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Jean-Luc Mélenchon aura-t-il la peau du PS dans les 10 ans qui viennent ?
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Grand soir

Le leader du Front de gauche estime que son parti est le seul à pouvoir inventer "un nouveau régime" après la crise financière et pense obtenir le pouvoir "avant 10 ans". Pour l'ancien socialiste, c'est sûr, le PS n'est plus qu'un astre mort.

Laurent Bouvet

Laurent Bouvet

Laurent Bouvet est professeur de science politique à l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. Il a publié Le sens du peuple : La gauche, la démocratie, le populisme (2012, Gallimard) et L'insécurité culturelle (2015, Fayard).

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Atlantico : Invité de Jean-Jacques Bourdin, Jean-Luc Mélenchon a déclaré ce lundi : "Nous serons au pouvoir avant 10 ans. Personne n’échappera à la crise financière qui deviendra une crise politique, personne n’échappera à la crise écologique, cela va secouer le monde tout entier. Il faut donc être capable d’inventer un nouveau régime." En faisant une telle prédiction, alors que François Hollande pourrait être élu dans trois semaines, ne fait-il pas le pari d’une déception de la gauche au pouvoir ?

Laurent Bouvet : Je pense aussi que le Parti socialiste va décevoir, ou plus précisément la majorité, car les communistes vont aussi vouloir s’engager et participer au gouvernement. La majorité va décevoir car elle n’aura pas les moyens financiers de faire quoique que ce soit, et devra en plus tirer à hue et à dia. Si Jean-Luc Mélenchon fait un score important dimanche, il pourra faire pression sur François Hollande, qui de l’autre côté devra s’occuper des écologistes. Sa majorité va être extrêmement compliquée à gérer. A coté, la gauche plurielle de Lionel Jospin passera pour une tranche de rigolade.

François Hollande aura donc des marges de manœuvres très étroites, ne serait ce que pour tenir ses promesses – la renégociation du traité de stabilité européen et la reforme sociale. Je pense que son action sera donc essentiellement symbolique, sur des choses qui ne coutent rien, comme le droit de vote des étrangers, le mariage gay, la charte des langues régionales… Des sujets qui peuvent unir la gauche sans provoquer de décisions conflictuelles.

Le Parti socialiste serait-il un astre mort, incapable de faire émerger une vraie idéologie ?

C’est plus compliqué que cela. C’est ce que j’appelle les "deux corps du parti socialiste", en référence à la thèse de philosophie politique médiévale d’Ernst Kantorowicz sur les deux corps du Roi. Le corps intellectuel du Parti socialiste est moribond, car ses membres ne sont pas d’accord entre eux. Il y a au sein de l'appareil des divisions qui n’ont jamais été réglées et que tout le monde a fait semblant de dépasser, notamment sur le oui ou non au traité constitutionnel de 2005.

Le deuxième corps du PS est lui vivant et dynamique : c’est l’ensemble d’élus, d’apparatchiks, qui forment un parti qui fonctionne, malgré l’absence de consensus, d’idées et de volonté communes. Entre un Benoit Hamon et un Michel Sapin, il n’y a pratiquement rien de commun, à part qu’ils sont d’accord sur le mariage homosexuel.

Or, un parti se compose à la fois d’idées et d’élus. Quand l’un des deux manque, il est bancal. Mais on s’aperçoit aujourd’hui que même sans idées, les corps internes du PS lui permettent de survivre quoi qu’il arrive.

Il survit, mais n'arrive pas à faire naître une ferveur chez les Français. Cela explique-t-il la poussée de Jean-Luc Mélenchon, qui semble réussir à enthousiasmer l'électorat de gauche ?

Avant de parler d'enthousiasme, voyons le taux d’abstention au soir de l'élection. Et même chez Jean-Luc Mélenchon, il faudra analyser l’électorat. Pour l’instant, selon les sondages, on ne voit pas le peuple se lever en masse pour lui. Les classes populaires et les jeunes votent pour Marine Le Pen ou s’abstiennent. Mélenchon n’est pas le souffle des déclassés, il ne suscite la ferveur que d’un peuple de gauche extrêmement réduit, celui du secteur public, des statuts et des centre-villes.

Il joue par contre avec son talent personnel indéniable sur une rhétorique populaire de souvenir des grands moments du peuple de gauche, et le réussi très bien. Ses grands rassemblement à la Bastille, sur la plage du Prado à Marseille ou sur la place du Capitole à Toulouse sont des grands moments de campagne.  François Hollande n’est pas capable de susciter cette ferveur.

La prédiction de Jean-Luc Mélenchon est-elle réaliste ?

Il cherche surtout à montrer ses muscles avant le premier tour, c’est évident. Ses propositions sont de toute façon en décalage avec la sociologie de son électorat. Il a une vision d’un Etat qui ne se reforme pas. Or, le modèle qui est en train de naître de la crise actuelle n’est pas juste l’ancien modèle de régulation par le haut de l’Etat.

Le leader du Front de gauche prônerait donc l’invention « d’un nouveau régime », mais avec de vieilles recettes ?

Nous sommes à une époque de rupture économique, avec un nouveau modèle à inventer. Que Jean-Luc Mélenchon soit l’acteur de ce nouveau modèle, j’ai du mal à y croire. Lui et ses partenaires, notamment le Parti communiste, ont une vision extrêmement étatiste. Ils considèrent l’Etat comme un pourvoyeur d’argent, qui gouverne en subventionnant les syndicats, les partis, etc.

Je ne pense pas que ça soit le modèle de sortie de crise, c’est plutôt une vision du passé. A l’avenir, on devrait se diriger vers une régulation d’un type nouveau, qui engagera la puissance publique pour une part - avec une re-régulation des phénomènes marchands – mais qui laissera aussi une partie de l’économie beaucoup plus libre, plus coopérative. Un Etat qui interviendrait pour tout et rien n’est absolument pas un modèle d’avenir, et Jean-Luc Mélenchon aurait du mal à l’incarner.

Est-ce que le Parti socialiste est mieux à même d’incarner un nouveau modèle, je ne sais pas. Son ADN comprend aussi une forme de bureaucratie au niveau local, avec par exemple beaucoup de subventions aux associations. Je ne sais pas s’il pourra ériger un nouveau régime de gouvernance.

Propos recueillis par Morgan Bourven

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