L’anomalie RN : contexte en or, sondages médiocres...<!-- --> | Atlantico.fr
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Marine Le Pen Rassemblement national sondage citoyens opposition
Marine Le Pen Rassemblement national sondage citoyens opposition
©BERTRAND GUAY / AFP

Rassemblement national

D'après les enquêtes d’opinion, le Rassemblement national est considéré comme le premier parti d’opposition (devant La France Insoumise et Les Républicains). Le parti de Marine Le Pen a des difficultés néanmoins à s’imposer comme une alternative crédible à Emmanuel Macron. Pourquoi ne profite-t-il pas du contexte lié à la crise sanitaire et aux attentats pour s’imposer ?

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Atlantico : Même si dans les enquêtes d’opinion, le Rassemblement national est considéré comme le premier parti d’opposition (devant les Insoumis et les Républicains), ses chiffres restent modestes et il peine à s’imposer comme une alternative crédible à Emmanuel Macron. Pourquoi ne profite-t-il pas du contexte d’épidémie, d’attentats et de débats sur l’islamisme pour s’imposer ?

Bruno Cautrès : Vous avez raison de souligner le paradoxe. La dernière enquête publiée sur le sujet par l’IFOP montre que c’est toujours le RN qui est le plus cité par les Français comme «incarnant le mieux l’opposition au président de la République, Emmanuel Macron », pour reprendre le verbatim exact de la question posée : 32% des personnes interrogées citent le RN, suivi de la France insoumise (25%) et des LR (21%). Si au début du mandat d’Emmanuel Macron c’était clairement le parti de Jean-Luc Mélenchon qui avait capté cette dimension de « meilleure incarnation de l’opposition » au chef de l’Etat, une évolution très profonde s’est passée dans le second semestre de 2018 : le RN est tout d’abord passé devant les LR en juillet 2018, puis devant la France insoumise à la fin 2018 et n’a pas quitté depuis cette position de «meilleur opposant » à Emmanuel Macron. Si le parti de Marine Le Pen n’a pas retrouvé le niveau exceptionnel de 46% de Français le citant comme meilleure incarnation de l’opposition à l’été 2019, il s’est clairement stabilisé en tête avec un écart hors de la marge d’erreur avec la FI ou les LR.  Par ailleurs, les deux sondages d’intentions de vote réalisés par le même IFOP au cours des derniers mois, indiquent que si l’élection avait lieu aujourd’hui Marine Le Pen pourrait se qualifier au second tour.  Enfin, c’est le RN qui a remporté les élections européennes de mai 2019.

Le paradoxe est que ce potentiel d’opinion et électoral peine à se concrétiser pour percer ce que l’on appelle le « plafond de verre », une limite à la progression du RN et de Marine Le Pen. Ce paradoxe est d’autant plus frappant que la succession des crises dans lesquelles nous vivons depuis la fin 2018 ont conduit à un climat de l’opinion publique qui aurait pu davantage profiter au RN (on pourrait faire la même observation pour la FI). Une majorité de Français est inquiète non seulement de la situation épidémique mais aussi sociale, la popularité du chef de l’Etat est remontée mais reste minoritaire et un sentiment de pertes des repères s’est installé. C’est un sentiment de « crise sans fin » qui domine dans l’opinion, comme l’a récemment titré la Revue Politique et Parlementaire.  La raison de ce paradoxe me semble triple. Tout d’abord, « incarner l’opposition à Emmanuel Macron » est une expression plus complexe qu’il n’y paraît: cela ne veut pas dire « valider le programme » de l’opposant. Ensuite, si Marine Le Pen est créditée dans l’opinion de qualités en termes de proximité avec les préoccupations des Français, elle continue à être moins favorablement évaluée par eux en termes de crédibilité présidentielle. Enfin, le marqueur idéologique du RN sur les questions d’immigration est à la fois une bonne et une mauvaise chose pour lui : cela l’identifie autour d’une question que les électeurs peuvent facilement identifier à la « marque de fabrique » du RN mais en même temps cela « cornérise » le RN qui a du mal à être identifier par les électeurs sur d’autres questions.

Le RN, s’il réussit dans l’opposition, manque-t-il encore d’une crédibilité aux yeux des Français pour incarner sérieusement un parti de gouvernement ?

C’est là l’une de ses difficultés actuelles les plus importantes. Bien que s’étant installé solidement et durablement dans notre vie politique, beaucoup de Français continuent de ne pas voir dans le RN « un parti comme les autres ». La posture très radicale du RN sur des questions comme l’Europe (et ensuite les hésitations du RN sur cette question depuis 2017), l’immigration ou la sécurité font que les Français reconnaissent à Marine Le Pen de l’engagement sur ces questions, mais ce qui ne veut pas dire partager ses positions.  Les enquêtes d’opinion montrent que les sympathisants LR ne sont pas, en majorité, favorables aux alliances avec le RN même si c’est le seul électorat où une partie des électeurs accepteraient ces alliances. En fait le RN n’arrive pas à trouver d’alliés qui seraient des alliés stables, avec lesquels des visions seraient partagées et des passerelles entre les programmes  tissées.  Même l’éphémère alliance conclue avec Nicolas Dupont-Aignan entre les deux tours de la présidentielle de 2017 semble difficile aujourd’hui, avec d’ailleurs une grave crise interne chez DLF sur cette question. Dans notre système politique, on peut impulser les alliances si l’on n’a pas d’alliés, mais en ayant …gagné la présidentielle avant. Le RN est donc dans une difficulté stratégique : ses positions très radicales sont à la fois son carburant et son frein. Il a su conquérir des segments de l’électorat et des territoires d’implantation, s’ancrer dans le pays en profondeur, et pourtant une équation difficile à résoudre se pose à lui : il dispose, et c’est déjà une énorme ressource, d’une candidate qualifiable au second de la présidentielle, mais des obstacles importants se dressent devant lui pour passer la barre des 50%. Seul un exceptionnel contexte pourrait réaliser un « effet cliquet » pour que la présidente du RN franchisse cette barre : par exemple, une abstention importante dans des électorats moins mobilisés que le sien, un énorme rejet d’Emmanuel Macron, entre autres éléments.

D’une façon générale, on a l’impression globale que les partis sont timorés dans leur critique du gouvernement. Pourquoi ? 

Je ne suis pas sûr que l’on puisse dire que les partis sont timorés dans leurs critiques du gouvernement.  La gestion de l’épidémie a, même au contraire, donné lieu à beaucoup de critiques ! Mais il est vrai que les oppositions donnent le sentiment d’être encore convalescentes. Elles été percutées violemment par la séquence électorale de 2017 et hésitent sur leurs stratégies de moyen terme, pour 2022. L’élection présidentielle a en France un rôle tellement structurant, qu’il s’agit pour des partis comme les LR, la FI ou le PS de ne pas rater ce rendez-vous de 2022 : il ne faut pas découvrir trop tôt sa stratégie, Emmanuel Macron ayant jusqu’à présent montré une certaine capacité à répondre aux crises et à « rebondir ».   A droite comme à gauche, les élections de 2022 seront une grande épreuve de vérité : le choix des candidats, la stratégie de moyen terme (union PS/EELV par exemple), les principaux thèmes mis en avant vont donner des éléments très importants. Dès que ces éléments commenceront à se clarifier, on pourra vraiment répondre à votre question.  Ce qu’il ne faut pas perdre de vue c’est que 2022 ne sera sans doute pas la simple réplique de 2017 : il est probable qu’il n’y aura pas de nouveau « Penelopegate », les socialistes ne seront pas représentés par un candidat qui a dû endosser le rôle de candidat à la dernière minute suite au renoncement de François Hollande, Marine Le Pen et Emmanuel Macron auront à gérer qu’à chaque présidentielle les Français aiment à découvrir de nouvelles personnalités, la « crise sans fin » dans laquelle nous sommes depuis 2018 a fait déraillé le train des réformes d’Emmanuel Macron. L’élection pourrait être plus « compétitive » que celle de 2017, nous verrons car c’est encore un peu loin…

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