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Jackson Hole : les banques centrales sommées de se mettre sur le pied de guerre contre l’inflation
©DANIEL ROLAND / AFP

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Les banquiers centraux du monde entier se sont donc retrouvés à Jackson Hole comme tous les ans pour déterminer une ligne stratégique et embarquer la planète dans une lutte contre l’inflation. Personne ne sait ce que ça signifie pour le commun des mortels. C’est peut-être mieux.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Le séminaire de Jackson Hole est à la planète monétaire ce que Davos est au monde capitaliste. Les lieux eux-mêmes sont un peu identiques. Il s’agit de petites stations de montagne d’accès difficiles. Le Wyoming d’un côté, la Suisse profonde pour l’autre. 

Le concept est un peu identique : à Davos comme à Jackson Hole, des dirigeants très puissants décident de se retrouver sans protocole et très discrètement à l’abri de la presse pour analyser les affaires du monde. Sans obligation de résultats, sans administration qui préparerait les dossiers, sans aucun pouvoir pour donner des directives ou imposer des principes d’organisation, mais leur puissance est telle qu’on les écoute.

A Davos, les grands patrons, les ministres ou présidents, les chefs syndicaux et les grands investisseurs examinent ensemble les grands défis et enjeux de la situation économique mondiale. 

A Jackson Hole, ce sont les gouverneurs de banque centrale, leurs conseillers et l’ensemble des acteurs des marchés monétaires qui vérifient leurs analyses, leurs politiques et essaient de jouer une partition internationale à peu près cohérente. Bien qu’indépendants du pouvoir politique dans presque tous les pays (sauf les Etats totalitaires) et alors qu’ils n’ont pas de liens fonctionnels entre eux, les banques centrales finissent par s’aligner sur une position presque commune, du moins à long terme. 

En vérité, il y a assez peu de divergence entre les banquiers centraux sur le diagnostic des situations économiques et sur la façon dont il faut utiliser les outils monétaires pour réguler cette situation. 

Ce qui est parfois compliqué c’est que  -avouons-le – on a parfois du mal à comprendre ce que signifient les analyses et commentaires. Plus grave, les gouverneurs eux-mêmes ont pour habitude de ne pas être clairs. Ils ne doivent donner aux marchés peu ou pas d’informations trop précises qui pourraient leur indiquer ce qu’ils vont faire parce qu’ils veulent garder leur liberté d’action jusqu’au dernier moment. Ils veulent surtout empêcher la spéculation sur les monnaies, qui est un sport répandu dans le monde entier depuis Aristote, l’inventeur de la science économique. 

Alors, inutile de préciser que les discours, les commentaires, les mimiques de visages, les grimaces des uns face aux sourires de quelques autres étaient surveillés et décryptés. Jamais le monde n’a été aussi près d’une catastrophe économique et sociale, c’est du moins ce que beaucoup d’observateurs prétendent quand ils prennent les chiffres de l’inflation, les rapportent à la dette publique de la plupart des États et les comparent à l’activité. 

Surtout qu’on connait les facteurs exogènes capables de détériorer les systèmes : la guerre en Ukraine, les sanctions économiques, les difficultés de la Chine liées au Covid que les Chinois ne savent pas encore assumer. Autant de dysfonctionnements par rapport à une mondialisation qu’on pensait heureuse au début des années 2000. 

Tout cela se traduit par une inflation à deux chiffres très souvent qui risque de faire exploser les pays démocratiques d’abord, les autres ensuite. 

Le cru 2022 du séminaire de Jackson Hole s’est dont tenu avec comme ligne de mire : l’inflation galopante, désignée comme ennemi numéro 1 de la planète tout entière. 

A partir de ce constat, on attendait donc avec fébrilité les prescriptions des différents gouverneurs et notamment celle du gouverneur de la Réserve fédérale, parce que quoi qu’on dise, la parole de Jérôme Powell est évidemment celle qui porte le plus loin. 

Alors soyons très honnête, avec Jérôme Powell comme avec les autres, la parole revêt deux dimensions. Il y a ce qu’un gouverneur dit explicitement et il y a ce qu’il ne dit pas très clairement. 

1er point : ce qu’a dit Jérôme Powell est exactement ce que tous les autres et notamment les millions d’opérateurs qui travaillent sur les marchés dans le monde appréhendaient qu’il dise … 

En fait, il a affirmé très clairement trois choses. 

D’abord, il a reconnu qu’il s’était trompé quand, au lendemain du covid, en aout 2021, il ne croyait pas au risque inflationniste durable après le retour de l’activité. Aujourd’hui, il reconnait que le monde risque de tomber dans l’inflation à deux chiffres pour un bon moment parce que cette inflation est un marqueur de changement profond. Un changement lié à la pénurie d’Energie et de matières premières, un changement lié à la mutation du climat. Le raccourcissement des chaines de valeurs et la prise en compte des émissions de gaz carbonique vont couter très cher. 

Par conséquent, la lutte contre l’inflation est devenue la priorité au niveau mondial parce que l’inflation risque de tout détruire au niveau des processus de création de richesses. Et le seul moyen pour lutter dans l’immédiat contre l’inflation, ça doit être de relever les taux d’intérêt. Ce qui veut dire qu’il y aura moins d’argent à redistribuer, moins de liquidités donc moins de crédit et de dette. Alors dans le détail, Jérôme Powell ne dit pas de combien et à quel moment de l’année la Réserve fédérale va renforcer les taux mais cette manœuvre va être inéluctable. 

Enfin, Jérôme Powell ne dissimule pas que la lutte contre l’inflation va provoquer un ralentissement de l’activité. « La lutte contre l'inflation aux Etats-Unis va , dit-il faire souffrir les ménages et les entreprises" américaines, mais y renoncer serait encore plus dommageable pour l'économie, a- t -il prévenu »   Jamais une déclaration d’un banquier central n’avait été aussi résolue et d'une telle franchise, le président de la Fed a averti que la Banque centrale américaine userait "vigoureusement de ses outils" en relevant les taux d'intérêt. A quelques mois des élections à mi-mandat de Joe Biden , ça n’est pas neutre.  

2e point. Une fois la douche froide passée, il y a aussi des éléments plus flous qui permettent aux marchés de trouver s’ils en ont envie des éléments de ne pas s’énerver. 

Jérôme Powell, par exemple, n’a pas manqué vendredi de reconnaitre que : Revenir à la stabilité des prix "prendra du temps" et entraînera "une longue période de croissance plus faible" mais il dit aussi qu'"un ralentissement du marché du travail sera inéluctable ».  

M. Powell a admis "qu'à un certain stade, il sera opportun de ralentir le rythme des relèvements de taux" mais il a ajouté un bémol à cette notion déjà rapportée, qui avait réjoui les marchés financiers récemment.

"L'histoire montre qu'il faut prendre garde à ne pas relâcher la politique monétaire trop tôt", a-t-il prévenu, dans ce message qu'il a voulu "direct". Donc il bat le chaud et le froid. 

Sauf et on a bien compris, la ligne stratégique porte un changement de paradigme au niveau de l’économie mondiale.

C’est le 3e point, sous-jacent à son discours à l’adresse du monde entier.Jérôme  Powell reconnait  que "l'inflation actuelle est  un phénomène mondial et que beaucoup d'économies dans le monde font  face à une hausse des prix égale voire plus haute que celle des Etats-Unis".

Il revient donc sur la nécessité de frapper fort et pour mieux se faire comprendre, il cite un de ses prédécesseurs à la tête de la Banque centrale, Paul Volcker, qui, d'une main de fer, avait jugulé une inflation galopante au début des années 1980.

En conclusion, ce qui est intéressant dans son discours, c’est qu’il utilise l’autorité  même d’un gouverneur de banque centrale qui est de juguler l’inflation pour dire que cette action risque fort d’entrainer « des larmes et du sang « parce que ça va être dur sur le plan économique et social ». Il annonce tout de go que les banques centrales doivent faire le travail que ne font pas les gouvernements politiques,  c’est à dire gérer avec sérieux les politiques budgétaires et les dettes publiques. 

Puisque les gouvernement ne sont pas capables de revenir dans les clous, les banquiers centraux le feront. Mario Draghi, lui, qui avait pris l’initiative de permettre à la banque centrale de venir en aide aux gouvernements au moment de la crise du covid, devait se réjouir de cette sortie de Jérôme Powell. Il faut dire que Mario Draghi a des ennuis politiques en Italie.  

La France n’était guère présente à Jackson Hole.  Me Lagarde, la présidente de la BCE n’était pas présente, elle s’était fait représenter. Il faut dire qu’elle n’est pas dans une situation facile. Elle est sommée par les allemands d’être droite dans ses bottes et de relever les taux d’intérêt, et gentiment invité par les Européens du sud à ne pas revenir à la normale trop rapidement.  

La grande leçon qu’il faudra tirer de Jackson Hole cette année, c’est les banquiers centraux qui ont largement financé la crise du covid ne sont pas décidés demain à financer les mutations. Mutations liées à la mondialisation qui devrait reculer et s’écarter des pays autoritaires (comme la Chine). Mutations liées à la lutte contre le réchauffement climatique. 

Dans tous les cas, il faudra payer la facture. Ce que dit Jérôme Powell, c’est que ces mutations là ne peuvent pas être financées par la dette publique.  Ces mutations doivent être financées par l'épargne. L’épargne existe. Il faut simplement la mobiliser. Et pour que ça marche il faut qu’elle soit rémunérée. Donc il faut que les taux d’intérêt soient plus élevés.

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