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Jamais d'enfant laissé seul : cette fausse bonne idée née de notre peur d'être de mauvais parents
©Pixabay

Nouvelle norme sociale

De nombreux parents craignent de laisser leurs enfants seuls à la maison ou sur le chemin de l'école. Les parent cherchent surtout à protéger leurs enfants de grandes menaces au détriment des petits risques du quotidien (chute, brûlure...), qui sont pourtant beaucoup plus dangereux et fréquents que des attentats terroristes ou un enlèvement.

Florence  Millot

Florence Millot

Psychologue pour enfants.

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  • Les parents tendent à avoir de plus en plus peur de laisser leurs enfants seuls.

  • En agissant ainsi, les parents, influencés par une nouvelle norme sociale ultra-alarmiste, cherchent surtout à protéger leurs enfants de grandes menaces sociétales au détriment des petits risques du quotidien (chute, brûlure...), qui sont pourtant beaucoup plus dangereux et fréquents que des attentats terroristes ou un enlèvement par exemple.

  • Ce comportement surprotecteur n’est pas bon pour le développement des enfants, qui ont besoin d’apprendre à se débrouiller tout seul pour grandir.

Atlantico : Selon une étude britannique (voir ici), un enfant sur 5 âgé d'environ 5 à 6 ans aurait déjà été signalé aux services sociaux. Pour cause, leurs parents les ont laissés quelques minutes seuls ou non surveillés, dans des situations qui ne présentaient pas de dangers réels. Comment expliquer ce pourcentage aussi fort ? Comment en est-on arrivé à ce résultat en à peine 40 ans, comme le mentionne l'enquête (voir ici) qu'a mené Roger Hart entre les années 1970 et 2000 ?

Florence Millot : Cette étude nous montre qu’en à peine 40 ans, le comportement des parents envers leurs enfants et leur capacité à les laisser seuls ont profondément changé. Évidemment, l’impact des médias y est pour quelque chose. Ceux-ci ont permettent un accès à une information de manière répétée qui peut être anxiogène, surtout en ce qui concerne les enfants, l’extérieur ou l’environnement. Par ailleurs, auparavant, les parents pouvaient laisser les enfants dans les villes/ villages à partir de 4 ou 5 ans en ayant confiance. On connaissait son voisinage, ses voisins. Il y avait une sorte de confiance, de surveillance des enfants de manière générale dans la communauté.

Aujourd’hui, la ville devient étrangère. Nous avons beaucoup moins de contacts avec l'extérieur et même notre propre voisin nous est étranger. La montée de l'individualisme nous donne une représentation du monde extérieur beaucoup plus “dangereuse”, avec cette peur croissante de laisser ses enfants seuls ou en proie au monde extérieur. 

La notion de repère a également changé : par exemple, on note aujourd'hui que ce sont les parents qui jugent les autres parents parce qu’ils estiment que des enfants ne doivent pas être seuls dans la rue. Alors qu'avant, ce repère était intérieur : c’est le parent qui jugeait ce qui était bon pour son enfant et pour sa famille. Il n’y avait donc pas de droit de regard de la part d’une personne extérieure, que ce soit les médias ou les services sociaux. Aujourd’hui, les parents font beaucoup plus confiance aux médias, à la morale, à ce qu’on dit de l’enfant ou de ses capacités etc. plutôt qu’à leur propre jugement. Cela tend à créer une homogénéité des comportements, où l’on doit catégoriser les activités des enfants par âge en suivant en quelque sorte une grille de normalité sans forcément partir du point de vue de l’enfant. 

Ces pertes de repères extérieurs peuvent expliquer cette montée en puissance de la peur.

Comment peut-on expliquer l'augmentation de cette peur des parents de laisser leurs enfants seuls à l’école par exemple, alors que les taux de criminalité n’ont pas bougé depuis des décennies par exemple ?

L’une des premières raisons peut être la surexposition des parents aux médias et aux informations anxiogènes qu’ils transmettent. Mais c'est surtout la surinformation, avec un accès à l’information en temps réel, aussi bien à la télévision que sur les réseaux sociaux, qui alimente cette peur.

Mais ce qui a changé, au-delà des médias, c’est le fait que les enfants ont eux-mêmes accès à l’information ou aux réseaux sociaux. Dans le fil d’actualité, vous avez accès à des informations et à des dangers qui peuvent se passer dans le monde entier. Notre rapport à l’information n’est plus local mais mondial. Cette information augmente la peur des parents et des enfants puisqu’il n'y a plus de filtre. A tous les niveaux - médias, parents, enfants - la peur existe. Une peur qui est réelle, mais qui est aussi potentielle et fantasmée. On le voit notamment avec le phénomène des attentats.

Si l’on compare la situation entre 1995, où les attentats n’étaient pas mentionnés dans les écoles, et la situation de maintenant, on constate un énorme changement. Aujourd’hui, on en parle dans les écoles et même dans les maternelles. Le rôle des parents, qui est de contenir la peur de l’enfant, est en quelque sorte inversé : ils doivent désormais mettre en garde les enfants contre les risques auxquels ils peuvent être confrontés. On dit tout aux enfants pour les “protéger”. Enfin, l’usage du téléphone portable et de toutes les applications nous permettant de savoir en permanence les faits et gestes de nos enfants peuvent également jouer sur cette peur de laisser les enfants seuls. Les parents ont besoin d’avoir une réponse immédiate, sinon il y a une frustration ou une inquiétude dès que l’enfant ne répond pas dans la minute.

Quels rôles jouent les médias lorsqu’ils se focalisent plus sur des gros risques ayant peu de chances de se produire plutôt que sur les petits risques du quotidien ?

Les médias se focalisent beaucoup sur des risques qui se produisent hors de la maison, comme les attentats. Mais parfois, on oublie les choses simples et quotidiennes qui peuvent se passer dans la maison. Là où l’on n’imagine pas forcément le danger. 

Au premier niveau, il y a les dangers physiques. Un enfant seul peut très bien se renverser de l’eau chaude sur lui lorsqu'il se fait à manger, se couper ou tomber. D'autres accidents peuvent arriver, comme une bagarre entre frères et sœurs qui se passe mal ou lorsqu'un des enfants s'étouffe.

Le second est plus d'ordre émotionnel, lorsqu'un enfant passe sa journée seul parce que ses parents rentrent tard du travail par exemple. Il peut très bien ressentir de la tristesse ou de la solitude à force de rester seul. Il y a des enfants qui ont du mal à savoir comment s'occuper et qui s'enferment dans la télévision ou les jeux-vidéo. Ces enfants-là se coupent de l'émotionnel.

Les derniers risques, lorsqu'un enfant reste souvent seul à la maison, c'est l'ennui et l'échec scolaire. Il a du mal à faire ses devoirs tout seul et peut perdre sa motivation. L'enfant est avant tout relationnel, c'est-à-dire qu'il a besoin d'une présence, de communication et d'une relation avec l'autre pour partager et apprendre. Le fait de rester à trop souvent à l'intérieur, le mercredi après-midi ou les week-ends est bien souvent mortifère pour ces enfants et leurs résultats scolaires. 

Les médias accentuent trop des dangers qui sont certes très difficiles à entendre, mais qui ne touchent pas la majorité de la population et des enfants.

A quel âge pensez-vous qu'un enfant puisse être laissé seul ou se déplacer seul pour aller à l'école etc. ?

A mon sens, cela ne dépend pas vraiment de l’âge de l'enfant, mais plutôt du lien de confiance que le parent a tissé avec lui. Est-ce un enfant qui est capable de dire quand il a besoin d’aide, quand il a peur d’être seul ? Où il va ? Chez qui il va ? Après le lien de confiance, il y a aussi la maturité de l’enfant. Est-ce que c’est un enfant plutôt craintif, qui nécessite de l’attention ? Est-ce un enfant qui a encore besoin d’être accompagné ? Ou au contraire, est-ce un enfant autonome ou qui a envie de faire les choses seul ?  Le troisième critère, c’est s’il a envie ou est prêt à être seul. 

En termes d'âge global, tout dépend de la ville dans laquelle on habite car la situation est différente si l’on vit à la campagne ou dans une grande ville. Avant la sixième, un enfant qui n’est pas du tout surveillé aura plus de mal à rester seul. Et s’il reste seul, il aura tendance à s’enfermer dans la télévision, les jeux-vidéos.

Quels risques peut avoir une éducation basée sur la surprotection et la peur du risque sur un enfant, même lorsque le risque semble infime ? Et sur les parents ?

La surprotection est induite par le parent et par la peur. C’est-à-dire que l’on perd la notion classique de protection qui est “je te protège des dangers parce que je suis ton parent. Je suis un filtre. Je suis un protecteur pour que tu grandisses bien et dans les meilleures conditions.” 

La surprotection, c’est presque l’inverse. Le parent a peur, transmet cette peur à son enfant et s’imagine qu’il le protège en faisant cela. A donner une vision si négative des choses, que ce soit des peurs, des dangers, de l’extérieur etc. le parent va naturellement transmettre cette peur à l’enfant. Celle-ci engendre une perte d’estime de soi et pousse à voir l’avenir d’un œil négatif, car si le parent estime que ces éléments sont négatifs, l’enfant le croira également. Ce dernier choisira alors un plaisir de l’instant et n’aura peut-être pas envie de se projeter dans l’avenir. Enfin, les enfants peuvent devenir craintifs et surtout inquiets. On constate une grande montée d’angoisse et d’anxiété chez les enfants de 8 à 10 ans, ce qui était beaucoup plus rare auparavant.

Que conseilleriez-vous pour réconcilier les parents et l'environnement dans lequel leurs enfants grandissent, afin d'éviter une surprotection qui pourrait leur être préjudiciable ?

A notre époque, les médias existent et doivent être pris en considération. On peut donc difficilement faire sans. 

La première chose à faire, c’est donc de sensibiliser les enfants aux médias et le leur apprendre à décoder ce qu’il se passe, de sorte qu’ils développent un esprit critique. Cela peut se faire autour des photos ou des textes. “Et toi ? Qu’est-ce que tu en penses ?” “Est-ce que tu penses que c’est si dangereux ?” “Est-ce que tu penses qu’on a peut-être amplifié le problème ?”

Il faut lui poser des questions sur lui, sur sa vision ou son ressenti par rapport à un événement comme un attentat. Cela permet à l’enfant et aux parents de pouvoir prendre du recul sur l’information. Chaque information anxiogène crée forcément une forme d’anxiété chez l’enfant car il ne sait pas comment la recevoir et l'analyser seul. C’est vraiment cette prise de recul dans les conversations qui permet de la digérer et de la transformer, aussi bien chez l’enfant que le parent, plutôt que de la subir toute la journée via Facebook ou les médias. Je conseille également, lorsque les enfants ont besoin d’être seul ou sont seul par nécessité (comme lors d’un trajet à l’école par exemple), d’instaurer un lien de confiance avec des petit rituels. Un parent peut demander à son enfant de lui envoyer un texto ou d’appeler lorsqu’il est bien arrivé etc. Cela n’est pas synonyme de danger, mais c'est un moyen de se rassurer et de différencier les peurs ou les besoins des parents et la réalité, qui n’est pas si dangereuse lors d’un trajet pour l’école. 

Quand on demande à l’enfant de participer, on valide le fait qu’il a bien compris l’intérêt de cette demande. C’est un moyen de faire de lui un personnage actif dans cette communication ou ce contrat de confiance avec le parent. Bien sûr, la dernière chose c’est de féliciter son enfant de l’avoir fait et d’avoir répondu aux besoins exprimés. C’est important de montrer à l’enfant qu’on a fait preuve de confiance à son égard.

Propos recueillis par Thomas Gorriz

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