flash-back assez surprenant, comme s’il lui fallait justifier sa candidature, comme si elle n’allait pas de soi :

« Françaises, Français ! Il y a vingt-cinq ans, lorsque la France roulait à l’abîme, j’ai cru devoir assumer la charge de la conduire jusqu’à ce qu’elle fût libérée, victorieuse et maîtresse d’elle-même. Il y a sept ans, j’ai cru devoir revenir à sa tête pour la préserver de la guerre civile… »

Si le 18 juin n’est pas explicitement cité ici, comme lors du discours du 23 avril 1961, on ne peut qu’être frappé par l’emploi du même terme, dans les deux allocutions, pour désigner le « lieu » où était rendue la France en juin 1940 : « l’abîme ».

Dans les deux discours évoqués, l’Appel du 18 juin fonctionne comme une mise en abyme. La situation présente (abattre les généraux fêlons d’Alger ; se présenter à un second mandat) ne se comprend que dans un référentiel mémoriel et un rappel du mythe qu’est devenu l’Appel. Ce procédé contribue à forger une identité narrative apportant, par le récit d’un événement passé de la force politique aux propos tenu dans le temps présent pour éviter un désastre à venir.

La « famille des Compagnons » :

l’entretien de la flamme mythique

Il nous a déjà été donné l’occasion d’apprécier le rôle et la fonction des Compagnons de la Libération pour l’inscription du mythe de l’Appel du 18 juin 1940 dans une « geste gaullienne » confondant mémoire et histoire. Dans un ouvrage précieux, Jean-Christophe Notin a recueilli des paroles de « Compagnons ».

Partir combattre coûte que coûte

L’un des premiers éléments qui retient l’attention dans tous les témoignages recueillis par J.-C. Notin, c’est le nombre conséquent de futurs Compagnons qui vont partir de Bordeaux ou, plus largement, des ports du sud-ouest de la France pour rejoindre l’Angleterre, entre le 17 et le 24 juin 1940. Même s’il n’a pas été interrogé pour l’ouvrage, on sait que Daniel Cordier est parti de Bayonne ; que Pierre Simonet (l’un des derniers Compagnons puisqu’il est décédé à 99 ans en 2020), inscrit en « maths spé » au lycée Montaigne, à Bordeaux, s’embarque à Saint Jean-de-Luz le 25 juin, dans l’un des deux derniers navires qui ont pu sortir de la rade avant l’arrivée des troupes allemandes. Le dernier des Compagnons, celui qui repose désormais dans la crypte du Mémorial du Mont-Valérien, Germain, fils de général, élève, lui aussi, « en classe prépa » au lycée Montaigne de Bordeaux pour intégrer l’École navale, sort subitement de sa salle où se déroulent les épreuves du concours d’entrée le 14 en rendant copie blanche et décide qu’il part faire la guerre aux Allemands. Il parviendra avec trois camarades à quitter, lui aussi, Saint Jean-de-Luz, le 24. De tous ceux-là, aucun n’a entendu l’Appel du 18 juin.

Il faut considérer que le discours du 17 juin de Pétain a plus mobilisé les futurs combattants de la France libre que l’Appel du 18 de de Gaulle, tout simplement parce que le premier a été particulièrement entendu et écouté. Ce n’est pas le moindre des paradoxes de cette période incroyable qui en connut plus d’un. Sans compter que le discours de Philippe Pétain, tout juste nommé président du Conseil était particulièrement attendu surtout par ceux qui voyaient encore en lui le « sauveur de Verdun » et qui s’imaginaient qu’il allait proposer un ultime sursaut. La radio s’écoutait alors en famille, elles furent nombreuses à se regrouper, vers 12 h 20 ce jour-là, autour des énormes postes radiophoniques qui trônaient au salon. Sans doute que la déception n’en fut que plus forte en entendant :

« Je me suis adressé cette nuit à l’adversaire pour lui demander s’il est prêt à rechercher avec nous, entre soldats, après la lutte et dans l’honneur, les moyens de mettre un terme aux hostilités. »

Tout autres évidemment furent les conditions de diffusion et donc de réception de l’Appel du 18 juin : un message émis sur une radio étrangère à une heure improbable, sans véritable annonce préalable et prononcé par un inconnu.

Au registre des témoignages de ceux qui ont rejoint le général de Gaulle dès juin 1940, celui de Claude Raoul-Duval, dernier survivant des pilotes des Forces aériennes françaises libres parmi les Compagnons, décédé en 2018, fait presque figure d’exception. Il a cherché, comme élève à l’École de l’Air, à s’embarquer sur le Massilia, au Verdon, le 20 juin, mais l’accès lui a été refusé. Finalement il part quand même du Verdon mais pour l’Angleterre le 21 sur un navire hollandais. Son père qui le conduit en voiture à l’embouchure de la Gironde, le 19, lui dit, sur le trajet :

« Tu sais j’ai entendu à la radio hier soir quelqu’un qui s’appelle le général de Gaulle, qui demande à tous les Français qui veulent continuer à se battre de venir à le rejoindre en Angleterre. »

Il précise, citant son père,

« Il me dit : “De Gaulle, tu te souviendras, c’est facile à retenir comme nom : de Gaulle, la Gaule”… »

Extrait du livre de Jean Petaux, « L'Appel du 18 juin 1940 : Usages politiques d'un mythe », publié aux éditions Le Bord de l’eau

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