Kanye West, out. Russie, Iran sanctionnées, Qatar blacklisté… etc. Et si le capitalisme devenait vertueux ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Vladimir Poutine reçu par son homologue iranien Ebrahim Raïssi à Téhéran, le 18 juillet 2022.
Vladimir Poutine reçu par son homologue iranien Ebrahim Raïssi à Téhéran, le 18 juillet 2022.
©Sergei SAVOSTYANOV / SPUTNIK / AFP

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Sous la pression des faits intolérables, des guerres, des idéologies radicales et du terrorisme, les grands acteurs du capitalisme commencent à faire le tri entre leurs partenaires.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Tout se passe comme si les grandes figures du capitalisme ne voulaient plus diner avec le diable, quel qu’il soit, ou alors avec une grande (très grande) cuillère.  Certains vont nous expliquer que le capitalisme mondial redevenait moral et vertueux, c’est possible, mais il est surtout pragmatique et tant mieux, il s’adapte en refusant des pratiques qui deviennent inefficaces et risquent de remettre en cause ses performances. 

Les faits, d’abord :

La décision de l’équipementier mondialement connu Adidas de mettre fin à son partenariat avec le chanteur rappeur Kanye West a fait l’effet d’un coup de tonnerre. Selon les premières estimations, le groupe Adidas va perdre immédiatement plus de 250 millions de dollars de profit sur l’exercice 2022, mais pour les actionnaires, les dirigeants et les collaborateurs, les frasques antisémites et racistes du chanteur devenaient moralement insupportables. La plupart des sponsors de Kanye West lui avaient déjà tourné le dos, dont Balenciaga. Et la plupart des magazines de mode américains, dont le célébrissime Vogue, avaient pris la même décision.

La collaboration avec Adidas (les fameuses baskets Yezzy) avait fait de l’ex-compagnon de Kim Kardashian, un milliardaire.Mais ses prises de positions, son refus de s’expliquer ou de s’excuser l’avaient marginalisé à l’extrême droite américaine, la plus complotiste et raciste.

Depuis lundi, les pressions tellement fortes dans le circuit de distribution, les remontées du marché et de beaucoup d’ONG ont décidé la direction d’Adidas à trancher : "Après un examen approfondi, la société a pris la décision de mettre fin immédiatement au partenariat avec Ye", a déclaré le groupe dans un communiqué. "Adidas ne peut pas tolérer l'antisémitisme ou toute autre forme de discours haineux".

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Cette affaire est sans doute la plus importante de ces dernières années. Mais il y en a d’autres, beaucoup d’autres.

La campagne qui vise le Qatar à la veille de l’ouverture de la Coupe du monde est très différente,mais elle répond aux mêmes ressorts. Sous la pression de beaucoup d’ONG et d’organisations de défense des droits individuels de l’Homme, qui appellent au boycott du Qatar, les opinions publiques dénoncent à la fois les conditions d’organisations, le non respect du droit du travail dans ces pays et les inégalités criantes entre les hommes et les femmes, sans parler d’indifférence aux problèmes écologiques. Beaucoup diront qu’on aurait pu s’en apercevoir avant, qu’on ne découvre pas les spécificités culturelles d’un Qatar qui essaie de s’inscrire dans les marchés occidentaux.

Mais ce qu’on découvre, c’est la force des marchés pour faire évoluer une situation. Les dirigeants du Qatar eux-mêmes ne peuvent pas ne pas tenir compte de ces difficultés qu’ils rencontrent. Ils ont forcément besoin d’une image plus conforme aux codes et aux valeurs occidentales et ils s’aperçoivent que l’argent, aussi abondant soit-il, et les réserves de gaz et de pétrole ne suffiront pas.

La guerre en Ukraine a sans doute aussi changé beaucoup de choses dans les pratiques du capitalisme mondial. La multiplication des sanctions infligées aux pays agresseurs (comme la Russie ou l’Iran) comme arme de guerre ont de fait fermé des marchés et les sources d’approvisionnement. La généralisation de ces sanctions (dont personne n’est sûr de l’efficacité) fait débat bien sûr, mais oblige les entreprises à s’interroger sur leur chaine de valeur. D’abord, parce qu’elles ont perdu mécaniquement des revenus, ensuite parce qu’elles se sont retrouvées en risque de rupture d’approvisionnement sur certains composants ou matières premières et qu’il faut inventer des nouveaux sourcing, enfin parce qu’il faut assumer les bouffées d’inflation conséquente à ces blocages.

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Mais au-delà des sanctions, le capitalisme mondial et les fonds d’investissement qui drainent et flèchent les financements s’interrogent sérieusement sur les partenariats noués avec des pays autoritaires, qui s’octroient le droit de ne pas respecter les règles commerciales et les contrats, et jamais les règlementations et les conditions de travail en Occident. BlackRock, le plus gros fonds mondial, s’interdit désormais d’investir dans des activités liées à des dictatures et au terrorisme. 

La lutte pour le climat est sans doute le facteur le plus puissant capable de faire évoluer le capitalisme. La lutte contre le réchauffement climatique va nécessiter des investissements considérables et entrainer des changements dans le mode de production et de consommation qu’on ne mesure sans doute pas complètement encore. Mais toute entreprise sérieuse s’est forcément engagée dans cette réflexion. 

Alors, tous ceux qui parlent de morale ou d’éthique et font appel à la responsabilité individuelle comme ressort du changement n’ont pas tort, sauf qu’ils débordent très souvent sur des positions idéologiques punitives capables de générer une violence aussi forte que celle qu’ils veulent combattre. Si l’écologie radicale prône la non-croissance parce que les excès de la croissance seraient immoraux, elle ne travaille pas au progrès.

Le capitalisme a sans doute entrepris une mutation historique, mais pas parce qu’il serait devenu moral. Le capitalisme et les entreprises ne sont pas « moraux ». Ils n’ont pas à l’être. Ce sont des process, des algorithmes, des mécaniques pour reprendre l’analyse de André Comte Sponville …

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Les économistes sont tous d’accord : les entreprises et le capitalisme ont comme seul devoir d’être efficaces, c’est-à-dire performants dans la création de richesses. Et pour optimiser la création de richesses (ou son retour sur investissement), les entreprises doivent faire en sorte que tous les acteurs qui participent au fonctionnement du système capitalisme y trouvent leur intérêt. L’optimisation des intérêts individuels est la clef de lecture des comportements.

Alors, les hommes et les femmes qui participent au capitalisme ont forcément des sentiments moraux, des ambitions éthiques ou même des idéologies. Le job d’un logiciel d’entreprise est d’en tenir compte, sinon le rapport de confiance (avec le client, le salarié ou l’actionnaire) qui lui est nécessaire sera rompu et du coup, sa performance sera hypothéquée.Adidas n’a plus intérêt à travailler avec Kanye West, sinon il perdra ses clients, les pays occidentaux n’ont plus intérêt à travailler avec des pays qui répondent à des valeurs absolument incompatibles avec les valeurs occidentales héritées des « Lumières ». Et la majorité des entreprises n’ont plus d’intérêt à ignorer les risques climatiques.

Chaque acteur du capitalisme (salariés, consommateurs et actionnaires) doit s’adapter aux contraintes, avec si possible l’aide de l’État et du politique dont la fonction est de protéger l'intérêt collectif et par conséquent, de ne pas trop empêcher la création de richesses.Du moins en théorie.

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