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L’Allemagne va-t-elle le maillon faible qui pourrait faire s’effondrer la zone euro ?
L’Allemagne va-t-elle le maillon faible qui pourrait faire s’effondrer la zone euro ?
©Ludovic MARIN / AFP

Boulet

L’Allemagne a été confrontée en mai dernier à un déficit commercial. La dégradation de la situation économique allemande risque-t-elle de s'accentuer avec la crise actuelle ?

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : Pour la première fois depuis des années, l’Allemagne avait enregistré en mai dernier un déficit commercial et voit plus généralement son excédent fondre. A quel point est-ce le signe d’une dégradation de la situation économique allemande plus structurelle accentuée par la crise actuelle ?

Rémi Bourgeot : L'excédent commercial allemand a été propulsé à partir du milieu des années 2000 sur une voie hors norme, avec un excédent courant dépassant quasi-continuellement, à partir du début des années 2010, 7% du PIB. Au-delà d’une propension historique à sur-exporter, cette performance commerciale a été alimentée par une stratégie autant politique qu’économique de compression des coûts salariaux avec les réformes des années 2000. Cette approche s’est doublée d’une compression des coûts énergétiques par le développement des importations de gaz russe, aux dépens des stratégies de diversification par le sud, qui ont été largement abandonnée ou réduite à des projets morcelés, incomparables avers la route nord. Avec Nord Stream 1 puis 2, le pays devait avoir accès à un approvisionnement dépassant ses besoins nationaux et devenir le centre névralgique du système gazier européen, en réexportant ses importations directes de gaz russe, grâce à un vaste système de stockage et de redistribution.

La crise énergétique bouleverse désormais en profondeur ce modèle économique. Derrière les chiffres d’inflation des prix de consommation courante autour de 8%, l’envolée des prix de l’énergie, de l’ordre de 100%, entraîne celle des prix de production, qui ont augmenté de 37% sur un an. Il s’agit d’un changement radical des conditions économiques qui remet en cause son positionnement industriel. Et au-delà même de la question des prix, c’est la perspective de rationnements énergétiques qui fait le plus craindre une déstabilisation de la production industrielle, qui viendra s’ajouter à la longue liste de pénuries auxquelles fait déjà fasse l’industrie européenne.

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Face à la situation actuelle, où vient s’ajouter la hausse des taux de 75 points de base par la BCE, l’Allemagne pourrait-elle devenir le maillon faible qui ferait s’effondrer la zone euro ?

Il faut opérer une distinction entre la crise économique qui se développe, avec l’Allemagne en son centre, et les menaces sur l’architecture de la zone euro, qui se concentrent davantage et à nouveau sur les pays les plus sensibles à la remontée des taux. 

La constitution d’un excédent commercial massif a été au cœur de la stratégie de croissance allemande, notamment pour résorber le chômage dans les années 2000. Puis, avec la crise de l’euro, cette stratégie de compression des coûts s’est soudain imposée aux pays dits périphériques, qui l’ont pour la plupart embrassée sans retenue, comme l’Espagne en particulier. L’excédent commercial s’est retrouvé au cœur de la stratégie économique européenne, aussi faible qu’ait été la croissance qui en a résulté. Cette stratégie a avant tout reposé sur la compression des coûts salariaux (et énergétiques) bien plus que sur les gains de productivité et le développement des compétences de pointe. C’est la principale faille de cette approche. L’Europe se retrouve aujourd’hui en retard sur de nombreux fronts de la révolution industrielle en cours et conserve un statut de spectateur inquiet dans de nombreux domaines où la guerre technologique fait rage, comme l’illustrent l’électronique et la réaction aux pénuries de semi-conducteurs notamment. 

Le changement de position commerciale de la zone euro avec l’apparition d’un déficit qui continue à se creuser, largement alimenté par l’érosion de l’excédent allemand, ébranle la stratégie à laquelle s’était rattaché la quasi-totalité de la zone euro pour éviter l’éclatement il y a dix ans. En ce qui concerne l’architecture de la zone euro du point de vue des marchés de dette en particulier, l’Allemagne, avec sa dette publique faible, et ses excédents commerciaux gigantesques cumulés sur trente ans, ne remet pas en cause en tant que telle l’intégrité financière de la zone euro du point de vue des pressions de marché sur les taux. Sur ces marchés ce sont les pays dont la dette très élevée nécessite des taux bas pour être refinancée, qui se retrouvent dans une situation plus difficile. Et aucune solution simpliste ne s’offre à eux pour en sortir cette fois-ci, qu’il s’agisse de l’inondation monétaire par la banque centrale (dont l’arsenal est neutralisé par l’enjeu de la lutte contre l’inflation) ou de la compression généralisée des coûts.

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Il est aujourd’hui nécessaire d’opérer une révolution économique pour sortir de la focalisation, facile, sur les bas coûts, qu’ils soient énergétiques ou salariaux. La compression des coûts énergétiques s’est développée sur la base d’un renoncement à l’objectif de diversification énergétique, largement aggravée par la sortie précipitée du nucléaire par l’Allemagne, qui l’a rendu encore plus dépendante. Quant à la compression des coûts salariaux, elle a souvent été poursuivie aux dépens de l’innovation et des grains de productivité, conduisant à une fuite en avant de la distanciation technologique du continent. Dans le cas allemand, cette approche a reposé sur une insistance démesurée sur les effets de marque et de prestige lié à un « made in Germany » qui avait pourtant perdu une partie de sa signification industrielle, autant au regard de l’éclatement des chaînes de production que de la réalité du contenu technologique. Des véhicules électriques à l’électronique, l’Allemagne et l’Europe ont pensé pouvoir reposer excessivement sur des positionnements avantageux hérités du passé sans suffisamment se projeter technologiquement. La situation est particulièrement préoccupante en Europe de l’ouest en général. La stratégie d’optimisation géographique extrême a conduit à une relégation des compétences scientifiques et techniques au profit d’une focalisation sur l’aspect managérial et des services souvent peu tangibles, alors que l’Europe centrale et orientale devenait le vivier des compétences techniques, et notamment mathématiques, du continent. Les centres d’intelligence artificielle avancée s’ouvrent aujourd’hui plus volontiers en Roumanie, grâce à ces coûts bas certes, mais aussi et surtout parce qu’on n’a jamais cessé d’y enseigner les mathématiques suivant des standards conceptuels avancés, autrefois réputés « à la française »…

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