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Jour de mobilisation : pourquoi la confrontation Macron-Mélenchon est un piège redoutable pour la France
©AFP

Dominants VS dominés

A l'appel de plusieurs syndicats, près de 200 manifestations sont prévues mardi 12 septembre en France contre le projet de loi Travail. Un premier test avant la grande mobilisation du 23 septembre pour Jean-Luc Mélenchon.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Grèves et mouvements sociaux sont au programme de ce 12 septembre avec en toile de fond, une opposition politique qui se cristallise peu à peu entre Emmanuel Macron et Jean Luc Mélenchon. Après les déclarations du président relatives à l'incapacité française à se réformer, les références aux "fainéants", "extrêmes", et "cyniques", et la très vive opposition de la France Insoumise, un schéma d'opposition entre dominants et dominés, semble naître de cette opposition, sans, évidemment, que la représentation des "dominants" ne soit revendiquée par le gouvernement. Dans quelle mesure ce discours binaire, entre dominants et dominés, ne correspond pas à la réalité économique "du terrain" ? Entre les effets de la mondialisation, et la réalité d'une France "sur-administrée" et "sur-régulée, comment peut on illustrer la complexité d'une situation qui ne peut se satisfaire d'une opposition qui semble réhabiliter une lutte des classes anachronique ?

Eric Verhaeghe : ​Je commencerais volontiers par souligner que la complexité de la situation serait plus simple à détailler si le gouvernement ne mettait pas autant d'engouement à jouer le rôle du dominant sans nuance. Les déclarations qui se succèdent, entre celles d'Emmanuel Macron et celles de Benjamin Griveaux laissent quand même pantois. Entre les fainéants et les névrosés, les Français commencent à se demander légitimement si le pouvoir n'est pas pris d'une fièvre paranoïaque, tant son isolement par rapport aux "dominés" paraît flagrant. Or il y a urgence à sortir de cette logique binaire puisque la réalité française ne l'est pas. Notre sujet de fond est bien aujourd'hui de nous préparer à la civilisation de demain, qui arrive à grands pas. Pour y parvenir, on ne pourra pas éternellement jeter l'opprobre sur les risks takers que sont les entrepreneurs, ni faire éternellement l'éloge d'un ordre social plombé par les lourdeurs. 

Il serait donc grand temps de poser le débat autrement qu'il n'est posé. Prenons l'exemple des "protections" dont bénéficient les salariés. Dans la dialectique du maître et de l'esclave qu'on cherche à nous imposer, on dirait que les salariés français vivent une extrême précarité qui ne peut être corrigée par une protection en expansion constante, alors que les employeurs déborderaient de sécurité et de privilèges. La réalité est inverse: on est allé très loin dans la protection des salariés, à tel point que la main d'oeuvre est trop peu fluide, et les entrepreneurs sont soumis pour leur part à une extrême précarité doublée par une fiscalité très lourde. On ne retrouvera du dynamisme économique que si et seulement si on change les termes du raisonnement. 

Grèves et mouvements sociaux sont au programme de ce 12 septembre avec en toile de fond, une opposition politique qui se cristallise peu à peu entre Emmanuel Macron et Jean Luc Mélenchon. Après les déclarations du président relatives à l'incapacité française à se réformer, les références aux "fainéants", "extrêmes", et "cyniques", et la très vive opposition de la France Insoumise, un schéma d'opposition entre dominants et dominés, semble naître de cette opposition, sans, évidemment, que la représentation des "dominants" ne soit revendiquée par le gouvernement. Dans quelle mesure ce discours binaire, entre dominants et dominés, ne correspond pas à la réalité économique "du terrain" ? Entre les effets de la mondialisation, et la réalité d'une France "sur-administrée" et "sur-régulée, comment peut on illustrer la complexité d'une situation qui ne peut se satisfaire d'une opposition qui semble réhabiliter une lutte des classes anachronique ?

Edouard Husson : A première vue, il y a beaucoup de raisons de laisser le nouveau président et son gouvernement en paix pour mettre en oeuvre sa réforme du code du travail. L'idée de donner la priorité à la négociation au sein de l'entreprise est une très bonne idée en soi. Les Français, quand ils parlent du "modèle allemand", se trompent souvent sur l'essentiel: la force des entreprises allemandes tient en particulier la souplesse des relations entre les partenaires sociaux. Cela fait longtemps que nous aurions pu nous inspirer de ce modèle au lieu d'adopter l'ordre monétaire allemand qui n'est fait ni pour nous ni pour l'ensemble de l'Europe. Précisément, il faut mettre en face des réformes de bon sens et bien tardives - la simplification du code du travail est éminemment nécessaire - le cadre dans lequel elles vont se dérouler. La France n'est pas libre de piloter son économie comme elle l'entend, pour le bien des citoyens. Nos enfants dénonceront l'euro comme un carcan, un facteur d'asphyxie pour l'économie européenne; ils se demanderont comment les générations qui les ont précédés ont pu ajouter aux tensions causées par la mondialisation la contrainte d'une politique monétaire menée dans une zone suboptimale. La mondialisation à l'américaine a été génératrice de profondes inégalités du fait d'un mécanisme très simple, jamais mis en évidence: la concentration des fortunes est la réaction naturelle à la dévaluation permanente du dollar émis en quantités toujours plus abondantes; le seul moyen d'éviter l'hyperinflation a été d'imposer la rareté monétaire à la grande majorité au profit d'une minorité toujours plus étroite. Les Européens ont encouragé la dynamique de ce modèle avec le monétarisme de la BCE. Regardez comment le quantitative easing de Mario Monti va aux banques et non aux entrepreneurs ou aux consommateurs. Si tout un chacun avait accès à ces liquidités monétaires plus rien ne serait maîtrisable. C'est bien dans ce contexte qu'il faut situer l'action d'Emmanuel Macron: peut-on exiger encore plus de sacrifices et de flexibilité de la majorité de nos concitoyens qui vivent, depuis des années dans un curieux régime de précarité organisée, compensée par un gonglement exagéré de la fonction publique, mais rendu nécessaire pour protéger une société qui ne dispose ni du levier de la flexibilité monétaire ni de celui de la protection commerciale. 

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Alors que l'électorat de droite se prononce plutôt favorablement à l'égard de la réforme du code du travail, quel est l'enjeu pour la droite, pour ne pas se laisser enfermer dans un débat dominants-dominés dans lequel elle n'aurait pas sa place ? Tout en soutenant le projet de loi, la droite peut elle s'extraire du débat relatif au "capitalisme financier", à la mondialisation, ou aux enjeux concernant les "0.1%", auxquels les électeurs de droite sont également sensibles (Ainsi, en 2015, 77% des électeurs de l'ex UMP jugeaient que les inégalités progressaient, 72% d'entre eux jugeaient la société française injuste, alors 67% dénonçaient les effets inégalitaires de la mondialisation) ?

Eric Verhaeghe : ​De fait, la droite se laisse aujourd'hui enfermer dans un débat dont les présupposés lui seront systématiquement défavorables. Les vieilles équations sont en effet de retour, alors que la réalité a changé. Ainsi, la part des dépenses publiques dépasse les 55% de PIB. Mais le discours sur l'Etat continue d'être tenu avec les mots des années 80. L'augmentation constante des dépenses publiques n'a pourtant pas permis de lutter contre les inégalités, et on peut même mesurer l'impact de la dépense publique sur l'augmentation des inégalités. C'est le cas avec l'Education Nationale dont l'OCDE montre qu'elle produit de l'inégalité avec des ressources publiques. 

Malgré ces évidences, la droite ne parvient pas à sortir de l'équation selon laquelle une augmentation des dépenses publiques est la seule façon efficace de lutter contre les inégalités. Pourtant, beaucoup d'électeurs de droite, comme le montrent les chiffres que vous citez, souhaitent une vraie politique de lutte contre les inégalités et une réduction des dépenses publiques. Cette voie, qui est possible, et même probablement la seule réaliste, reste toutefois à expliquer aux Français, à construire, à débattre. Ce devrait être le rôle des Républicains de construire de façon crédible cette alternative au débat dominant-dominé que vous évoquez. 

Edouard Husson :  En effet, ce qui se profile, c'est un débat caricatural entre Macron et Mélenchon. Le président en a besoin politiquement. L'opposition de Mélenchon sera à la fois bruyante et stérile. Les références économiques de Robespierrot sont dépassées, elles appartiennent à l'économie du XXè siècle. Mais l'opposant professionel de l'insoumission est très utile, il radicalise dans l'autre sens les représentants de l'économie ouverte.  Et il solidarise la droite modérée avec le gouvernement. Vous avez raison de souligner que la droite peut être à la fois pour la réforme du code du travail et sensible à la montée des inégalités. La droite est aussi divisée que la gauche, historiquement, sur les valeurs d'égalité et de liberté. Pour reprendre les distinctions classiques, les droites légitimiste ou orléaniste sont plus indifférentes aux questions d'égalité que la droite bonapartiste. Exactement comme il y a une gauche jacobine et une gauche réformiste. Emmanuel Macron s'est fait élire en rassemblant la droite et la gauche réformistes, ce que ni Giscard ni Mitterrand n'avaient réusii. Si ses deux prédécesseurs n'y étaient pas arrivés, c'est parce que la réunion des réformistes des deux rives est aussi difficile que celle des populistes des deux rives (comme Marine Le Pen en a fait l'expérience à la dernière élection présidentielle). Pour maintenir cette alliance improbable qui l'a porté au pouvoir, Macron a besoin de cliver. Il va faire monter l'opposition entre lui et Mélenchon. Je suis de plus en plus frappé par la "sarkozyfication" de Macron. Avez-vous regardé la vidéo de la déclaration sur les "fainéants" et les "cyniques"? Le président dodeline du chef comme s'il imitait son prédécesseur! Il a chausssé les bottes de Sarkozy. La question c'est de savoir s'il est naturel, au centre, de polariser. L'ancien président, lui polarisait à partir de la droite.  

D'un point de vue politique, quel risque y a-t-il de voir le pays s'enfermer dans un tel débat binaire, cloisonné par les invectives des deux bords , entre LREM et FI ? Les autres partis ne sont ils pas menacés par cette nouveau clivage ?

Eric Verhaeghe : ​Vous voulez dire que la dialectique du maître et de l'esclave agit comme un ouragan? elle aspire l'eau de l'océan et fait le vide politique autour d'elle. C'est en partie vrai si les autres partis ne se donnent pas le temps de constituer une alternative intellectuelle, une vision du monde qui ne soit pas fondée sur cette base. Ce qui est un peu inquiétant, c'est qu'aucun responsable de la droite ne semble avoir pris la mesure de l'urgence de la situation. Marine Le Pen semble bien décidée à continuer sur son ronron philippotiste, et Laurent Wauquiez paraît surtout occupé à siphonner les voix de Marine Le Pen. Ce huis clos de la droite n'est pas à la mesure des enjeux. L'heure n'est plus à se tirer la bourre entre factions, mais à reconstruire une vision du monde sur les ruines d'une élection présidentielle qui est un échec absolu, et une dévastation complète. 

Si le sursaut n'a pas lieu, on connaît l'issue: échec aux prochaines présidentielles et marginalisation définitive d'un parti vieillissant. C'est à peu près à prendre ou à laisser. 

Edouard Husson : Braudel disait que la France est, par excellence, le pays des guerres civiles. Et notre mémoire collective nous dit que le pays, quand il s'abandonne à la guerre civile, est éminemment vulnérable aux attaques ou aux pressions venues du reste du monde. Toute sa vie, de Gaulle a été obsédé par l'idée de faire diminuer les divisions du pays pour éviter de rendre le pays vunérable. Pompidou, Giscard, Mitterrand, Chirac ont partiellement gardé vivante l'obsession du rassemblement, chacun avec son style. Cependant, il est clair qu'ils n'ont pas voulu affronter le clivage grandissant, le retour de l'opposition entre travail et capital. A l'âge de la révolution de l'information, l'enjeu n'était plus patronat contre prolétariat mais "mieux éduqués" contre "moins éduqués". Or, s'il y a un point commun à tous les successeurs du Général de Gaulle jusqu'à Chirac, c'est leur démagogie en matière d'éducation secondaire et supérieure. Ils ont subi la massification de l'enseignement secondaire et supérieur tout en abandonnant aux porteurs de visions dépassées, héritées de l'école des années 1850-1950. Ce n'est pas seulement le plan Langevin-Wallon qui est dépassé, c'est aussi Jules Ferry, porteur d'un élitisme républicain qui n'est plus d'actualité quand l'information est surabondante et quand le professeur et le texte sont à ce point concurrencés, "nivelés" par le smartphone et l'image. Nicolas Sarkozy a eu intuitivement conscience de cette évolution et il a commencé à réformer sérieusement l'école et l'université.. Mais il a choisi la méthode politique du clivage, du réveil des tensions dans la société française. François Hollande s'est fait élire en promettant l'apaisement mais il a abandonné la cause de la révolution éducative.  Macron nous ramène à l'intelligence des années Sarkozy en termes de perception des enjeux. Mais il semble vouloir reprendre aussi des années 2012-2017 la tendance au clivage systématique et la polarisation. Il me semble que la seule réaction à droite, doit être de revenir aux fondamentaux de notre histoire, à la vocation gaullienne du rassemblement. Peu importe comment s'appellera le prochain chef de la droite, qu'il s'appelle Wauqiez ou Valérie Pécresse, il n'aura une chance de éussir que s'il rassemble. Et cela commence par rassembler la droite d'en haut et celle d'en bas. 

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