Comme l'ex premier ministre islandais l’a été, il faudrait juger les responsables de la crise des subprimes !<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Comme l'ex premier ministre 
islandais l’a été, 
il faudrait juger les responsables 
de la crise des subprimes !
©

Crimes et châtiments

Geir Haarde, l'ex Premier ministre islandais a été traduit en justice pour sa responsabilité dans l'effondrement du système financier de son pays lors de la crise de 2008. Même s'il ne sera finalement pas sanctionné, pourquoi l'idée de juger les responsables politiques et économiques est-elle aussi rarement évoquée ?

Paul Jorion

Paul Jorion

Paul Jorion est Docteur en Sciences sociales et enseignant. Il a aussi été trader et spécialiste de la formation des prix dans le milieu bancaire américain.

Voir la bio »

Atlantico : Geir Haarde, l'ex Premier ministre islandais a été traduit en justice pour l’effondrement du système financier du pays en 2008. Le tribunal spécial qui le jugeait a finalement annoncé lundi qu'il ne serait pas sanctionné même s'il a été reconnu coupable de l'un des quatre chefs d'accusation retenus contre lui : ne pas avoir provoqué de réunions gouvernementales requises par la Constitution alors que le gouvernement islandais était en train de perdre la maîtrise du système bancaire et financier islandais. Pourrait-on imaginer, et devrait-on, juger les responsables de la crise des subprimes en 2008 ?

Paul Jorion : C’est difficile à dire. Il faut avant tout comprendre pourquoi on ne l'a pas fait. La première explication, virulente, serait une solidarité de classe entre ceux qui accuseraient et ceux qu’on accuse. On pourrait dire aussi que nos sociétés se sont habituées au fait que souvent les gens qui prennent des responsabilités en économie sont plus des avocats, des sortes de mercenaires qui peuvent prouver une chose et son contraire. En Grèce justement ceux qui enseignaient les sciences juridiques étaient les Sophistes, qui se vantaient de pouvoir prouver une thèse et son contraire. Comme Mme Lagarde par exemple, qui est avocate d’affaire. La notion de responsabilité s’est éliminée, on ne considère plus qu’il y ait de responsables. Il existe aussi deux tendances, qui sont de dépénaliser le droit des affaires et de ne pas prendre en compte de crime contre la société : tout se règle au civil.

L’exemple de l’Islande fait ressortir des problèmes lorsqu’on met ces gens-là en accusation : soit on les accuse de fraude, et dans ce cas rien de neuf, les législations existent depuis longtemps, il n’y a donc pas de raison de ne pas les accuser. La difficulté à mettre face à la justice les responsables de la crise, en tant que preneurs de mauvaises décisions, est que la plupart du temps, ils pourraient invoquer qu’ils n’ont rien fait qui n’ait été conseillé par la science économique dominante. La plupart des mauvaises décisions sont justifiables par des argumentaires développés par des prix Nobel d’économie… La plus grande difficulté réside ici.

Pourtant, il semblerait que des rapports du FBI aient mis en cause un certain nombre d’acteurs de l’industrie financière qui ont conduit à la crise de 2008. Qui sont-ils et pourquoi ces noms ont-ils été occultés ?

En effet, c’est notamment le cas des dirigeants de Goldman Sachs. Le problème est que dans le cas des Etats-Unis, l’habitude en matière de régulation financière est justement de dépénaliser. Goldman Sachs s’en est finalement tiré avec une amende de 550 millions de dollars. C’est-à-dire qu’il i y a des peines, des amendes importantes, mais pas d’inculpation des dirigeants. Ces sommes importantes ne sont pas assez dissuasives. En l’occurrence 550 millions de dollars représentent une semaine de bénéfice pour la compagnie.

Le plus étonnant est que la plupart de ces compagnies ayant pris des décisions calamiteuses, n’ont jamais été interdites dans leur pratique et leurs commissions d’infractions. Alors que dans les années 1930 étaient proférées des interdictions aux compagnies de pratiquer telle activité durant tant de temps.

Avec les accords Bâle 3, qui posent les jalons d’une régulation financière, peut-on imaginer que ces acteurs ne puissent plus reconduire ces erreurs du passé, avec le filet de sécurité qu’on leur impose ?

Oui, cependant regardez les ex-cadres français de Dexia : ils ont tous été replacés dans des postes de même niveau, ou même promus. Ce problème ramène donc à la question politique.

A partir de là, faudrait-il juger ces acteurs au pénal ?

Je ne suis pas en faveur de la dépénalisation. Il ne faudrait juger chacun que sur son comportement. Les dirigeants de Goldman Sachs, par exemple, auraient dû être traduits au pénal. Ils ont reconnu leurs erreurs, qui n’étaient pas seulement des fautes de jugement : ils ont parié contre leurs clients. Ce devrait être un crime de type pénal.

Qu’est-ce-qui pourrait permettre, sur le fond, de condamner ces gens-là au pénal ?

La difficulté est là, puisqu’ils ne cesseront pas de dire qu’ils ont agi selon les conseils et méthodes en cours à ce moment-là. La responsabilité est donc plus globale : pourquoi a-t-on toléré 150 ans de sciences économiques qui n’étaient pas vérifiées par les faits ? Tout simplement parce que les milieux financiers ont encouragé un certain type de discours économique qui les arrangeait, au lieu de véritables démarches scientifiques.

Devrait-on alors réformer le code pénal, ou simplement se recentrer vers des pratiques économiques guidées par des démarches scientifiques ?

Tout d’abord il ne faut pas dépénaliser, car les outils existent. En outre les rapports de force sont inégaux : on se pose des questions sur les agences de notation, les régulateurs et les banques…

Cependant c’est évident qu’un code pénal plus adapté permettrait d’engager un cercle vertueux, et d’impacter sur les sciences économiques. La liberté d’opinion permet de dire certaines choses sans engager de responsabilité. A partir du moment où l’on ne considère plus une simple opinion mais un avis qui s’efforce et donc engage la responsabilité de son auteur.

Pourrait-on imaginer, d’après vous, une condamnation rétroactive des acteurs de la crise, les dirigeants de Goldman Sachs comme les autres… ?

Ne pas introduire de mesures rétroactives est un grand principe en droit. Ce serait donc assez difficile.

Propos recueillis par Franck Michel

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !